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Construire une mosquée ou aider des enfants en difficulté, où est l’urgence ?

L'association Adawi

Écouter le cri de la responsable d’Adawi (l’Association des parents et amis des autistes ) déchire le cœur. Tant de questions secouent le sens : « Je dis adieu à l’association alors qu’elle a été une alternative pour les parents et les enfants autistes.

Tant d’enfants autistes en avaient profité ; ceux qui ne peuvent payer les orthophonistes, ceux qui ne peuvent payer un psychologue. Ils sont venus ici et ils ont été pris en charge gratuitement. Mais cette gratuité avait besoin de dons, car c’est grâce à ces dons que l’association fonctionne… Comme pour payer le loyer annuel de 25 millions (2500 dollars canadiens ou 1700 euros).»

La première chose qui m’est venue à l’esprit en écoutant la vénérable dame est toutes ces mosquées qui poussent partout tels des champignons vénéneux,  toutes ces légions de superstitieux qui n’hésitent jamais à mettre la main dans la poche quand il s’agit de donner pour une nouvelle mosquée à quelques centaine de mètres de sa voisine, y élever une muraille, l’ornementer d’arabesques et d’arcades, lui offrir un minbar fantasque, onéreux, un climatiseur, un tapis luxueux, un haut-parleur plus tonnant… Et je me résignai en me disant qu’après tout pourquoi l’étonnement quand le président d’un pays lui-même, un chef d’État censé être le capitaine du bateau qui mène son peuple au bon port de la vie,  superstitieux jusqu’à l’injure, après détournements, corruptions et rapines, a cru bon d’offrir la plus grande mosquée d’Afrique (2 ou 3 milliards euros) à son peuple afin de se racheter une conscience vierge pour son ultime passage, alors qu’un habitant du Sahara fait des jours de route pour une chimiothérapie dans un rare hôpital du nord.

Et je pensai à cette générosité sélective de nos riches comme Crésus, prodiguant chorbas, fricots et bombances un mois de ramadan durant, mais que n’interpelle pourtant aucunement la souffrance chronique des hommes et des femmes; les parents d’enfants autistes, de jeunes malades mentaux, handicapés et démunis, de ceux pour qui une heure de répit et d’attention est un morceau de l’espace-temps dérobé au paradis, de ceux encore pour qui le labeur est forçat, quand le travail pour une miche de pain qui contente la marmaille est David contre Goliath.

Qu’est-ce que 25 millions en dinars pour des gens qui payent cash une mosquée, qui assurent chaque année des chorbas collectives pour des milliers de gens avec chant au dessert et tambour battant ? Qu’est-ce que 1700 euros pour un pays dont les rentes annuels de ses hydrocarbures se comptent en dizaines, quand ce n’est pas en centaines de milliards de dollars ?

La vérité est que la société qu’est la mienne est tellement engluée dans la gadoue de la vérité indiscutable et de la superstition qu’elle préfère ériger des mosquées aux quatre vents pour l’obsécration et l’illusion de l’âme qu’un hôpital, un théâtre ou salle de sports qui ancre l’esprit et le corps dans la terre du réel.

La vérité aussi est que le tout islam a réduit la multitude à n’être plus que le réceptacle de l’oraison qui aseptise la raison, de la litanie qui terrorise et de la promesse abracadabrantesque pour la détourner de la vie et lui faire croire que sa félicité n’est pas sur la terre du présent, mais dans la chimère impalpable de l’après-mort…

Notre société ne sait plus apprendre à ses enfants comment vivre, mais elle leur apprend à mourir quasi-pédagogiquement. En Algérie, il y a près de 20 000 mosquées (2020) ; soit plus que tous les lycées du pays, les collèges, les universités, les bibliothèques, les planches de théâtre, les salles de sports réunis.

En somme, entre l’État qui n’offre plus grand-chose pour alimenter le multiple et donner libre cours aux passions salvatrices, et qui, bien pire, encourage le tout religieux, afin de détourner les gens de la question, l’islamisme qui a pignon sur rue et les millénaires qui ont fossilisé en nous la réponse par l’outre-tombe… C’est presque naturellement qu’on a abouti à cette terre pour qui la souffrance de l’autre n’interpelle plus grand-monde ou alors seulement à la condition du faste, des ripailles et des vierges au paradis.  Qu’importe le cri de l’agonie qui dit l’envie de s’accrocher à la vie quand un billet d’argent pour quelques briques d’une mosquée est la garantie pour effacer le péché !

Une société est vivante et est saine quand le vivre-ensemble lui est comme les œufs fragiles ; quand l’autre, de manière désintéressée, lui est essentiel, et ce, encore plus, quand il est de la minorité, quand il n’a pas grand-monde pour l’assister et le défendre. Une patrie pour qui la dignité n’est pas un vain mot s’épanouit par la raison, le bons sens et non par la peur et la superstition, outils puissants de l’aliénation par la religion.

Ce qui l’élève, c’est son souci de l’harmonie, les ponts qu’elle bâtit pour que se rencontrent ses identités, ses générosités détachées envers les laissés-pour-compte et âmes vulnérables ; c’est être fanatique de l’homme, pour paraphraser je ne me rappelle plus quel poème de Abdellatif Laâbi.

Souffrir d’une maladie mentale, d’un quelque handicap physique ou psychologique, être atteint du syndrome autistique ou autre dans une société comme la nôtre est le rocher de Sisyphe dont l’absurdité n’a pas de commune mesure, et ce, pour celui directement concerné ou pour ses proches qui ont en la charge. Alors chapeau bas à cette dame, à tous ces militants bénévoles, ces psychologues, orthophonistes, psychologues, éducateurs, docteurs, artisans, sportifs, passionnés ; bref, à tous ses héros de la quotidienneté qui rêvent le monde en le changeant.

L’appel d’Adawi nous interpelle en tant que société. À moins que nous pensions que ce sont les djinns qui donnent l’autisme, la maladie mentale et les problèmes psychologiques ; et que, donc,  une Roqya se passe de toutes les sciences. La clameur est pour moi le rêve du meilleur pour ouvrir le portail du possible, le souhait d’une patrie qui cherchera enfin le sens du côté de la raison et pour qui la religion sera une vérité comme une autre, la fiction à instruire pour un vivre-ensemble où l’on construit davantage d’espaces pour la vie que pour la mort.

Et les gens de cette association ont compris que la défaite est l’inaction et que si, disait le poète, « L’indifférence est la moitié de la mort, le désir est la moitié de la vie. »

Louenas Hassani, écrivain

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