À un moment où le secteur du cinéma est plongé dans le coma, un groupe de cinéastes et de professionnels a adressé au chef de l’Etat, Abdelmadjid Tebboune, une lettre ouverte dénonçant l’inertie institutionnelle et l’écart entre les orientations politiques affichées et les mesures concrètement mises en œuvre.
Cette interpellation intervient au lendemain d’une réunion spéciale présidée, le 8 décembre 2025, par Abdelmadjid Tebboune, consacrée au grand projet cinématographique sur l’Émir Abdelkader et à la stratégie plus large de développement de l’industrie cinématographique nationale.
Une lettre qui exprime un malaise profond dans la profession
Les signataires affirment saluer l’intérêt personnel du chef de l’État pour le cinéma, mais constatent que, près d’un an après les Assises nationales du cinéma, aucune recommandation professionnelle n’a été appliquée.
Ils posent une question lourde de sens : qui bloque la mise en œuvre des décisions censées relancer le secteur ?
Le ton est mesuré mais ferme : bureaucratie alourdie, restrictions des espaces d’expression artistique, absence des professionnels dans les processus décisionnels.
Le décret portant création du Centre national du cinéma (CNC) est cité comme un exemple d’une approche « strictement administrative », déconnectée des réalités du terrain.
Une réunion présidentielle empreinte de doutes
La réunion du 8 décembre, présidée par le chef de l’État, a rassemblé plusieurs hauts responsables impliqués dans le pilotage du secteur : Boualem Boualem, directeur de cabinet de la Présidence, Kamel Sidi Saïd, conseiller chargé de la communication, Malika Bendouda, ministre de la Culture et des Arts, Fayçal Metaoui, responsable du dossier cinéma à la Présidence, Abdelkader Djoumma, conseiller au ministère de la Culture, Salim Aggar, directeur de la Fondation Émir Abdelkader et Anouar Hadj Ismaïl, producteur et réalisateur.
Cette réunion, centrée à la fois sur l’avancement du film consacré à l’Émir Abdelkader et sur l’élévation du cinéma national, se veut comme une démonstration de l’intérêt pour le cinéma. Mais la réalité est plus prosaïque. Il n’y a eu aucun grand film produit ces dernières années. La production est simplement en panne. Non pas faute de scénarios, mais de volonté politique.
Elle met aussi en lumière un paradoxe : si la présidence multiplie les signaux d’engagement, les mécanismes institutionnels censés traduire cet engagement restent, selon les professionnels, bloqués ou inefficaces.
Un décalage persistant entre la parole politique et la réalité sectorielle
Les cinéastes rappellent que les textes adoptés récemment ont eu pour effet d’accentuer la centralisation et de marginaliser davantage les professionnels, alors que la relance du cinéma nécessite, au contraire, un cadre souple, transparent et participatif.
La lettre pose donc une question directe : qui assume la responsabilité de l’échec de l’organisation du secteur ?
Cette interrogation prend un relief particulier au moment où le chef de l’État supervise personnellement un projet cinématographique d’envergure. D’où d’ailleurs l’incongruité de la situation, car dans un pays normalement constitué, un chef d’Etat ne se réunit pas pour décider d’un film. Cette réunion sur la production d’un énième film sur l’émir Abdelkader dit beaucoup sur la verticale du pouvoir même dans la production cinématographique.
Pour les professionnels, il y a urgence à traduire la vision présidentielle par des instruments institutionnels cohérents et un fonctionnement administratif respectueux du rôle des acteurs du terrain.
Un appel à un arbitrage politique clair
La démarche des professionnels reste constructive : ils affirment vouloir servir le pays, porter des œuvres de qualité et relancer la présence du cinéma algérien sur la scène internationale.
Mais ils soulignent que cette ambition demeure tributaire d’un environnement favorable et de décisions publiques alignées avec les besoins réels du secteur.
Alors que la réunion du 8 décembre confirme un intérêt présidentiel renouvelé, la lettre ouverte rappelle que le cinéma algérien ne pourra se relever sans une clarification des responsabilités, une simplification du cadre réglementaire et une véritable association des professionnels aux décisions.
La balle est désormais dans le camp des institutions chargées de traduire politiquement ce qui, pour l’instant, reste largement au stade des intentions.
Samia Naït Iqbal

