Dimanche 5 avril 2020
Cours en ligne, et après
Les étudiants algériens sont-ils assez outillés pour suivre l’enseignement via internet ?
Dans la situation de crise actuelle et vu l’évolution de la pandémie que nous subissons, les actions de confinements sont un mal nécessaire pour juguler l’avancée du virus.
Les décisions prises, sur recommandations des autorités sanitaires, devraient permettre de maîtriser la propagation de cet ennemi, invisible à l’œil nu, mais au combien nocif. Cela dit, il est clair que tout cela a déjà eu et aura un impact fort sur le fonctionnement global de la société et des institutions, sur tous les secteurs, et particulièrement sur l’économique, le sanitaire et l’éducatif.
Ainsi, la fermeture des établissements d’enseignement s’est avérée être une épreuve inévitable ; cette situation, nouvelle et non-souhaitée, nous oblige à réfléchir à des solutions pour assurer la continuité des cours ; c’est ce qu’on ne cesse de nous répéter. Pourquoi ? Je ne sais pas, mais je voudrai, par ce modeste article, susciter un débat en vue de trouver les bonnes solutions, les solutions qui répondent aux besoins de toutes les parties prenantes, et aux exigences de la qualité. Je ne m’attarderai que sur l’enseignement supérieur, parce que les problématiques pédagogiques et l’impact de la suspension des cours en présentiel, pour un enfant ou pour un adulte, ne sont pas les mêmes.
Pour commencer, il me semble important de poser quelques questions. Parce que, faire une action, pour un intellectuel, ne relève pas du suivisme (ou de l’exécution d’un ordre), mais plutôt de la conviction que cette action soit utile et ait du sens. Il ne suffit pas de faire pour faire.
Alors, pourquoi assurer la continuité des enseignements ? Comment assurer la continuité des enseignements ? Pourra-t-on garantir la qualité des formations ? Les enseignants ont-ils été formés à d’autres approches que les méthodes pédagogiques classiques ? Les étudiants sont-ils motivés à travailler seuls et construire leur propre apprentissage ? Les étudiants ont-ils les moyens pour cela ? Comment assurer des évaluations équitables si la pandémie et le confinement durent jusqu’à juin ? etc.
Petit retour en arrière. Depuis le 29 février, M. le Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique recommande aux enseignants universitaires de substituer au présentiel (qu’on ne peut plus assurer) des enseignements à distance, ou à défaut, de mettre en ligne différents supports pédagogiques en vue de remplacer les Cours, TD et TP (?). Cette démarche, aussi louable soit-elle, montre encore une fois que les autorités du pays sont déconnectées de la réalité du terrain.
Face à l’urgence de la situation, on demande aux enseignants, dont une bonne partie n’a pas été formée pour cela, de s’approprier de nouveaux outils en très peu de temps ; et aux étudiants, dont une grande majorité a réussi grâce à « la mémorisation-restitution », et pour qui la motivation et l’implication ne sont pas les points forts, de devenir acteurs de leur propre apprentissage. Changer de paradigme pédagogique en si peu de temps, est-ce possible ?
Ainsi, les plateformes des universités ont commencé à être inondées de supports de cours, et les responsables ont commencé à compter pour avoir les chiffres des documents mis en ligne en vue de les transmettre à la tutelle ; et comme souvent, ils ne se soucient pas de l’aspect méthodologique, et surtout pas de la nécessité de l’interaction pour garantir la qualité (sur le fond et dans la forme) et l’apprentissage ; faire pour faire, et des chiffres, rien que des chiffres. Il suffit de revoir comment a été géré et validé le deuxième semestre de l’année passée…
Cela dit, il me semble important de faire quelques remarques, en vue, d’une part, de clarifier cette « histoire », et d’autre part, de lancer quelques pistes de réflexion pour améliorer notre processus de substitution des cours en présentiel par du « e-learning » en cas de crise similaire ; par la suite, ce sera le retour d’expérience, qui devra être formalisé, qui portera les approches futures pour prévoir des plans de substitution à mettre en œuvre.
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Un cours se fait en présentiel par un enseignant qui est là pour expliquer, faciliter la compréhension des concepts scientifiques et méthodologiques, et motiver les apprenants. Le lien qui se crée entre le formateur et l’étudiant est essentiel pour l’apprentissage. Ce qui est mis sur la plateforme de l’université est un support de cours ; il ne peut, en aucun cas, remplacer le cours en présentiel (sauf si on pense que le professeur ne sert à rien), et il n’apporte rien sans l’oralité de l’enseignant.
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Aujourd’hui, les ressources sont disponibles sur le web (MOOC(1), YouTube, communautés wiki, forums, peer-to-peer, etc.) et les sites de partage foisonnent. Les livres de type « textbook » (surtout américains) sont d’une très grande qualité et souvent mis à disposition des étudiants(2). Sauf pour des matières particulières ou hybrides, les texbooks apportent plus de connaissances aux étudiants que les supports de cours mis en ligne.
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Mettre un support de cours sur la plateforme suppose que tous les étudiants disposent d’un ordinateur, d’une imprimante et d’un accès à internet (3), ce qui est loin d’être le cas. Cette action discriminatoire n’est pas équitable. Quant au débit d’internet, je préfère ne pas en parler…
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La dématérialisation effective des cours sur internet (e-learning) ne peut se faire qu’avec une pédagogie appropriée et des activités spécifiques. Il ne faut pas privilégier le matériel par rapport à la pédagogie proprement dite. Il faut à enseigner autrement, apprendre autrement, évaluer autrement. Le cours doit être scénarisé et l’enseignant doit innover, parce que parler pendant des dizaines de minutes aux étudiants, par écran interposé, est lassant, et ne permet pas de maintenir leur attention.
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On demande même aux enseignants de mettre en ligne, sur la plateforme de l’université les travaux pratiques (TP) ; alors que ceux-ci n’ont de sens que lorsque l’étudiant touche, manipule et développe, ainsi, ces capacités psychomotrices. Je pense qu’il y a, soit confusion entre exercice et manipulation (quand il s’agit juste de calculs), ou confusion entre documentaire et manipulation (quand il s’agit de vidéo).
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Même s’il y avait urgence, il fallait réfléchir à conceptualiser, expérimenter et mettre en œuvre des dispositifs de formation cohérents à partir des technologies de l’information et de la communication (TIC) sachant qu’il existe des centres de télé-enseignement dans beaucoup d’universités algériennes. Et pour que ces mécanismes aient des chances de réussir, il fallait que les acteurs trouvent du sens à cette action, et assurent l’articulation de ces nouveaux dispositifs avec les curriculums existants.
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Bien qu’il y ait eu quelques formations pour des enseignants dans le cadre de certains projets européens de type Erasmus+, avec des universités américaines, ainsi que dans le cadre du PAPS-ESRS (programme d’appui aux politiques sectorielles pour l’enseignement supérieur et la recherche scientifique), il n’y a pas eu de politique nationale (ou locale) en vue de constituer une bibliothèque de « vrais » cours en ligne (filmés basiquement ou scénarisés) pour offrir des alternatives de qualité aux étudiants en cas de situation de crise (individuelle ou collective). Surement que des expériences pionnières ont existé, mais comme souvent dans ces cas-là, elles sont inséparables de ceux qui les ont entreprises et, le temps passant, ont été abandonnées.
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Depuis Juillet 2016, chaque cohorte d’enseignants nouvellement recrutés a été formée et accompagnée en pédagogie, en général, et en enseignement à distance, en particulier. Malheureusement, comme on ne fait pas de suivi des mises en œuvre et des pratiques usitées, et que les responsables des établissements n’ont pas eu un engagement fort pour pérenniser ces apprentissages et en tirer profit, ce n’est pas aujourd’hui, dans une situation de confinement généralisée, que les plus jeunes peuvent essaimer leurs connaissances et pratiques, ou du moins ce qu’il en reste, dans ce domaine.
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Il est envisagé, si la crise ne s’estompe pas, de clôturer cette démarche par des examens en fin d’année universitaire (cf. courrier de M. le Ministre du 23 mars 2020). Et là, une multitude de questions commence à tarauder mon esprit : comment évaluer à distance ? Peut-on évaluer des étudiants à partir de supports de cours mis en ligne ? Peut-on assurer l’équité et la justice lors des évaluations quand chacun est chez soi et les moyens dont disposent les étudiants sont différents ? Quels apprentissages auront été effectivement réalisés par les étudiants ? Peut-on évaluer les dimensions socio-affectives et psychomotrices, sachant qu’il n’y a pas eu de TP et de TD ?
Conclusion
En ces durs moments que nous vivons tous, il me semble que l’essentiel n’est pas d’assurer, aux forceps, la continuité de l’enseignement par des supports de cours en ligne, qui, telle qu’elle est amorcée, n’apportera rien en termes d’apprentissage de qualité. En espérant qu’elle nous force à changer, cette situation nous oblige à nous poser et à réfléchir, pour l’avenir, aux points suivants :
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Comment enrichir et diversifier nos approches en présentiel, en vue de motiver et d’impliquer encore plus les étudiants ?
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Comment s’approprier les outils et technologies de l’information et de la communication en vue de construire des dispositifs d’enseignement à distance, pour donner différentes alternatives aux étudiants (qui sont des « digital natives ») ?
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Comment motiver les enseignants pour faire émerger des initiatives pédagogiques nouvelles ?
Cette crise doit nous servir de leçon ; arrêtons de faire pour faire, arrêtons de faire du suivisme, et trouvons des solutions, nos solutions, qui permettraient à notre université d’améliorer la qualité des enseignements ; parce que ce n’est pas la recherche de la paix sociale qui permettra à l’enseignement supérieur algérien de faire le saut qualitatif tant souhaité par notre communauté, mais une remise en cause permanente, une vision critique argumentée, et un travail collaboratif, pour une amélioration continuelle.
Et je finirai avec une phrase de Montaigne, qui avait dit, que « l’étudiant n’est pas un vase à remplir, mais un feu à attiser » ; et ce n’est pas avec des supports de cours en ligne qu’on va y arriver…
Mohammed Amine Allal, Université de Tlemcen
Renvois
1- L’acronyme MOOC signifie « Massive Open Online Course » que l’on peut traduire par « cours en ligne ouvert et massif ». Il s’agit donc de cours de niveau universitaire gratuits et libre d’accès.
2- Grace au CERIST, l’éditeur Elsevier met, en accès libre, un ensemble de textbooks pour la communauté universitaire algérienne pour une période de deux mois.
3- Pour ne pas remuer le couteau dans la plaie, je ne voulais pas rappeler que beaucoup d’enseignants utilisent des ordinateurs personnels pour enseigner à l’université (et même, quelquefois, des vidéoprojecteurs personnels).