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Circulaire Retailleau : débat de capacité ou identitaire ?

Bruno Retailleau.

Retailleau aux manettes pour le dossier AME.

La déclaration du premier ministre, François Bayrou, « La France est submergée par l’immigration » a ravivé un débat brûlant dans la classe politique alors que la fracture de la population est au plus fort dans la longue histoire de la question migratoire.

Elle n’est pas tout à fait surprenante même si le premier ministre a toujours été le visage du centre. La reconduction de Bruno Retailleau, cette fois-ci au poste de ministre de l’intérieur, avait déjà été un appel au renforcement des dispositions légales concernant l’immigration.

La nouvelle circulaire de Bruno Retailleau à propos de l’immigration clandestine est en cohérence avec un ministre qui a été de tous les combats de rejet des avancées sociétales, comment pouvait-on attendre de lui une autre politique que celle d’une extrême droite française ?  Celle-ci le pousse à aller beaucoup plus loin en l’accusant d’être un « faux dur ». C’est dire la marge de durcissement avec un Rassemblement National et ses satellites qui sont aux portes du pouvoir et soufflent continuellement sur les braises.

La nouvelle circulaire est dans l’air du temps, partagée dans son esprit dans de nombreux pays européens où l’ascension de l’extrême droite est fulgurante. La venue de Donald Trump au pouvoir nous fait diriger droit vers la généralisation de la peste noire d’avant-guerre.

Essayons d’examiner le contenu de la circulaire et d’en rendre compte aux lecteurs d’une manière simplifiée avant de nous pencher dans l’évocation des arguments, ceux des justifications capacitaires contenus dans le texte et ceux, sous-entendus, de l’identitaire.

Le contenu de la circulaire

La circulaire de Bruno Retailleau est un durcissement de la question de la régularisation des étrangers en situation irrégulière. Elle établit les nouvelles règles qui se substituent à celles de la circulaire de novembre 2012 de Manuel Valls, ministre de l’intérieur.

La circulaire de Manuel Valls était dans la recherche d’un équilibre introuvable qui se résume par deux déclarations, « la lutte contre l’immigration irrégulière est une priorité du gouvernement » et « prendre en compte de façon  juste les diverses réalités humaines ». Ce second point a eu tendance à nous faire oublier le volet d’encadrement sévère.

La circulaire Retailleau resserre donc les critères. Un indice de forme pourrait dès le départ nous avertir de la force restrictive, 12 pages pour la circulaire Valls contre 3 pour celle de Bruno Retailleau.

Car avec cette dernière, point besoin de fioriture de bonne conscience pour les exceptions ou celles qui n’arrivent pas à trancher entre le sévère et l’humanitaire dont nous avons retenu de la circulaire Valls. 

La doctrine de Bruno Retailleau contenue dans la circulaire repose notamment sur deux principes qui justifient la régularisation des étrangers en situation irrégulière.

– Les exigences d’intégration doivent être renforcées et rester exceptionnelles.

– L’ AES, Autorisations Exceptionnelles de Séjour, n’est possible qu’en l’absence de menace à l’ordre public. En cas de refus, les préfets doivent immédiatement prendre une décision d’OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français). 

En plus de ces deux dispositions qui sont particulièrement retenus, le durcissement concerne également le délai de présence pour évaluer l’intégration qui est désormais de sept ans contre cinq pour la circulaire Valls.

Il est désormais exigé une maîtrise de la langue française bien plus importante qu’auparavant. Dans la circulaire Valls « une maîtrise orale au moins élémentaire », celle de Bruno Retailleau privilégie « la justification d’un diplôme français ou bien d’une certification linguistique, délivrée par un organisme dûment agréé ». 

Enfin, Bruno Retailleau exige de ses préfets qu’ils ne régularisent aucun étranger en situation irrégulière s’il est frappé d’une OQTF.

Rappelons que les instructions données aux préfets par une circulaire ne sont pas opposables aux contenus des textes législatifs antérieurs. Une circulaire nous dit la constitution française est de l’ordre réglementaire soumis à l’ordre législatif.

Bruno Retailleau précise ainsi que la circulaire ne peut avoir un caractère autre qu’exceptionnel. Il est évident qu’en l’absence d’une majorité stable en faveur du gouvernement, elle est pour le moment la seule voie possible avant une loi beaucoup plus répressive que les précédentes.

L’obligation de modération par les exigences économiques

La réalité française est incontournable, comme elle l’est dans tous les pays occidentaux, soit le vieillissement de plus en plus rapide de la population et du refus de certains métiers pénibles et moins valorisants pour les « français de souche » et même pour les étrangers résidents de longue date. Une réalité déjà présente dès les années 60’.

Ces deux raisons sont de plus en plus mises en avant par les entreprises. Le manque de main d’œuvre dans beaucoup de secteurs est criant, on appelle cela des métiers à tension.

Si les alertes sont anciennes et permanentes de la part des organisations patronales des branches professionnelles concernées, elles sont aujourd’hui un appel désespéré à réagir face à une menace vitale pour l’économie française.

Pour exemples les branches de l’hôtellerie et restauration, du bâtiment et de bien d’autres services sans lesquels les entreprises prévoient un écroulement économique. Pour cela il suffit de le constater. Un exemple personnel pour une période ne s’étalant pas au-delà d’un mois, les peintres étaient algériens, le plombier, Polonais, le vérificateur du compteur pour le gaz, Tunisien, le livreur d’Amazon, je ne sais plus mais à l’évidence un étranger de courte date puisque parlant le français avec un accent indéfinissable pour moi.

Pour ce qui est de l’extérieur, les hôpitaux, les commerciaux, les chauffeurs de bus et ainsi de suite.

Même si beaucoup sont français ou résidents réguliers, ils font partie, ou leurs parents, des flux d’immigration, à  un moment ou à un autre.

Le sous-entendu de la question identitaire

La circulaire Retailleau vient d’un long chemin de lois, de décrets et de circulaires qui ont du mal à avouer l’argument identitaire et sécuritaire qui est le terreau de cette frénésie.

Le débat sur l’immigration est de longue date, depuis le milieu du XIXème siècle. Dès le départ de ce débat deux couches d’arguments se sont superposées, l’une après l’autre dans leur chronologie, celle du  rejet pour cause de protection de l’identité judéo-chrétienne et européenne et celle de la protection des intérêts des travailleurs français.

Jamais cette dualité n’a disparu, elle a même généré une tension de plus en plus aigüe pour en arriver à son paroxysme avec la montée des idées conservatrices et d’extrême droite qui submergent l’Europe (le mot submergé, cela vous dit quelque chose en référence à la première phrase de l’article ?).

Les deux arguments en question ont fini par être confondus. La France a oublié que pour les deux flux d’immigrations massives concernant les italiens et les polonais on disait à l’époque, bien avant les flux en provenance des pays du sud, qu’ils venaient « manger le pain des français ».

Déjà à l’époque on considérait que la délinquance et l’abaissement du niveau scolaire étaient dus à ces immigrés venus de contrées jugés hors de la grande civilisation franque et chrétienne.

Ce qui est paradoxal est qu’on oppose toujours les immigrés aux « français de souche». Une qualification bien vague car la souche, est-elle gauloise, médiévale ou contemporaine ?

On a du mal à comprendre que la souche française est revendiquée aujourd’hui par beaucoup de descendants d’immigrés italiens, polonais et bien d’autres. Et même s’ils ne sont pas majoritaires, beaucoup ayant à l’époque épousé les doctrines de gauche du fait de leur condition sociale et de celle de leurs parents, se retrouvent aujourd’hui à se revendiquer de la « souche nationale ».

Les paroles d’Eric Zemmour, entre autres enragés de l’extrémisme, sont à ce sujet sans dissimulation et sans complexe pour favoriser l’exclusive origine de la supposée souche.

Je dirai avec humour qu’un Zemmour qui revendique pour la France le retour au sang bleu de Philippe le Bel, c’est comme un Hamza qui revendiquerait sa descendance avec Jeanne d’Arc.

Et puis, surtout, il y a une très grosse ambiguïté et hypocrisie dans le mot submersion. C’est pour cela qu’on rajoute le plus souvent l’expression « le ressenti » qui accompagne toujours le rejet de l’immigration.

Car dans ce ressenti, il est toujours dissimulé la confusion entre les populations, françaises issues de l’immigration, les étrangers en situation régulière et les immigrés non réguliers. Comment l’extrême droite peut-elle les distinguer ?

C’est donc une considération générale, les étrangers sont ceux qui ne sont pas blancs (dans le sens européen), qui ne sont pas chrétiens et qui ont une culture et un accent qui se distinguent (pour beaucoup).

En conclusion on dira que derrière le terme « submersion » se cache l’expression de « grand remplacement », théorisée par l’écrivain d’extrême droite Renaud Camus en 2010. La peur d’une France de Philippe le Bel, musulmane, noire et arabe en majorité et aux langues différentes du français.

Lorsqu’un mot est pudiquement prononcé, du bout des lèvres ou en dérapage comme le cas de François Bayrou, c’est qu’il en cache toujours un autre.

Boumediene Sid Lakhdar

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