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samedi 11 octobre 2025
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Cartable ou sac à rien : le choix d’une profession

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Depuis quelques années je ne cesse de constater dans les salles de cours ainsi que dans les couloirs de mon établissement l’étrange disparition du cartable. Une absence qui en dit long sur la perception confuse de la profession que les étudiants embrassent.

Entre les mains ou sur les épaules, plutôt, ils ont des sacoches et/ ou sacs à rien, des accessoires, des… bref tout ce qui évoque tout sauf le métier d’enseignant. 

Commençons par une évidence: le cartable n’est pas un accessoire! 

C’est un objet ritualisé, la concrétisation de la future profession. Son ouverture constitue un acte pédagogique en soi, bien avant que la première parole ne soit prononcée. Vous allez me dire comment? Lorsque un enseignant pose son cartable sur son bureau, qu’il en extrait les outils de son art: les cahiers de préparation, les manuels annotés, les copies à corriger, les supports de cours. Par la, il ne fait pas que sortir des objets, mais il accomplit un rite de passage : de l’individu privé au professionnel public. Ce geste possède la même solennité que celui du chirurgien se lavant les mains avant une opération. A l’inverse, les pauvres sacoches ou sacs à rien, ne transmettent aucune de ces significations. Tout au contraire, Ils disent la spontanéité, l’inconscience, l’informel, le provisoire, tout ce que l’enseignement n’est pas. 

Face à ce constat, certains, emportés par l’air du temps, objecteront, avec cette assurance technocratique qui caractérise notre époque, que le cartable représente une tradition dépassée, que tout est désormais sur les téléphones, les tablettes et dans les espaces virtuels. Cet argument méconnaît la nature même du savoir scolaire. Le rapport de l’UNESCO sur l’éducation en 2023 souligne, dans son esprit, d’ailleurs un retour en grâce des supports physiques dans les pays qui ont tout numérisé. On a constaté que la manipulation concrète des objets du savoir favorisait l’ancrage mémoriel. 

Dans ce sens, le philosophe Eric Sadin (2020), met en garde contre cette illusion de la dématérialisation intégrale, qui nous fait croire que l’on peut se passer des médiations concrètes. Ainsi, l’élève n’apprend pas seulement des contenus, mais une relation au savoir. Voir donc son enseignant manipuler des livres, des cahiers, des documents physiques, le tout sorti d’un cartable, lui apprend que le savoir a du poids, de la consistance, qu’il se construit dans la durée et la persévérance.

Par ailleurs, le rituel d’ouverture du cartable opère également une transformation intérieure. Il constitue le pas entre la vie personnelle et la mission d’enseignant. Ce moment où l’enseignant en sort ses préparations, où il dispose  ses outils sur le bureau, constitue une méditation active avant l’entrée en classe. C’est durant ce rituel que l’on passe mentalement en revue sa leçon, que l’on anticipe les difficultés, que l’on se concentre sur l’acte pédagogique à venir.

Le simple fait de porter le cartable pendant le trajet vers l’école permet déjà à cette transition psychologique de s’installer. Tandis que le sac à rien et/ ou la sacoche restent des objets du quotidien, qui ne permettent pas cette transition. Ils sont à même de l’empecher. 

Le cartable est également la tenue professionnelle de l’enseignant. Il dit à l’élève, au parent, à la société : « Je suis investi d’une mission. » Il suffit de regarder les professions qui ont conservé leur tenue traditionnelle – médecins, militaires, juges pour s’en rendre compte. Aucune d’elles ne l’a fait par nostalgie, mais parce que l’habit participe de l’autorité professionnelle et fonctionnelle. Comment prétendre alors asseoir cette autorité quand on arrive en classe avec l’air de quelqu’un qui part en week-end ? 

Ô Enseignant de demain! Je ne vous demande pas de revenir aujourd’hui au cartable en cuir raide de nos aînés. Mais de comprendre la symbolique que vous rejetez par commodité esthétique. Faites l’expérience du cartable! Empruntez-en un pour une semaine. Un vrai, avec des compartiments, capable de contenir des livres, des cahiers, des copies. Portez-le. Sentez son poids sur votre épaule – ce poids qui n’est pas une charge, mais la dignité de votre future fonction. Pratiquez le rituel de son ouverture chaque matin devant votre miroir. Et peut-être comprendrez-vous alors que ce geste apparemment anodin contient toute la philosophie de notre métier : on n’enseigne pas léger, on n’éduque pas sans bagages, on ne transforme pas des esprits sans outils substantiels. Quand vous poserez votre cartable sur votre bureau pour la première fois devant vos élèves, vous comprendrez que vous ne posez pas un simple objet, mais l’héritage immense de ceux qui, depuis des générations, ouvrent chaque jour le précieux fardeau de la transmission.

Je vous entends déjà protester, évoquer la liberté individuelle! Le choix personnel, le modernisme! 

Ce sont les arguments de ceux qui n’ont pas encore compris que l’enseignement n’est pas une profession individuelle, mais une fonction sociale. Le cartable n’appartient pas à la mode, il appartient à la tradition et à la nécessité pédagogique. Le cartable représente la première leçon de votre métier, et peut-être la plus importante. Assumez alors le poids, la rigueur et le symbole. Bref, assumez votre cartable.

Dr Hamaïzi Belkacem, ENS de Sétif

Références

Sadin, É. (2020). L’Ère de l’individu tyran: La fin d’un monde commun. Grasset.

UNESCO, (2023). Rapport mondial de suivi sur l’éducation: les technologies dans l’éducation: qui est aux commandes?

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