Si la crise diplomatique entre Alger et Paris n’existait pas, certains acteurs politiques des deux côtés auraient sans doute trouvé un moyen de la provoquer. Paradoxalement, cette détérioration des relations bilatérales semble servir les intérêts des cercles du pouvoir en Algérie comme en France.
Plutôt que d’œuvrer à l’apaisement, chaque camp semble tirer profit de l’escalade, exploitant la tension comme un levier stratégique.
Une surenchère mutuellement bénéfique
Dans une joute verbale qui s’apparente à une guerre d’usure, ni Alger ni Paris ne montrent de volonté réelle de désescalade. Chaque partie instrumentalise les déclarations et les postures de l’autre pour alimenter sa propre rhétorique politique.
L’Algérie refuse obstinément d’accueillir ses ressortissants en situation irrégulière en France, une position qui offre au ministre de l’Intérieur français, Bruno Retailleau, un prétexte idéal pour adopter des mesures de rétorsion graduelles. De son côté, le gouvernement algérien brandit ces menaces comme une nouvelle preuve de l’arrogance française, renforçant ainsi son discours souverainiste et nationaliste.
Tebboune et la quête de légitimité
Le président Abdelmadjid Tebboune trouve dans cette crise une opportunité de redorer son image sur la scène nationale. Confronté à une perte de crédibilité, à une situation économique difficile et à une détérioration du pouvoir d’achat, il mise sur la rhétorique anti-française pour détourner l’attention des problèmes internes.
Ce positionnement lui permet de s’attirer les faveurs des islamistes et des ultranationalistes, qui dénoncent avec virulence « le parti de la France » et prônent une rupture définitive avec l’influence française en Algérie. La surenchère anti-française devient ainsi un instrument politique, mobilisé aussi bien par le pouvoir que par ses opposants les plus radicaux.
France : rivalités politiques et calculs électoralistes
En France, la crise avec l’Algérie est également exploitée à des fins électorales, notamment à l’approche de la présidentielle de 2027. La droite dure et l’extrême droite en font un cheval de bataille, attisant les discours identitaires et souverainistes.
Bruno Retailleau et d’autres figures des Républicains adoptent une posture intransigeante pour tenter de s’imposer face à une ultra droite de plus en plus radicalisée.
Dans ce climat tendu, Emmanuel Macron se retrouve à naviguer entre fermeté et diplomatie, cherchant à préserver une relation stratégique tout en contenant la pression politique interne.
Face à une impopularité croissante et à la montée en puissance de ses adversaires de droite, le président français pourrait être tenté d’utiliser cette crise comme un levier pour regagner en autorité. Toutefois, cette stratégie comporte des risques : en entretenant la confrontation, il pourrait contribuer à un durcissement des positions, rendant toute normalisation plus difficile.
Entre tensions et dépendances mutuelles
Si cette crise diplomatique semble momentanément servir les intérêts des deux gouvernements, elle compromet néanmoins des relations stratégiques essentielles. L’Algérie et la France restent interdépendantes sur plusieurs dossiers majeurs : économie, sécurité, migration, coopération énergétique.
La question qui se pose est donc de savoir si cette confrontation est une simple péripétie dans une relation historiquement mouvementée ou si elle marque un tournant vers une rupture durable. Ce qui est certain, c’est que derrière les postures et la surenchère, aucun des deux pays ne peut réellement se permettre de sacrifier des liens aussi profonds.
Dans ce jeu de tensions, chacun capitalise sur la crise, mais à terme, la diplomatie de la confrontation risque de se heurter aux impératifs de la realpolitik.
Rabah Ait Abache