Jeudi 7 janvier 2021
Comment Larry Culp, le patron de General Electric, s’offre une fortune
47 millions de dollars dans tous les cas, et jusqu’à 230 millions dans un groupe en grande difficulté, c’est le bonus qui ne passe pas chez les salariés de General Electric, notamment à Villeurbanne.
7 millions de dollars garantis, et même jusqu’à 230 millions: deux ans après avoir pris les rênes de General Electric, à la dérive à la suite de mauvais paris dans l’énergie, Larry Culp voit son « risque » fortement récompensé. Le patron de GE est assuré de toucher un bonus de près de 47 millions de dollars alors que le groupe industriel licencie des milliers d’employés, notamment en France, pour répondre à la crise provoquée par la pandémie de covid-19.
Jusqu’à… 230 millions de dollars
Le bonus de M. Culp, aux commandes depuis le 1er octobre 2018, pourrait même atteindre le montant faramineux de 230 millions de dollars s’il parvenait à atteindre des objectifs financiers pourtant particulièrement bas, selon des documents adressés au gendarme américain de la Bourse, la SEC, et consultés par l’AFP.
Indignation à Villeurbanne et Belfort
« Honteux » et « délirant »: le bonus promis au PDG de General Electric a été dénoncé mardi par syndicats et élus des sites de Villeurbanne (Rhône) et Belfort (Territoire de Belfort), deux villes concernées par les suppressions d’emplois au sein du groupe américain. « Une honte quand on nous rabâche qu’il faut licencier des milliers de salariés et délocaliser des activités stratégiques pour retrouver une situation financière saine! », a également dénoncé un délégué CGT du personnel du site de GE à Villeurbanne, Serge Paolozzi.
Même indignation sur le site historique du géant américain à Belfort: « C’est totalement scandaleux et délirant », s’est ainsi emporté Philippe Petitcolin, représentant CFE-CGC de l’entité turbines à gaz française de General Electric, mardi. « Larry Culp a garanti son avenir financier » alors que celui des salariés « n’a jamais été aussi incertain », estime-t-il. Le grand patron avait touché près de 25 millions de dollars au titre de sa rémunération 2019.
Mais cet été, face aux difficultés rencontrées par la division aviation, qui fabrique les moteurs d’avions LEAP en partenariat avec le groupe français Safran, GE a déployé une véritable offensive de charme pour éviter le départ de M. Culp.
Le 18 août, GE a amendé le plan de rémunération de M. Culp, en adoptant de nouveaux termes très favorables au dirigeant par rapport au contrat de travail initial signé en octobre 2018.
Des objectifs largement plus accessibles
La société a prolongé son contrat jusqu’en 2024 avec une option d’un an supplémentaire et a ensuite abaissé les objectifs financiers qu’elle lui avait fixés, lui donnant ainsi davantage de temps pour redresser l’entreprise.
Dans le détail, si Larry Culp, 57 ans, pouvait permettre à l’action GE d’atteindre le seuil des 10 dollars et au-delà à Wall Street, au lieu de 19 dollars auparavant, et d’y rester pendant 30 jours, il empocherait 47 millions de dollars en stock-options, qu’il pourrait toucher en 2024. C’est le cas depuis plusieurs jours.
En août, l’action s’échangeait aux alentours de 6,67 dollars, mais s’est envolée depuis dans le sillage des marchés, enthousiasmés par les nouvelles sur le front du vaccin contre le Covid-19.
Larry Culp pourrait toucher un bonus total de 230 millions de dollars si l’action GE montait jusqu’à 17 dollars au moins, contre 31 dollars dans le précédent plan de rémunération. Un objectif donc beaucoup plus accessible.
Objectif : 2025
Et surtout, un objectif qu’il ne devrait pas avoir du mal à atteindre: Larry Culp a jusqu’en 2025 pour y parvenir. D’ici là, l’économie mondiale devrait retrouver des couleurs, ce qui devrait affecter positivement les activités de General Electric.
Les syndicats américains en colère aussi
« C’est scandaleux », a réagi Carl Kennebrew, président de l’IUE-CWA, syndicat de salariés de GE. « Comment GE peut-il justifier ce type de gros bonus pour son PDG alors que les travailleurs, leurs familles et les communautés souffrent des suppressions d’emplois et des délocalisations ? ».
Le syndicaliste estime que cet argent devrait être « investi dans les usines américaines de GE, nos emplois ».
Des sources internes à l’entreprise disent reconnaître que les primes sont extraordinaires au vu du déclin de l’entreprise, mais font remarquer que tout cet argent ne sera disponible qu’au début de 2024 au plus tôt.
« Sous la houlette de Larry, GE a fait des progrès significatifs par rapport aux objectifs qu’il avait fixés au premier jour de sa prise de fonctions en tant que PDG: améliorer la situation financière de l’entreprise et renforcer l’activité », a déclaré une porte-parole.
Suppression de 13 000 emplois
Le bonus de Larry Culp a déjà été rapporté par Bloomberg, le Financial Times et d’autres médias.
La stratégie de M. Culp a entraîné «un avenir incertain pour beaucoup d’anciens employés. Bien plus incertain que celui de M. Culp», fustige Brooke Sutherland, chroniqueuse chez Bloomberg Opinion, dans le Washington Post.
GE a multiplié depuis deux ans les plans sociaux à travers le monde, et notamment sur son site français de Belfort. La société a annoncé au printemps un plan d’économies de 2 milliards de dollars, passant par la suppression de 13000 postes. De nouvelles coupes sont à venir, a déjà prévenu le groupe.
Certes, GE est parvenu à diminuer drastiquement ses pertes l’an dernier, mais a encore enregistré une perte nette de 1,2 milliard de dollars au troisième trimestre.
Le groupe est toujours lourdement endetté. Son activité de turbines est en surcapacités, tandis que le plongeon de la demande pour les avions va affecter durablement la production des moteurs, de pièces détachées et les services de maintenance.