27 novembre 2024
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Comment t’appelles-tu ?

Dans la chronique d’aujourd’hui, comme souvent dans les miennes, parlons d’un sujet très sérieux mais dans la grande rigolade du second degré. Pour cela il nous faut faire un détour assez surprenant pour en arriver à notre sujet. C’est l’histoire de Lucy, notre grand-mère africaine.

Il s’agit du plus vieux squelette d’hominidé découvert en 1974 par l’équipe des paléontologues, Maurice Taïeb, Yves Coppens et Donald Johanson. Nous retenons dans notre mémoire surtout le second parce que son origine française a permis aux francophones que nous sommes de suivre cette fantastique histoire.

L’humanité venait de découvrir les restes de notre ancêtre commune. Qu’on ne s’offusque pas, je n’ai aucunement l’intention de m’aventurer dans la polémique entre les créationnistes et les évolutionnistes. J’ai assez à faire pour m’y risquer.

Nous disons qu’elle est  notre ancêtre parce que c’est le plus haut dans le temps que la recherche ait pu nous mener pour le moment. La question de l’origine des temps n’est ici pas posée. Et d’ailleurs il n’est également pas utile de rappeler que la conclusion des paléontologues est aujourd’hui remise en cause.

Puisque les ossements avaient une probabilité très forte d’être ceux d’une femme, il était naturel qu’elle portât un nom féminin. Ils l’appelèrent Lucy. Mais bon sang, nous nous étions dit, pourquoi le nom de Lucy ?

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Ils étaient trois directeurs de recherche, ce qui écarte la conclusion assez courante qu’il s’agirait de la mère, de l’épouse ou de la fille de l’un deux. Non plus de celles du trop jeune étudiant de l’équipe qui l’avait déterrée le premier.

Pas plus qu’une dérivation du nom scientifique latin que la science a pour usage de nommer les espèces animales ou humaines. Mais alors pourquoi Lucy ?

Eh bien non, ce n’est pas tout cela mais une explication inattendue et déroutante bien qu’elle fut sympathique. Ce ne fut que bien longtemps que je l’avais entendu par Yves Coppens.

À cette époque des recherches l’équipe avait pour habitude d’écouter en boucle une célèbre chanson des Beatles, Lucy in the sky with diaments (Lucy aux diamants dans le ciel). Et voilà mes chers amis comment on peut choisir un nom qui restera dans l’histoire, par une fantaisie du moment.

C’est ce qui nous ramène à notre sujet. Le nom est l’un des principaux identifiants de notre personnalité nous dit le droit. Mais il est surtout un identifiant social c’est-à-dire du rapport aux autres. Contrairement au corps, aux idées et aux sentiments, il est invariable dans le temps.

Alors que vous pouvez entretenir votre corps pour retarder autant que possible son vieillissement, varier vos idées ou changer de sentiments en fonction de l’expérience ou des circonstances, il ne peut en être le cas pour votre nom. (En droit le nom est l’ensemble que constituent le prénom et le nom familial).

Si la loi ne permet pas aux parents de modifier le nom de famille pour leurs enfants c’est aussi le cas pour chacun d’entre nous, à quelques rares exceptions juridiques. Le prénom relève donc d’un choix indépendant de votre volonté. Vous voilà identifié à vie par la seule chose que la construction indépendante de votre personnalité ne peut éviter.

C’est une décision lourde de responsabilité que les autres prennent pour vous. Et pourtant, comme pour Lucy on sait qu’elle est souvent prise par des considérations d’usage, de sentiments et de ….hasard surprenant et même superficiel.

Par l’usage, se serait surtout par le choix d’un ascendant de la famille, d’hommage au divin ou aux hauts personnages de l’histoire religieuse. Abderahmane, Mohammed ou Moussa en sont de bons exemples.

Par le hasard du lieu, du métier ou de la fantaisie coloniale lors de l’établissement des états-civils des « indigènes ». Le berger, Boumaaza, et ainsi de suite.

Puis par la mode du moment, le nom d’une célébrité du spectacle ou d’une influenceuse comme diraient les plus jeunes. Je prendrai comme exemple mon expérience de prof à l’étranger (encore !). J’ai vu apparaitre brusquement et en masse le prénom de Chloé en référence à une marque célèbre de parfum féminin et, en déluge, Kevin en référence à la fascination des mamans pour la grande star masculine du moment, Kevin Costner. Ils sont tombés aujourd’hui dans le commun.

Il y a même des cas tellement inattendus qu’ils deviennent sympathiques et pourtant d’essence négative. Un ami étudiant italien portait le prénom de Benito car son père avait une adoration (contestable) du dictateur Mussolini.

Quoi de plus marrant pour nous et pour lui qui s’en amusait également et qui trouvait que ce nom suscitait un peu plus d’attention même si elle dépend de bien d’autres choses plus importantes.

Ainsi, dans tous les cas les noms sont choisis en exclusion de votre propre volonté car, à l’évidence, la loi oblige son inscription sur le registre de l’état civil avant que vous ayez l’âge de refuser, de bouder ou d’attraper une colère.

Bien entendu qu’une fois la chose faite, rares sont ceux qui ne sont pas fiers de cette attribution,  car c’est la transmission de ceux qui vous ont donné le plus précieux des cadeaux, celui de votre naissance et de la chance de construire une vie en toute indépendance, fort de l’éducation qu’ils vous ont forgée.

Je suis fier de mon nom car il est ma personnalité et le sera jusqu’à la fin. Et si je ne l’ai pas choisi, il est ma personne et ma vie, celle que j’avais la responsabilité de façonner.

C’est en quelque sorte l’une des représentations symboliques de la fierté et de la liberté.

Boumediene Sid Lakhdar

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