Samedi 3 août 2019
Ce que le sociologue « Lahouari a-dit », prédit et omis
Auteur en 1992 du controversé oxymore « Régression-féconde », Lahouari Addi expliquait récemment, et pour la seconde fois, que sa litote de l’époque signifiait que les émirs du Front islamique du salut (FİS) pouvaient positivement évoluer, ce que démontre selon lui l’actuel discours d’Ali Belhadj, désormais plus « (…) le même avec celui des années 1980 » (L .Addi, in L’Expression, 28 avr. 2019).
Le professeur à Sciences-Po Lyon prévoyait donc à l’avance l’aggiornamento, ou la reconversion quiétiste, de l’un des principaux prédicateurs du courant fondamentaliste, devenu d’autant plus fréquentable qu’il saurait maintenant faire «la différence entre un mauvais musulman et un bon citoyen » (İbidem), distinguer le tueur à gage réservant, au cœur de la décennie 90, une balle dans la tête aux francs tireurs laïco-assimilationistes.
Se rapportant à la rahma compactée le 29 septembre 2005 en charte de la Réconciliation nationale (Moussalaha el wataniya), la réhabilitation-absolution ne concernera pas la « Lettre de Pardon » qu’Abdelaziz Bouteflika communiquera le 03 avril 2019, missive à laquelle l’universitaire répondra prestement, comme pour accréditer (à lui-même) un autre certificat de bonne conduite, se repositionner au sein du débat public.
C’est aujourd’hui sur le blog « Sociologie, culture et politique » qu’il décrypte les chamboulements amorcés depuis le 16 février 2019, certifie que les stades de football sont les incubateurs du « Hirak », les arènes où germera le tube La Casa d’el Mouradia. Tournant longtemps en boucles, le « tube » cible un pôle gouvernemental métamorphosé en plaque tournante de la rente pétrolière, les « Boutefs » y répartissant des mannes distribuées sans acquis notables pour les harraga dérivant sur leurs embarcations d’infortunes à partir des plages d’Annaba, de Jijel, d’Alger, d’Oran ou d’ailleurs.
À l’avant-garde de la protestation sociale, les jeunes de Bab-el-Oued dénonceront le sort des victimes du vaste cimetière marin, ces fracassés d’un système militaro-industriel à la tête duquel la hiérarchie décisionnelle n’aurait « (…) pas fait sortir les chars parce qu’elle craignait que la troupe et les officiers rejoignent les manifestants », arguait en mai dernier un chroniqueur pareillement convaincu que, inéluctable, « La transition vers un nouveau régime sera pacifique ou sanglante » (L. Addi, in L’Expression, 12 mai. 2019). En mars 2014 (veille du 4ème mandat de Bouteflika), Ahmed Taleb İbrahimi n’entrevoyait pas de solution en dehors d’une réaction violente à assumer face aux affres de gradés déjà «(…) sur la défensive » et tentant maintenant« (…) de sauver ce qui peut être sauvé ».
Quoi au juste ?, les ports secs du transit tous azimuts, des privilèges, pré-carrés, réseaux transactionnels, joint-ventures, dépôts bancaires offshores ou fonds spéciaux, autant de « caches » tolérées du côté d’une communauté internationale fermant les yeux en vertu de la sacro-sainte stabilité régionale et conformément à des intérêts communs. Tout le monde y trouve son compte, sauf les Algériens, majoritairement stupéfaits de découvrir l’existence de généraux « (…) happés par la corruption », tant celle-ci demeure « (…) le résultat d’un mécanisme institutionnel au centre duquel se trouve la hiérarchie militaire » (L .Addi, in L’Expression, 06 mai. 2019). Bien que ne soutenant pas la plupart des thèses de l’analyste, nous lui reconnaissons néanmoins d’avoir su cerner l’origine de l’engrenage monopolistique, la source de laquelle découlent, depuis juillet 1962, des rétentions capitalistiques synonymes d’emprises cannibales ou prédatrices.
Accaparement et épanchement sont les deux faces d’une même monnaie. Le premier terme renvoie aux concentrations bancaires et le second à la théorie du ruissellement que le directeur du budget de Ronald Reagan promouvait en 1981 en prétendant que la réduction fiscale des plus riches entraînerait de facto des retombées économiques bénéfiques à l’ensemble de la société américaine. Fictive, cette idée de « trickle-down effect » ne profitera qu’à la classe de nantis, notamment en France où les principaux guides de la « cordée macronienne » réitéreront le flux tendus d’une croyance aboutissant à l’émergence des « gilets jaunes ». En Algérie, la fronde populaire débutée le 16 février a, en principe, pour finalité la création d’un « État dirigé par des personnes qui ont la légitimité d’exercer l’autorité publique (…), un autre mode de gouvernance » (L. Addi, in L’expression, 13 juin. 2019), soit la mise à l’écart ou neutralisation des opérateurs et clients VİP du processus rentier.
À ce sujet, nous regrettons d’emblée que Lahouari Addi ne livre pas le patronyme des généraux introduits (directement ou indirectement) au sein du monde des affaires. Assurant que « Le colonel à la tête d’une unité opérationnelle ne fait pas de politique » (İbidem), le professeur émérite oublie d’indiquer qu’il profite d’une hagiographie complaisance le présentant en tant que digne héritier des chefs de wilayas (ceux de l’Armée intérieure), mythe qu’exploitent à satiété certains maillons forts de la chaîne de commandement.
S’estimant dédouanés des mesures contraignantes, ces planqués tireurs de ficelles, contrefacteurs des dépouillements électoraux et boursicoteurs patentés, entravent la libre pratique des actes politiques et la circulation cathodique de thématiques susceptibles d’émanciper la Cité. İls s’arrogent des prérogatives, confisquent les leviers directionnels, nomment les magistrats, manipulent la justice et la presse, deux piliers sans la libération desquels l’espérance démocratique ne se concrétisera pas.
Optimiste, Lahouari Addi pense que le « Hirak » souffre d’une crise de croissance, présage que la nouvelle génération d’officiers issue du moule non autoritaire donnera bientôt « (…) naissance à une nouvelle République dans la continuité historique du Mouvement national » (İbidem). Celui en cours de maturation impacte vendredi après vendredi une pression constante sur des ordonnateurs qui « Finiront par lâcher prise (…), essayent de se protéger en jetant les civils de service en pâture, et quand (ceux-ci) seront en prison, ils commenceront par se débarrasser des généraux les plus encombrants » (Lahouari Addi, page facebook, 16 mai. 2019).
À l’instar des politologues et constitutionnalistes Mohamed Hadir, Fatiha Benabbou, Bélaïd Abane, Ali Mebroukine et Ahmed Rouadjia (qui assertent successivement que la transition réclamée reste une revendication minoritaire, que Bensalah peut finalement proroger son mandat, que l’aporie a pour raison essentielle la guerre souterraine opposant les réseaux de l’ex-DRS et l’Armée, que les mentors de ces entités ne couvent pas un régime mafieux ou délinquant, que l’état-Major et son chef Gaïd Salah ont été réceptifs aux revendications du « Hirak ») Lahouari Addi a la fâcheuse tendance de prêter aux factotums (dont il ne révèle encore une fois jamais les noms) des intentions qu’ils n’ont pas obligatoirement.
Oubliant leur perversité, la nature vicieuse d’hommes à l’esprit borné, il campe sur des convictions supposant que le blocage durera « Jusqu’à septembre-octobre», période butoir suite à laquelle « L’EM va céder du terrain pour discuter des prérogatives constitutionnelles du futur chef d’État à élire » (L. Addi, in Algeriepart, 11 juil 2019), sans toutefois lui accorder « (…) une totale mainmise sur l’Armée ». Notre visionnaire discerne des prémices encourageantes, « (…) un pas vers la construction de l’État en Algérie » (İbidem), mais la notion de ruissellement (mise en exergue plus haut) nous oblige à lui rappeler (hormis les noms manquants de généraux aux manettes des circuits corrupteurs) les verrous et travers risquant d’empêcher l’accomplissement de la décantation salvatrice que beaucoup nomment « Révolution » et que nous préférons traduire par soulèvement ou encore conscientisation. Puisqu’il existe « (…) une relation de cause à effet entre l’appropriation de la souveraineté nationale par la hiérarchie militaire et la corruption généralisée » (L .Addi, in L’Expression, 06 mai. 2019), revenir à l’essence indicielle (ou indiciaire) de cette corrélation permet d’obtenir une clef de compréhension, d’accéder à la voûte historique d’intelligibilité, de suivre notamment l’itinéraire emprunté par Catherine Simon, rédactrice du livre Algérie, les années pieds-rouges, des rêves de l’indépendance au désenchantement-1962/1969 (« La découverte », août 2011). L’ancienne journaliste du quotidien Le Monde y dévoile les siphonages des biens-vacants par les commissaires politiques du Front de libération nationale (FLN), derniers arrivés mais principaux orchestrateurs d’une rapine amplifiée, d’un enfumage rhétorique formatant la population à l’assistanat et lui donnant l’illusion d’avancer en direction du développement promis.
Aux accents unanimistes, la logomachie révolutionnaire cachait les desseins de potentats sans foi ni loi accaparés à étrangler l’autogestion puis à étouffer les initiatives créatives de femmes et d’hommes contraints à l’exil. Beaucoup de ces rivaux (ainsi appréhendés en raison de leur intelligence ou habile volonté de contourner les empêchements) pâtiront d’une logique implacable consistant à éliminer (administrativement, professionnellement, moralement ou physiquement) les potentiels concurrents. İgnorer cet antagonisme tribal, c’est passer à côté de la problématique initiale, abdiquer et refuser de s’opposer à un vice ministre de la Défense qui « (…) veut reconstruire le même régime avec un autre personnel civil » (İbidem).
Deux mois après cette mise en garde, Lahouari Addi renoue avec ses précédentes, croyances ou naïvetés, lorsqu’il suggérait (le 08 avril 2014 dans le quotidien Algérie News) que la candidature de Bouteflika était un leurre avancé au profit d’Ali Benflis, présumait que les « mani-tous » avaient, en extrême ressort, transformé une tortue en lièvre. Mentionné un mois plus tôt (le samedi 1er mars) sur le site Maghrebemergent, cette pirouette lui valut des commentaires moqueurs l’incitant à aller consulter un « (…) psychologue ou psychiatre. ».
Lahouari Addi reconduisait à l’époque l’idée que l’Armée incitait Bouteflika à se retirer en douceur. Surpris de sa reconduction, il appréhendait dès lors de futures émeutes, zappait au passage les enjeux symboliques de l’heure. L’ex-ministre des Affaires étrangères de Boumediène caractérisait une espèce en voie de disparition, une rareté que les récipiendaires de la légitimité historique et de l’import-import (ligués par les identiques profits emblématico-économiques) thésauriseront à l’extrême. Suite à l’interrogation du webzine Maghrebemergent (du 13 janvier 2019), « Que pensez-vous de l’élection présidentielle prévue en avril 2019 ? », Lahouari Addi soulignait cette fois qu’au moment du quatrième mandat « Les militaires entretenaient la fiction que Bouteflika voulait se représenter (…), ne pouvaient s’y opposer du fait qu’il est le chef suprême des forces armées (…) répéter le même scénario pour le 5ème mandat car il est à peine conscient de ce qui se passe autour de lui. ».
On le voit, l’autocritique ne semble pas être l’apanage d’un « spécialiste de l’advenir » prophétisant alors, « İl est possible que les généraux fassent appel à Lakhdar Brahimi qui présente l’avantage d’être sans ambitions politiques. ». Malgré des méprises répliquées, nous retiendrons, malgré tout, la perspicacité d’un Cassandre prévenant en ultime ressort que le « (…) régime va s’écrouler dans la violence » (L .Addi, in Le Matin, 24 avr. 2012). Reflétant la « (…) culture féodale (et l’) appétit insatiable d’un régime refusant l’autonomie du pouvoir économique » (L. Addi, in Maghrebemergent, 13 janv. 2019), cet avis décèle une tragique conclusion, finalité à méditer et sur laquelle reviendra notre prochaine contribution. (*) Faisant suite au texte « L’état-major a gagné la bataille de la division », et rédigée le 25 juillet 2019, cette intervention ne tient pas compte de celles que le sociologue a fait publier les 27/07 et 03/08/2019 au sein du webzine Lematindalgerie.