Parue en janvier 2025 dans la collection DunodGraphic, Chroniques de Tunisie est un album qui fait mouche. Signée Anna Chronique, enseignante et autrice, cette bande dessinée mêle humour, vécu personnel et regard affûté pour raconter une expérience d’expatriation pas comme les autres. Celle d’un jeune couple de professeurs français envoyés en Tunisie en 2008, sans savoir qu’ils vont assister, quelques années plus tard, à la Révolution du Jasmin.
Le projet part d’un ras-le-bol. Anna et Boris, tous deux affectés en zone de remplacement (TZR), naviguent d’un établissement à l’autre, sans stabilité. Ils postulent alors à des postes à l’étranger. Le choix du contrat de résident, ni trop précaire ni trop doré, les mène en Tunisie — un pays méconnu, encore sous le joug de Ben Ali.
Avec légèreté, Anna explique les statuts d’expatriation, les démarches administratives, les premières surprises culturelles. Très vite, le lecteur est embarqué dans un quotidien dépaysant et chaleureux : taxis collectifs, appels du muezzin, files d’attente absurdes, et rencontres hautes en couleur.
Le ton est vif, drôle, souvent tendre. Le dessin, en bichromie noir et bleu turquoise, évoque Margaux Motin tout en gardant une signature personnelle : expressivité, lisibilité, sobriété. Mais l’album ne se limite pas à un carnet de voyage. Il devient, au fil des pages, un vrai document de terrain. À partir de décembre 2010, le récit change de tonalité : la révolution gronde, la rue s’enflamme, et le couple se retrouve témoin d’une bascule historique.
Anna Chronique ne surjoue rien. Elle observe, interroge, transmet. Son regard d’enseignante, d’étrangère et de femme donne à la BD une profondeur politique sans jamais perdre sa fraîcheur. Chroniques de Tunisie réussit ainsi à faire cohabiter le récit intime et l’analyse sociale, le rire et la lucidité
Un album lumineux et nécessaire
Dans le paysage de la BD documentaire francophone, cette publication de DunodGraphic trouve toute sa place. Elle prolonge une tradition d’ouvrages à mi-chemin entre journalisme dessiné, témoignage et pédagogie. Et elle parle aussi aux Algériens, pour qui la Tunisie est à la fois proche et méconnue. Ici, pas d’exotisme creux ni de regard condescendant. Juste une histoire vraie, bien racontée, humaine, utile.
À recommander à tous ceux qui s’intéressent à la Méditerranée contemporaine, aux révolutions arabes, à l’enseignement en contexte international — ou simplement à la bande dessinée intelligente
Djamal Guettala