Cinq Premiers ministres français en deux ans et le dernier, Sébastien Lecornu, a eu à peine le temps de poser ses valises à Matignon qu’il annonce vouloir s’en aller. C’est un record dans la cinquième république. Une valse des chefs de gouvernement alors que de très gros dossiers attendent d’être réglés, comme l’indispensable budget. La France est dans un blocage inédit depuis 1958.
Après la dissolution irraisonnée du président de la République se pose cette fois-ci définitivement la question de la mort de la cinquième République. Elle s’était posée bien avant mais aujourd’hui il faut se rendre à l’évidence qu’elle ne pourra survivre longtemps encore.
Même si sa situation venait à s’améliorer, par exemple après une seconde dissolution ou une démission du président de la République, la mort des institutions est programmée par un tic tac du temps qui est prêt à s’arrêter. Ce sera le moment inéluctable de se poser la question de la transformation des institutions en fondant une 6ème république (avec cette appellation ou une autre).
Voilà revenu le grand sujet de dissertation que nous avions eu pendant nos cours de droit constitutionnel, crise politique ou crise de régime ? Mais ce n’était qu’une démarche de l’esprit car l’idée du retour à la quatrième République était impensable dans tous les esprits. Une éventualité rejetée après l’échec flagrant de mai soixante-huit que certains appellent encore une révolution avec plus de nostalgie que de réalité.
Qu’en est-il de la crise qui fait face en ce moment à la France dans cette dernière année ? Ma réponse personnelle est sans hésitation la qualification de crise de régime. Mais avant de revenir sur cette réponse tranchée, il faut rappeler au lecteur les marques fortes des deux terminologies en question.
Commençons par dire qu’il n’y a aucune définition juridique mais uniquement d’un usage qui peut se différencier selon chaque spécialiste ou commentateur qui ne crée aucune divergence de fond. L’hypothèse de la définition juridique n’est pas saugrenue car elle permettrait de déterminer les conditions d’un acte législatif ou même de modification de constitution.
Une crise politique est la conséquence du bouillonnement des oppositions partisanes dans leurs projets politiques. On dit qu’il y a une crise politique lorsqu’elle est à son niveau le plus aigu. On a ce sentiment que tout va éclater et se bloquer mais les institutions tiennent encore et permettent un fonctionnement normal de l’Etat.
La période actuelle semble effectivement cumuler tous les exemples d’une crise politique, on ne sait plus où donner de la tête pour tous les identifier. La démission du Premier ministre si peu de temps après la valse des précédents en est l’ultime preuve.
Mais alors si le blocage politique est à son paroxysme, pourquoi certains hésitent encore à parler de crise de régime ? La seule explication vient de ce que nous avons déjà dit, de l’interprétation des deux termes du débat.
En effet, on peut aller dans le sens qui qualifie la situation de crise politique puisqu’il n’y a pas apparemment de blocage institutionnel et que tous les organes constitutionnels continuent à fonctionner.
Le président de la République a toujours le pouvoir de l’article 8 et peut nommer des Premiers ministres. Il maîtrise l’opportunité de celui que lui attribue l’article 12 de la dissolution puisqu’il l’a déjà mis en action et que ses opposants lui demandent de l‘utiliser de nouveau.
Pas plus que sa fonction de représentation à l’étranger de la France et les accords qui en découlent, surtout dans la situation actuelle. On ne lui conteste que le mauvais choix de la nomination du Premier ministre mais pas sa légitimité à le faire. Ou la contestation de la décision éventuelle d’envoi de troupes à l’étranger autant que celle d’activer la bombe atomique sans lui contester la légitimité de prendre seul ses deux lourdes responsabilités.
La gestion courante des affaires de l’Etat n’est en rien perturbée. Et ainsi de suite, la crise est donc seulement politique et non celle du régime pourraient dire les partisans de cette option de qualification avec tous ces arguments.
Ils ont apparemment raison mais je persiste à penser, comme un nombre très élevé de contradicteurs dans ce débat qu’il s’agit de crise de régime et non seulement de crise politique.
Le contrat de confiance entre le peuple et la cinquième république venait de sa capacité à créer de la stabilité. Or elle n’a été possible que par certains points historiques incontestables. L’homme était au sommet de la gloire et du respect, le général de Gaulle fut le partisan de la libération. Il avait en plus mis fin (ou à peu près) aux grandes crises coloniales. La France était entrée dans un cycle économique faste, celui qu’on dénomme Les trente glorieuses par le temps de la période de prospérité croissante.
La majorité absolue à l’Assemblée était garantie par la raison des deux points précédents. La dispersion des partis politiques dans la quatrième République n’existera plus avec la quasi hégémonie entre le parti gaulliste, majoritaire, et le parti communiste très puissant. Et se rajoute enfin un ingrédient très important dans la soupe, soit le système électoral qui menait mécaniquement à la création d’un parti majoritaire.
Depuis la crise pétrolière, plus rien de cela et la cinquième République s’est bercée d’illusions en croyant à sa puissance de stabilité et de prospérité. L’homme fort providentiel n’existe plus, la force économique n’est plus ce qu’elle était (bien que la France reste encore dans le rang des premières dans le monde). Les partis politiques se sont éclatés et la bipolarisation n’existe plus.
Et cerise sur le gâteau, avec l’éclatement des partis à l’Assemblée, ils n’ont pas la culture du compromis comme l’Allemagne et bien d’autres pays. Ils ne savent même pas ce que c’est tant ils n’avaient jusque-là jamais eu à le faire.
Ni la dissolution, ni l’élection présidentielle anticipée ni celle des législatives n’y pourront rien. En cet instant de rédaction de cet article, on nous annonce la survenue imminente de le l’une de ces trois voies, c’est peine perdu. Il s’agit bien d’une crise de régime qui suppose une modification entière dans l’objectif politique et le contenu d’une nouvelle constitution
En conclusion, si cela n’est pas une crise de régime mais seulement une crise politique comme l’affirment certains, quelle déflagration plus forte faudrait-il ? Une guerre, une météorite qui s’abat sur la France ou Cnews qui prendrait la tête des audiences ?
Boumediene Sid Lakhdar