22 novembre 2024
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Cher Rachid Nekkaz

TRIBUNE

Cher Rachid Nekkaz

Nous avons reçu ta lettre et nous sommes nombreux, très nombreux à l’avoir lu. La charge émotionnelle qui s’en dégage nous a tous atteints. Nous n’y puisons non pas un sentiment d’impuissance mais une capacité de résilience qui nous permettra de triompher toutes et tous collectivement des épreuves dont nous souffrons.

Ta lettre, tu l’as expédiée de la prison d’El-Abiodh Sidi Cheikh dans le désert où tu as été transféré dans des conditions inhumaines. Tu as été escorté et menotté durant un trajet long et chaotique comme l’on transportait les déportés de 1871 vers les bagnes de la Guyane ou la Nouvelle Calédonie. Cela rappelle également le transfert vers la prison de Tazmamart que tu mentionnes, de la famille Oufkir (de jeunes enfants et leur mère pourtant innocents) lorsque le roi Hassan II avait décidé de se venger, avec cruauté, de son général séditieux. Sauf que toi tu n’es pas général et tu n’as rien fait de répréhensible. Comme arme, tu avais en tout et pour tout un smartphone. Il te permettait de nous informer de tes rencontres avec les Algériens lorsque tu sillonnais le pays de wilaya en wilaya.

Aucune corruption, aucun complot, aucun délit ne peut être retenu contre toi. Ton dossier judiciaire est vide. Les observateurs du monde entier savent que c’est un dossier dans lequel on ne trouve que quelques éléments préfabriqués et déposés à la hâte par la police politique. Emmanuel Macron le sait aussi mais il a décidé de se taire parce que tu es malmené par la justice de son ami Abdelmadjid Tebboune qu’il soutient ouvertement et fermement.

De plus, le président français est occupé, très occupé à défendre Maria Kolesnikova et Alexeï Navalny. Non pas parce qu’il s’agit, en effet, d’une cause juste mais parce qu’ils sont respectivement prisonniers des régimes du biélorusse Alexandre Loukachenko et du russe Vladimir Poutine. Ces deux-là ne sont pas, officiellement, les amis de Macron.

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En les désignant comme ennemis et geôliers de militants démocrates, il se donne, à peu de frais, une posture de défenseur des droits de l’homme et cela peut l’aider à  faire remonter sa côte de popularité. Ce n’est pas ton cas lors même que tu vivais en France avant ton arrestation, lors même que ta vie durant tu as travaillé et enrichi le trésor public français. Tu n’aurais pas renoncé à ta nationalité française n’aurait rien changé.

En France ils disent que tu es un militant « controversé » parce que tu payais les amendes de « femmes en burqa ». Moi aussi ça me choquait mais franchement, ça me semble une broutille au regard de tous les risques que tu prenais pour que les Algériens vivent libres, pour que l’Algérie soit un pays attractif. Mais tu comprends bien, Macron ne peut pas te le pardonner.

Pire encore, tu dénonçais les oligarques algériens qui plaçaient leur fortune en France. Tu repérais leurs comptes bancaires, tu montrais leurs somptueuses demeures et ça, ni le régime algérien, ni celui de la république française ne peuvent le tolérer. Mais diable, tu ne te rends pas compte !? Tu voulais arrêter les flux financiers sud-nord, tu voulais mettre fin à l’argent sale, tu voulais mettre à nu les affaires de gabegies qui arrangent les hommes politiques des deux rives, tu voulais réconcilier les deux pays sur des bases saines !? Un vrai blasphème mon cher ami.

Du coup, tu es trainé dans les prisons de haute sécurité avant même d’être trainé devant les tribunaux. Nous savons ce que tu endures derrière les murailles et les miradors qui ont l’œil sur toi et sur d’éventuels gardiens qui auraient de la sympathie pour ton combat. Nous savons que Belkacem Zeghmati dont tu dénonces les systèmes judiciaire et carcéral ne pardonne rien non plus.

Alors il t’a envoyé dans cette enclave isolée du désert, loin de tout contrôle, loin de tout sentiment humanitaire. Nous savons que l’arbitraire, la punition, la violence servent de boussole politique à « la nouvelle Algérie » et vous êtes près d’une centaine de prisonniers politiques à en payer le prix au jour d’aujourd’hui. 

La carte des prisons qui vous embastillent raconte votre histoire, une histoire identique à celle que racontaient les geôles coloniales. Cette ressemblance n’est pas fortuite, le système d’aujourd’hui a repris, telles quelles, les règles absurdes et brutales du système d’hier. Comme tu le sais, l’Algérie tarde à se débarrasser du fardeau de son héritage colonial. Mais, comme le 1er novembre hier, le 22 février aura raison demain de cette Algérie décivilisée.

En attendant que les foules, par millions, reprennent le chemin des luttes, parce qu’elles le reprendront, nous dirons, à la face du monde, ce que tu endures, ce que vous endurez tous. Nous dirons que fragilisé par l’incarcération, menacé par le manque de soins, tu risques de subir le même sort que le docteur Kameldine Fekhar et ça, nous ne pouvons le tolérer. Emmanuel Macron et tous les adeptes du silence devant les tragédies algériennes recommencées ne pourront pas dire nous ne le savions pas.

Rachid, je te redis toute mon amitié et tout mon soutien. Nous sommes nombreux, très nombreux à penser à toi et à tous les prisonniers d’opinion. Azul fell-ak a gma !

Hacène Hirèche, consultant et militant associatif

Auteur
Hacène Hirèche, consultant et militant associatif

 




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