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«Ce pays d’où tu viens & Les galets de l’oubli » de Salah Oudahar

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Avec Ce pays d’où tu viens & Les galets de l’oubli, publié en 2025 aux Éditions d’en bas dans la collection À plus d’un titre, Salah Oudahar nous livre une œuvre à la croisée de la poésie et de la photographie, un livre qui se situe dans l’espace fragile où l’intime rejoint le collectif, où la mémoire individuelle croise l’histoire d’un pays marqué par la guerre, la violence et l’exil. 

Né en Algérie et installé en France, Oudahar n’écrit pas seulement avec des mots mais aussi avec des images. Ses photographies dialoguent avec ses poèmes, non pas comme de simples illustrations, mais comme une langue parallèle qui prolonge et bouscule le texte. À travers ce dispositif, il cherche à restituer une mémoire blessée, celle de son enfance, des lieux disparus ou transformés, des absents qui continuent de hanter le présent.

Ce recueil réunit deux cycles qui dialoguent l’un avec l’autre, comme deux versants d’une même mémoire. Dans Ce pays d’où tu viens, la voix poétique remonte vers l’enfance, cet âge premier où tout semble encore promesse de lumière, mais où déjà l’ombre des drames collectifs s’inscrit dans les corps et les paysages. L’enfant face à la mer, ivre de soleil et de vent, est aussi l’enfant menacé, happé par la violence, arraché à sa mère et jeté dans le gouffre de la guerre. Ce contraste entre la splendeur des paysages méditerranéens et les blessures infligées par l’histoire donne à la poésie une densité tragique. Le pays natal, avec ses plages, ses villages et ses odeurs d’été, devient un lieu hanté : à la beauté de la nature se superpose le deuil des disparus. Le poète convoque des visages d’enfants, des villages brûlés, des arbres calcinés, des voix réduites au silence, et c’est dans cette coexistence de l’éblouissant et du funèbre que son lyrisme prend toute sa force. Chaque vers porte en lui la tension entre l’élan vital et la mémoire meurtrie, entre la promesse d’une aube nouvelle et la douleur des crépuscules interrompus.

Dans Les galets de l’oubli, l’écriture prend une autre tonalité, plus méditative, presque minérale. Après le cri et la brûlure de la première partie, vient le temps du retour, de l’interrogation et de la résistance silencieuse. Les galets, accumulés dans le lit asséché de l’oued, apparaissent comme les témoins muets de ce qui a été vécu. Ils ne parlent pas, mais leur présence obstinée incarne une mémoire qui refuse de se dissoudre. Par leur immuabilité, ils contredisent l’oubli : chaque galet porte en lui le poids des siècles, le passage des eaux, les empreintes des vies disparues. La pierre devient archive, elle se substitue à la voix quand les mots manquent, elle prend le relais des corps et des récits effacés. Ainsi, le poète interroge la possibilité même de transmettre, de se souvenir, d’habiter encore une histoire que d’autres tentent d’effacer.

Ces deux cycles se complètent et se répondent comme les deux battements d’un même cœur, tantôt ardent, tantôt assourdi, mais toujours animé par une volonté de dire. Le premier, Ce pays d’où tu viens, expose la douleur à vif : il ouvre un espace où la vie s’élance, éclatante, avant d’être brutalement traversée par les lames de l’histoire. La poésie y est souffle, cri, éclat de lumière qui affronte l’ombre. C’est l’enfance confrontée trop tôt à la guerre, le corps encore offert au vent marin déjà meurtri par la mitraille. Dans ces vers, le temps apparaît comme un ravisseur, celui qui arrache à l’innocence et précipite vers la perte.

Le second cycle, Les galets de l’oubli, ne vient pas effacer ce cri, mais le prolonger dans une autre tonalité : celle de la méditation, du murmure, du dépôt. Là où la première partie saisissait l’instant de la violence, la seconde recueille ce qui subsiste, ce qui résiste à l’usure. Le temps n’y est plus seulement force de destruction, il devient aussi gardien : gardien des pierres, gardien des traces, gardien d’une mémoire qui se dépose, sédiment après sédiment, sur les rives des oueds asséchés. Ces galets, par leur silence et leur permanence, rappellent que rien ne disparaît tout à fait, que l’histoire, même mutilée, même confisquée, continue de vibrer dans les choses les plus simples et les plus humbles.

Ainsi, le recueil tout entier s’organise autour d’un double mouvement : la déchirure et la persistance, la perte et la survivance, l’effacement et la résurgence. Ce mouvement donne au livre une intensité singulière, car chaque poème se situe sur cette ligne fragile où l’oubli menace mais où la parole poétique se redresse. Écrire devient alors un acte de sauvegarde, un geste de résistance contre la disparition, une tentative d’arracher aux sables du temps des fragments de vie et de mémoire. La poésie ne se contente pas de commémorer : elle ranime, elle redonne souffle à ce qui aurait pu sombrer.

En cela, l’œuvre de Salah Oudahar ne se réduit pas à une simple élégie du passé ; elle se dresse comme un appel à la permanence, une affirmation de vie par-delà les ruines. Chaque vers, chaque image, chaque galet posé dans la langue témoigne de ce désir d’inscrire l’éphémère dans une durée plus vaste. C’est peut-être là la véritable puissance du recueil : faire du temps, cet ennemi qui détruit, un allié qui conserve, et transformer la mémoire en une matière vivante, toujours disponible pour les recommencements.

L’apport de ce livre tient à cette manière singulière de faire dialoguer la parole et l’image, en refusant toute hiérarchie entre les deux. Salah Oudahar ne juxtapose pas simplement des poèmes et des photographies : il invente un espace de rencontre où les mots deviennent images et où les images, à leur tour, portent la densité muette des mots. Ce dispositif crée une continuité sensible à partir du fragment et de la brisure, comme si de l’épars, du discontinu, pouvait naître une forme nouvelle d’unité. Chaque éclat, chaque silence, chaque reprise est un battement, une tentative de maintenir vivant ce qui a été fracturé par la violence de l’histoire et du temps.

L’écriture se construit ainsi dans une esthétique de la discontinuité. Les vers courts, les ruptures, les blancs de la page disent autant que les mots eux-mêmes : ils traduisent les interruptions, les béances, mais aussi la persistance d’une voix qui refuse de se taire. C’est une langue trouée, mais obstinée, qui avance malgré ses blessures, comme une respiration haletante mais tenace face aux désastres. Cette dimension confère à la poésie d’Oudahar une intensité particulière : elle n’est pas simple ornement du réel mais bien une lutte, un combat contre l’effacement. Chaque poème est un acte de mémoire, un refus de céder à l’oubli.

Ce geste poétique s’inscrit dans une lignée : celle des grandes voix algériennes qui ont, avant lui, tenté de dire l’histoire et ses violences, de Kateb Yacine à Tahar Djaout en passant par Mouloud Mammeri. Comme eux, Oudahar mêle la poésie à l’exigence de vérité, l’art au devoir de mémoire. Mais son œuvre dépasse le cadre national. En parlant de l’exil, de la dépossession, de la quête de justice, il touche à des expériences universelles : celles des peuples marqués par la guerre, des individus arrachés à leurs terres, des mémoires que l’on tente d’effacer. En ce sens, son livre n’est pas seulement une œuvre de mémoire algérienne, mais un chant adressé au monde, une voix qui rejoint d’autres voix, d’autres luttes, d’autres errances.

La véritable force de ce recueil réside sans doute dans cette tension entre le particulier et l’universel : en partant de ses lieux, de ses souvenirs, de son histoire, Salah Oudahar parvient à toucher à ce qui concerne chacun : la fragilité du souvenir, le besoin de se réconcilier avec les ruines, et le désir obstiné de faire surgir, malgré tout, un horizon de justice et de liberté.

L’impact de ce livre dépasse ainsi largement le cadre d’un simple témoignage personnel. En choisissant de donner forme à ce qui, sans lui, risquerait de sombrer dans l’oubli, Salah Oudahar accomplit une œuvre de mémoire qui est aussi une œuvre de transmission. Ses poèmes font

Ses poèmes font surgir des visages, des voix, des paysages qui appartiennent autant à son expérience intime qu’à l’histoire collective d’un pays meurtri. Les lieux abandonnés reprennent une consistance, une épaisseur : ils sont nommés, décrits, chargés d’émotions et de souvenirs, de sorte qu’ils cessent d’être de simples ruines pour redevenir des lieux habités par la parole. À travers ses mots et ses images, Oudahar réinsuffle une vie aux absents, il leur restitue une présence, il empêche que leur mémoire soit effacée par le silence des vainqueurs.

Mais cette mémoire n’est pas figée. Elle ne se limite pas à la nostalgie ou au regret d’un passé perdu. Elle agit comme une force active, capable d’éclairer le présent et de préparer l’avenir. En croisant les décombres de l’histoire et les rêves d’espérance, le poète construit un espace où le passé ne condamne pas à la répétition, mais ouvre au contraire à des recommencements. La poésie devient alors le lieu d’une réconciliation possible : avec la douleur, avec les absents, mais aussi avec soi-même et avec le monde.

Cette puissance tient à la double portée de l’écriture d’Oudahar. Elle est profondément intime, nourrie des blessures personnelles, des souvenirs d’enfance, des voix familiales. Mais elle est aussi collective, car ces blessures ne sont pas singulières : elles résonnent avec celles de tout un peuple, et au-delà, avec celles de tous ceux qui ont connu l’exil, la dépossession, l’effacement. Sa poésie touche ainsi à l’universel : en partant d’un pays, d’un lieu, d’une mémoire particulière, elle rejoint l’expérience humaine partagée de la perte et du désir de justice.

En définitive, l’impact de ce livre réside dans cette capacité à transformer la mémoire en horizon, à faire du passé non pas un fardeau mais un levier, une source de dignité et de liberté. La poésie de Salah Oudahar agit comme une invitation : se souvenir, non pour se refermer sur les blessures, mais pour rouvrir le champ des possibles. Elle nous rappelle que, même dans les contextes les plus sombres, la mémoire peut devenir une énergie vitale, une promesse de renaissance et de fraternité.

En refusant l’amnésie, Oudahar inscrit son œuvre dans une continuité historique et humaine : il rappelle que les morts ne sont jamais tout à fait morts, qu’ils continuent de vivre dans nos voix et nos gestes, qu’ils nous accompagnent et nous interpellent. 

Sa poésie est ainsi traversée par la conviction que l’art peut créer un lien entre les générations, entre ceux qui furent réduits au silence et ceux qui ont encore la possibilité de dire. C’est une écriture qui ne sépare pas le poétique du politique, qui voit dans la beauté du langage une force de résistance et dans la mémoire une source de réconciliation.

Par ses mots-images et ses images-mots, l’auteur invente un langage hybride et profondément incarné, où chaque fragment de phrase, chaque éclat de photographie devient une trace vivante. Ces fragments, loin d’être des ruines muettes, composent une mosaïque en mouvement, une fresque où la douleur et l’espérance s’entrelacent. Le lecteur est ainsi entraîné dans un voyage qui n’est pas seulement celui d’un homme vers son enfance perdue, mais celui, plus universel, de l’humanité cherchant à se reconstruire à partir de ses blessures.

De ce voyage intérieur naît une leçon fondamentale : la poésie peut être à la fois mémoire vive et promesse d’avenir. Elle garde ouvertes les cicatrices, non pour s’y enfermer, mais pour les transformer en semences. Elle fait de l’expérience de l’absence une énergie de présence, de l’expérience de la perte une possibilité de renaissance. C’est en cela que le livre de Salah Oudahar dépasse l’œuvre individuelle pour devenir une voix collective, un chant de résistance et d’espérance qui nous invite, nous lecteurs, à habiter autrement notre rapport au temps, à l’histoire et à la dignité humaine.

Brahim Saci

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