Profitant de l’escalade diplomatique entre Alger et Paris, marquée par des expulsions croisées de diplomates, le parti islamiste Ennahda remet en avant ses revendications historiques et appelle à une révision en profondeur, voire rupture des relations avec la France.

Le courant arabo-islamiste jubile face à la crise qui gangrène les relations algéro-françaises. A les entendre, il faut vite couper les ponts ! Derrière la dénonciation de « l’arrogance française », le parti Ennahda instrumentalise la crise diplomatique pour avancer un projet idéologique cher à l’ensemble des courants islamo-conservateurs et ultra-nationalistes algériens. Ce programme, qui comprend la criminalisation du colonialisme, la généralisation de l’usage de la langue arabe et la remise en question des relations économiques avec la France, apparaît ainsi comme une tentative de passage en force, habilement dissimulée par les tensions bilatérales.

Une offensive idéologique sous couvert de patriotisme

À l’issue de la cinquième session ordinaire de son Conseil consultatif, tenue ce samedi à Alger, Ennahda a appelé à une refonte des relations commerciales avec la France. Tout en saluant la décision des autorités algériennes d’expulser douze diplomates français, le parti a enchaîné avec une série de revendications à portée idéologique : adoption d’une loi criminalisant le colonialisme, levée du gel sur la loi généralisant l’usage de l’arabe dans l’administration, révision des baux de l’ambassade de France, et redéfinition des accords économiques bilatéraux.

Derrière ces demandes, récurrentes chez les islamo-nationalistes depuis l’indépendance, transparaît une volonté de rompre avec tout ce qui symbolise la présence de l’ancienne puissance coloniale. Pour Ennahda, la langue française, les accords économiques, et même les échanges culturels représentent des entraves à une souveraineté arabo-islamique « authentique ».

Un vieux programme, une nouvelle occasion

La crise actuelle apparaît comme un moment opportun pour remettre au goût du jour un programme idéologique ancien. Ennahda dénonce une France « arrogante » et « néocoloniale », tout en habillant son discours d’un vernis patriotique. Mais au-delà des postures, il s’agit d’exploiter la conjoncture diplomatique pour faire avancer, à bas bruit, des projets que le parti n’a jamais réussi à faire valider par voie électorale.

Cette stratégie s’inscrit dans la continuité d’un combat idéologique : celui d’une purification culturelle et symbolique, que le contexte de tension avec Paris permet aujourd’hui de relancer sans passer par les urnes.

Un discours en décalage avec les réalités économiques

Les appels à la rupture interviennent alors que les relations économiques entre Alger et Paris restent significatives. En 2024, les échanges commerciaux ont atteint 11,1 milliards d’euros, avec une balance favorable à l’Algérie, grâce aux exportations de gaz et de pétrole.

Un climat de tension prolongé pourrait toutefois fragiliser cet équilibre. La Chambre de commerce algéro-française a exprimé ses inquiétudes, redoutant un impact direct sur près de cinq milliards d’euros d’exportations françaises. Mais ces considérations semblent secondaires pour Ennahda, dont les priorités sont avant tout idéologiques.

Entre institutionnalisation et radicalité

Fait notable : malgré ses positions tranchées, Ennahda affiche un soutien aux réformes institutionnelles engagées par le pouvoir. Le parti a salué les discussions en cours sur les lois relatives aux collectivités locales, aux partis et aux associations. Il a aussi exprimé sa satisfaction après la récente rencontre entre le Tebboune et les acteurs économiques. C’est que ce mouvement islamiste sournois a les deux pieds au sein du pouvoir et un bras à l’extérieur !

Cette posture hybride, entre légitimité institutionnelle et radicalité mémorielle, reflète une stratégie d’influence plus subtile, opportuniste et pernicieuse : rester présent dans le jeu politique tout en poussant, à chaque opportunité, un agenda identitaire structurant.

L’influence française comme cible constante

Sur la scène internationale, Ennahda reste fidèle à sa ligne, dénonçant les exactions israéliennes à Gaza et le silence de la communauté internationale. Mais c’est sur le dossier français que le parti voit une véritable opportunité politique.

À chaque tension, le parti islamiste Ennahda ressuscite son projet d’émancipation culturelle totale. La rupture avec la France n’est pas seulement une posture conjoncturelle, mais l’expression d’un projet de société alternatif, fondé sur un recentrage identitaire, culturel et linguistique assumé. Un projet qui vise à substituer à l’influence occidentale une vision arabo-islamique homogène, en misant sur les crises pour s’imposer.

Samia Naït Iqbal

3 Commentaires

  1. Ne dit-on pas que les extrêmes se touchent? Ca se vérifie au vu de l’acharnement des islamo-conservateurs en Algérie et de l’extrême droite en France qui poussent à la rupture entre les deux pays oubliant les millions d’Algériens qui vivent en France particulièrement. Ils sont encouragés par la récente décision irresponsable et démagogique de supprimer l’usage de la langue française de l’enseignement et du paysage médiatique entre autres. A quoi rime tout ça si ce n’est à semer la confusion et désorienter ceux qui utilisent cette langue dans leur travail ou leur vie quotidienne. Puisse le bon sens l’emporter dans cette course à la radicalité qui n’apportera rien de positif.

  2. Ces islamistes opportunistes toujours dans une posture d’escalade alors qu’ils sont faibles , des personnes sans consistance.
    Leur seul politique c’est la violence à défaut de présenter un projet viable et consensuel , une stratégie juste pour exister afin de profiter de la rent.

  3. Les partis d’extrême droite islamiste et prosélyte se relient sur le chantier de la destruction; une sorte de 3 X 8. Si ce n’est le Hamas algérien (MSP), c’est le Nahda – la renaissance de l’obscurantisme. Avec leurs petites chicaneries sur la façon la meilleure de se prosterner, ils savent que leur intérêt commun réside dans l’instabilité perpétuelle. Dans un pays solide enraciné dans l’histoire, libre et prospère, ils n’ont aucune chance. Alors ils brulent continuant ainsi fidèlement l’œuvre pyromane des armées musulmanes du 7e siècle. Rien n’a changé sauf nous devenus amnésiques. Ils promeuvent le cercueil linguistique dont seuls eux connaissent les vertus; n’est-ce pas cela la fidélité ? Ce kit complet immergeant dans l’univers flou où prospèrent les derviches tourneurs Nehneh, Jabelleh, Belhedj et compagnie, ils le cultivent.
    En même temps, reconnaissons qu’ils ont eux aussi leur légitimité historique. Elle n’est pas moins légitime. Étant les héritiers du groupe FLN, qui a su mieux gérer l’issue de la guerre de 54-62, la faction de Tripoli, pourquoi n’agiraient-ils pas dans l’esprit de leurs devanciers ?

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