Lorsque la reine commençait à donner des signes inquiétants et que la rumeur annonçait que son fils, Charles, prendrait probablement le titre royal de Charles III, je me suis dit qu’il n’oserait pas. Eh bien oui, il a osé prendre la relève des noms des rois maudits d’Angleterre.
Dans cet avenir incertain qui fait face au Royaume Uni, il est en tout cas une certitude, leur nouveau souverain n’est pas superstitieux et possède ce si célèbre « humour British ».
Les deux grands défis qu’aura à faire face l’après-règne d’Élisabeth II sont justement ceux qu’auront affrontés les deux rois maudits d’Angleterre, Charles I et Charles II. C’est en tout cas ma vision personnelle que je voudrais partager.
Reprenons les choses dans un ordre qui, pas à pas, nous éclairera sur ce sentiment.
L’usage des noms royaux
Ce n’est que l’usage qui détermine le choix des noms des souverains. Dans les dynasties européennes, l’usage veut que ce soit le prénom suivi du chiffre ou nombre qui indique la position de celui-ci dans la liste des mêmes prénoms qui ont été portés par les souverains précédents.
Que Charles, héritier de la reine Elisabeth II, prenne le nom de Charles III était assez logique et attendu par la majorité des chroniqueurs de la couronne. Mais ce n’était pas une obligation.
À ce sujet, il faut rappeler que sa mère, Elisabeth II, avait repris un nom assez téméraire et risqué pour l’union du Royaume Uni. Elisabeth I fut la terrible fille d’Henri VIII, lui-même de réputation encore plus terrifiante dans l’histoire Britannique.
Pour une reine anglaise portant ce nom, Elisabeth, c’est un signe de mourir dans une contrée, l’Ecosse, où celui-ci est de sinistre mémoire. Il fut celui de la reine d’Angleterre qui a fait assassiner la bien aimée reine d’Ecosse, Marie Stuart, cousine d’Elisabeth.
Et lorsqu’on connait les velléités de plus en plus fortes du peuple écossais à obtenir l’indépendance et rejoindre de nouveau l’Europe, on ne peut s’empêcher de faire le lien avec ce qui attend Charles III.
Les rois maudits d’Angleterre
C’est l’une des erreurs de la mémoire collective sur les faits historiques des plus insistantes. Le peuple qui a coupé la tête au roi pour établir une république (un siècle après) serait le peuple français si on questionnait cette mémoire collective.
Et cette erreur chronique fait immédiatement le parallèle avec les Anglais qui, eux, auraient toujours gardé leur roi. Si cela est vrai dans la longévité de l’histoire, il n’en est rien du point de vue des faits chronologiques. Les Anglais ont décapité leur souverain bien avant que le peuple révolutionnaire français ne l’eût fait.
Charles 1er, roi d’Angleterre en 1625, a déclenché une guerre civile entre ses partisans et ceux du Parlement qui souhaitait une monarchie moins autoritaire et imposer un régime constitutionnel.
Battu, il refuse les demandes, se condamnant ainsi à la décapitation après un procès pour haute trahison. La monarchie fut abolie et remplacée par une république dirigée par Oliver Cromwell.
Après sa fuite en Ecosse où il fut proclamé roi, les circonstances qui suivirent la mort de Cromwell ont amené son fils, Charles II, à monter sur le trône d’Angleterre en 1660.
Mais la malédiction s’est abattue de nouveau sur le fils comme elle s’était abattue sur son père. Le descendant des Stuart dû affronter une très grande épidémie de peste avant de connaître, un an plus tard, le grand incendie qui dévasta Londres. Il ne dura pas longtemps sur le trône après ces deux grandes crises puisqu’il fut foudroyé par une violente attaque quelques années plus tard (en ces temps le diagnostic ne pouvait nous en donner la cause précise).
C’est dire s’il faut être téméraire ou totalement dénué de superstition pour endosser le nom de Charles III et poursuivre la lignée des deux infortunés rois qui portèrent le même. Nous en venons ainsi au lien que je voulais faire entre Charles III et ses prédécesseurs, Charles I et Charles II.
Charles III, un nouveau roi maudit ?
C’est tout d’abord l’impopularité de Charles III auprès des sujets du royaume Britannique. Elle n’a cessé de s’amplifier avec ses déboires matrimoniaux et la mort de l’icône de tout un pays, sinon du monde, son ancienne épouse Diana, dont on l’accuse d’en être le responsable indirect.
Puis, il faut dire que l’ombre écrasante de sa mère qui refusa, jusqu’au dernier souffle, d’abdiquer au bénéfice de son fils ne lui a pas donné beaucoup de chance, avec une usure certaine dans l’âge et la notoriété.
Enfin, les actes de son fils cadet qui ont définitivement placé l’aîné comme l’héritier préféré et souhaité du peuple Britannique.
Mais si nous voulons faire un parallèle plus étroit avec les deux autres Charles, nous dirions que Charles III est, à mon sens, face au même défi de la couronne à se maintenir en place.
Certes les républicains sont une frange très minoritaire dans le pays mais les frasques de cette famille royale ont, depuis deux décennies, reposé le questionnement du sens de la monarchie et de son coût devenu très élevé (même si réellement elle ne coûte qu’un peu plus d’un euro par an pour chaque contribuable).
La solidité de la royauté n’a tenu que par la très grande place que tenait sa mère. Son père, comme la reine mère avaient assumé une image héroïque durant la seconde guerre mondiale. En cela, ils ont joué le rôle qu’on attend du souverain dans une monarchie constitutionnelle, soit la référence de l’unité nationale, de la stabilité et de la continuité de la nation.
Rôle qu’elle a ensuite parfaitement assumé à travers le prestige britannique qu’elle a contribué à maintenir dans le monde. La royauté tenait encore solidement par ce lien affectif de reconnaissance très puissant pendant soixante-dix ans.
Je doute sincèrement que cette majorité du peuple résiste longtemps pour rejoindre les rangs de la minorité républicaine. Même si nous avons l’incarnation du contraire avec la nouvelle Première ministre qui fut républicaine auparavant.
Qu’en sera-t-il pour Charles III qui n’a absolument pas comme allié les mêmes circonstances qui ont porté si haut sa maman et qui débute avec une popularité si faible ? Subira-t-il le même sort que Charles I, soit l’établissement de la république (la mort exclue).
D’autant que l’attend la seconde malédiction, celle que nous pouvons rapprocher du malheureux Charles II. Il doit maintenant être confronté à une situation redoutable car le pays est profondément divisé après l’interminable affrontement sur le Brexit.
Les conditions économiques mondiales du moment, surtout avec les retombées de la guerre d’Ukraine, ne l’aideront pas, comme ce fut le cas de la peste et de l’incendie de Londres qui ont été sur la route de Charles II.
Car, de plus, le grand projet enchanteur de l’Angleterre qui justifia le Brexit n’est pas au rendez-vous. Ce traité que voulait l’Angleterre avec les Etats-Unis, alliés historique des Anglais, s’éloigne chaque jour d’avantage.
Et que dire du rêve du retour de la puissante Angleterre qui voulait retrouver sa place dans les territoires du monde dont elle pensait avoir gardé son influence. Ni les pays asiatiques, ni le Canada, ni l’Australie, pour ne citer que les plus grands, ne comptent ouvrir leurs bras aussi facilement que les partisans du Brexit ne le promettaient.
Et le principal défi qui s’annonce est celui de l’Ecosse et de l’Irlande du Nord, un risque certain pour le Royaume-Uni qui ne justifierait plus son nom. Ce pauvre Charles III ferait revivre le destin de Charles I en ce qui concerne la royauté car nul doute qu’elle en sera détruite.
Voilà donc exposé mon sentiment personnel sur le destin d’un Charles III qui risque de rejoindre le club des rois maudits d’Angleterre et qui a gardé son humour britannique de vouloir associer son nom au leur.
Boumédiene Sid Lakhdar, enseignant