AccueilCultureCatherine Poulain : « Réinventer la beauté abîmée »

Catherine Poulain : « Réinventer la beauté abîmée »

Artiste contemporaine, peintre, photographe, réalisatrice, écrivain, Catherine Poulain est une artistique accomplie, dont la création artistique bouillonne dans toute sa diversité, des genres et des couleurs.

Catherine Poulain est née à Paris, elle ne cesse d’arpenter les rues, passionnée par l’Art Urbain, vivant presque un rêve éveillé, celui de faire de la rue une galerie à ciel ouvert, laissant des traces bravant le temps, mettant des couleurs là où certains murs vieillissants délabrés oubliés comme pour leur donner un nouveau souffle, une nouvelle vie.

Sa passion pour le dessin et la peinture se révèle dès l’enfance, puis vient l’écriture dès l’âge de 13 ans où son amour pour les textes et la poésie s’accentue et s’approfondit, puis à 21ans, l’élan créateur la pousse vers la photographie.

Après un BTS (Brevet de technicien supérieur) en architecture intérieure et photographie, elle devient décoratrice de spectacles vivants sur de nombreuses productions, notamment à l’Opéra national de Paris, sur des spectacles du metteur en scène Robert Wilson et du chorégraphe Josef NadjIl n’y a plus de firmament, qui feront le tour du monde.

Catherine Poulain a également été scénographe de théâtre auprès d’une dizaine de compagnies de théâtre musical et de théâtre contemporain, sur des textes de Beckett, Shakespeare, Brecht, puis a travaillé dans l’équipe de décoration de longs métrages de cinéma, dont, Le Pacte des Loups, de Christophe Gans et, Les Enfants du Siècle, de Diane Kurys, puis se plonge de nouveau dans la sculpture, la peinture, la photographie, la performance, progressivement en artiste indépendante et engagée.

Catherine Poulain fait parallèlement des lectures dans des librairies, théâtres et bars restaurants. Les thèmes de la lutte, de la liberté, de l’espoir, de la fraternité, de l’amour, jaillissent de ses créations comme un phare guidant à travers les récifs dans une époque déchirée par l’illusion, le superflu, et le paraître.

Le Matin d’Algérie : Vous êtes une artiste éclectique, on peut même dire que vous magnifiez les genres, qui est Catherine Poulain ?

Catherine Poulain : Je suis d’un tempérament à explorer, à aller au fond des sujets, à rencontrer des gens passionnés dans tous les milieux. À travers les voyages et les lectures, j’ai beaucoup appris. J’ai toujours eu le désir de me dépasser avec audace, de faire évoluer positivement la société et c’est dans l’action que je me sens vivante. Après les épreuves et la vie citadine trépidante, l’écriture et la création artistique est une continuité naturelle et un refuge où j’ai plaisir à me retrouver au calme. J’aspire dans le silence de la solitude à transcender les émotions bouillonnantes vers la dimension spirituelle.

Le Matin d’Algérie : Vous passez aisément d’un art à un autre, comment faites-vous ?

Catherine Poulain : Ayant plusieurs cordes à mon arc, si un évènement, une rencontre m’inspire, j’écris, photographie, filme ou dessine. C’est dans le mouvement ou dans le rêve que je trouve l’intuition créatrice. Cela forme un stock, des idées, de la matière, dans lequel je puise par la suite pour imaginer un projet à construire, en cherchant comment et avec quel soutien le développer. Selon les ouvertures trouvées, je passe d’un art à un autre. Avec l’énergie et les moyens dont je dispose, jamais je ne m’ennuie.

Le Matin d’Algérie : Paul Ardenne, historien d’Art contemporain, vous situe dans le courant de l’Art contextuel, qu’en pensez-vous ?

Catherine Poulain : Heureusement, Paul Ardenne a remarqué notre travail à la suite d’actions performances que nous avons réalisées avec Alexis Denuy dans l’espace public en tant que Collectif NAO. Paul Ardenne est reconnu dans l’Art contemporain et écrivain, une confiance renouvelée par plusieurs rencontres, lui a permis de trouver les mots appropriés pour situer et définir notre démarche empirique dans l’Art contemporain. Cela donne du crédit à notre travail, ancré dans le réel, engagé, en lien avec les actualités, aux luttes pour un meilleur avenir, en situation d’intervention et de participation, en conséquence dans le courant de l’Art contextuel.

Le Matin d’Algérie : Vous êtes une artiste engagée, l’engagement jaillit de vos œuvres, l’art n’est-il pas déjà un engagement en soi ?

Catherine Poulain : Il faut beaucoup de persévérance pour émerger dans le monde de l’art, se battre pour obtenir ce que l’on veut. Réinventer la beauté abîmée est un enjeu important pour moi, réparer les blessures. Le faire en groupe, j’ai eu l’occasion de l’expérimenter dans l’engagement bien sûr. C’est en travaillant dans des milieux chaotiques au milieu de personnes instables et imprévisibles que j’ai dû me forger une posture solide et que j’ai dû me fixer des objectifs pour évoluer en les entraînant vers la recherche de solutions aux problèmes et l’amélioration de conditions de vie. On perçoit ma volonté et ma ténacité dans mon écriture sans aucun doute. L’art passe en effet par l’engagement, subtilement par les messages à décrypter au second degré.

Le Matin d’Algérie : L’art urbain est-il pour vous l’expression d’une liberté à portée de tous ?

Catherine Poulain : Faire partie du paysage urbain, interpeller les passants par un visuel, poser sa marque au détour de rues pittoresques, choisir son emplacement, c’est modifier un peu le regard sur la ville, la rendre plus poétique. C’est un mode d’expression qui comporte aussi le risque de vivre des situations compliquées et repréhensibles. Après la chute du mur de Berlin, je suis allée à Prague, Berlin et Barcelone, y poser mes mots et pochoirs, où l’esprit de liberté flotte comme un étendard, alors en vogue et autorisé à certains endroits dès 1989. C’est le dépassement de la norme et la révolte qui m’ont motivé. Puis en voyant les pochoirs de Miss Tic à Paris, cela m’a encouragé à me faire connaitre du grand public à travers l’art urbain. Cette pratique est démocratique car ne nécessite pas d’atelier coûteux dont l’artiste parisien est souvent privé. À l’avenir, je souhaiterai peindre de grands murs en hauteur avec une nacelle, grâce à des commandes ou cartes blanches.

Le Matin d’Algérie : Vous venez de publier « Recueil de craie », qui est bouleversant par des poèmes criant de vérité portant l’émotion à son paroxysme, le lecteur les yeux humides retient les larmes le cœur en pleurs attendant des bonheurs, votre poésie est déchirante mais laisse apparaitre des éclaircies d’espoirs, vous semblez habitée par la muse, est-ce vrai ?

Catherine Poulain : C’est le dépassement de la norme et la révolte qui m’ont motivé. Mon premier livre « Recueil de craie » est un objectif que j’ai accompli après avoir dû quitter Paris, ce que j’ai vécu comme un exil de ma ville natale aimée. Après multiples déceptions, c’est en relisant mon journal intime commencé à l’adolescence que j’ai pris conscience qu’il comprenait des textes poétiques intenses des années 80 à 2010, méritant d’être sélectionnés et publiés dès maintenant. Il est disponible en librairies.

Je pensais que lorsque je serai âgée et malvoyante, j’écrirais des livres, qu’auparavant il faut utiliser ses yeux pour créer et se mouvoir. Puis un jour, le déclic est venu, j’ai compilé mes textes les plus émouvants et écrit de nouveaux pour en faire mon livre. J’ai choisi ce titre dans le vœu de recréer la beauté abîmée, en pensant à l’abîme de souffrance ressentie dans le passé et à la force que j’ai dû déployer pour surmonter les obstacles. Mon but étant de donner au lecteur de l’espoir et le goût de vivre.

Après un atelier d’écriture avec Catherine Bédarida, j’ai pu faire aboutir ce recueil avec l’écoute d’autres femmes bienveillantes, à en tirer le fil. L’idée étant de laisser la trace de moments éphémères comme la craie, où une lueur d’espoir apparaît, en apportant une perspective à la jeunesse en questionnement. Aux enfants de la terre qui ne sont pas nés dans l’opulence ou à ceux qui malgré une situation paraissant confortable ont été maltraités insidieusement.

J’ai côtoyé durant plus de vingt ans, la culture kabyle algérienne donnant de l’importance au cocon familial protégé par la mère transmettant les traditions. Cette douceur et organisation de cette société m’a intéressé car j’ai pu saisir ce que nous avons perdu avec le bouleversement des repères protecteurs. Après mai 68 et les déviances permissives des années 70, l’intimité de la femme et des hommes a été malmenée. Avec parallèlement malgré tout une avancée au niveau des droits vers plus d’indépendance.

La banalisation de l’exhibition et de la pornographie avec une nudité agressive dans la publicité et utilisant le corps de la femme pour vendre des objets a été destructrice pour l’harmonie des relations entre hommes et femmes. Une forme d’art en est le reflet où l’âme est absente, le corps abîmé et robotisé prédominant, c’est à l’opposé de ma recherche. En banlieue, le choc des cultures a été d’autant plus grand avec la mixité organisée, rencontrant incompréhensions et violence des rapports humains avec malgré tout des collaborations et échanges intéressants. J’ai perçu la violence des cités dans l’expérience de Samira Bellil, liée à la problématique de l’immigration. La politique mondiale globalisante déplaçant ou éliminant les populations natives aboutit à des tragédies et guerres fratricides insoutenables dans le monde entier.

À travers l’écriture, en contraste, je valorise les sentiments, la beauté, l’harmonie, le discernement, l’intelligence à chérir. Sortir des rapports de possession et de consommation, retrouver la confiance et la fierté d’être qui on est. Arrêter la culpabilisation perpétuelle de soi-même ou d’autrui. Stopper l’exploitation de la misère. En rimes, en prose ou en haïkus, en anglais, allemand ou italien, j’écris dans ce recueil sous différents angles.

L’inspiration vient lorsque je suis connectée à ce qui est d’ordre divin, mystique, non pas dans l’enfermement dans des dogmes religieux, mais dans la foi au sens large, au-delà du reste.

Le Matin d’Algérie : Un mot sur Alexis Denuy avec qui vous travaillez régulièrement.

Catherine Poulain : J’ai rencontré l’artiste et écrivain Alexis Denuy, il y a une quinzaine d’années. Il est devenu l’ami et complice de certaines de mes créations depuis sept ans, de façon complémentaire. Il a du génie, sait aller à l’essentiel, direct dans l’écriture et dans l’action. Nous avons co-fondé le Collectif Now Artists Outsiders, organisé des évènements, des performances et travaillons sur des textes, vidéos et projets en commun. Nous cherchons sans cesse des espaces de création et de diffusion pour présenter notre travail et parfois d’autres artistes que nous choisissons.

Le Matin d’Algérie : Quels sont les poètes et les artistes qui vous influencent ?

Les poésies de Prévert, Eluard, Hugo qui ont nourri mon écriture. J’ai aimé l’écriture de Duras, Rilke, Tanizaki. Les textes des chansons d’Higelin, Renaud et Barbara m’ont hanté durant l’adolescence.

Parmi les artistes contemporains, j’ai apprécié l’Abstraction lyrique de Pollock. Dans l’Art urbain, j’ai rencontré Miss Tic, Jérôme Mesnager entre autres. Dans l’Art contextuel, j’ai travaillé avec Fred Forest.

Le Matin d’Algérie : L’art est l’expression de la liberté par excellence, c’est le langage universel unissant le genre humain, peut-il aider à l’émancipation d’une société ?

Catherine Poulain : L’Art fait comprendre ce qui est difficile à expliquer, la liberté peut avoir un caractère universel. L’Art est libre lorsqu’il ne dépend pas de subventions, ni ne répond à une commande. Il peut s’exprimer tant qu’il ne dépasse pas les limites de la vulgarité, de l’atteinte au respect mutuel. Dans une société, ses membres doivent cohabiter le plus harmonieusement possible. L’émancipation a lieu quand les artistes sont indépendants avec leur identité propre. L’émancipation ne doit pas se tromper de cible, relire l’histoire, ne pas écouter les conseils de charlatans. L’Art unit ceux qui sont curieux de se connaître quand l’écoute mutuelle est fluide.

Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours et à venir ?

Catherine Poulain : Les projets en cours auxquels je participe chaque année sont la fête des artistes au château de Belleville de Gif sur Yvette en Essonne le premier week-end de juin de chaque année et j’expose à la galerie Le Lavomatik arts urbains à Paris.

Les projets à venir sont une exposition de peinture à la Halle des Blancs Manteaux à Paris le dernier week-end de septembre. Il y a  les portes ouvertes de mon atelier à la ZA Vaubesnard de Dourdan, le premier week-end d’octobre et divers projets d’interventions artistiques et l’écriture d’un nouveau livre imagé.

Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?

Catherine Poulain : Je remercie Le Matin d’Algérie de m’avoir proposé cet entretien. Vive l’Art et l’écriture qui font voyager !

Entretien réalisé par Brahim Saci

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