Dames de fraises, doigts de fée n’est pas seulement une bande dessinée : c’est un témoignage poignant et une immersion dans des vies souvent ignorées. Farida, Nadia et Najet quittent chaque année le Maroc, laissant derrière elles enfants, foyers et souvenirs, pour travailler quelques mois dans les champs de fraises de Huelva, en Andalousie.
Dans ces serres étouffantes, sous le soleil et les pesticides, elles récoltent « l’or rouge » dans un rythme effréné où le corps s’épuise et où les abus des employeurs sont une réalité quotidienne. Pourtant, au milieu de cette dureté surgissent solidarité, complicité et sororité : autant de forces silencieuses qui leur permettent de tenir et de survivre à la saison.
L’adaptation graphique d’Annelise Verdier restitue avec sensibilité la dignité et l’humanité de ces femmes marginalisées. Chaque planche met en lumière la fatigue, la vulnérabilité, mais aussi la force intérieure et la résilience de ces travailleuses. Les « dames de fraises » cessent d’être de simples statistiques et deviennent des personnes concrètes, avec leurs souffrances, leurs sacrifices et leurs espoirs. La bande dessinée dépasse la simple narration documentaire : elle fait ressentir, interpelle et donne voix à celles que le monde globalisé préfère oublier.

La préface de Chadia Arab, chercheuse au CNRS et autrice de l’enquête originale, rappelle la rigueur de son travail de terrain. Elle confère au récit un double niveau de lecture : artistique et documentaire. Chaque geste précis, chaque main agile traduit l’équilibre fragile entre nécessité, dignité et survie.
Ces femmes, choisies pour leur précarité et les obligations familiales qui les ramènent chaque saison au travail, deviennent ici visibles et audibles, grâce au trait et à la narration de Verdier.
Publié par Alifbata en France et coédité avec la maison marocaine En toutes lettres, dans le cadre du programme « Livres des deux rives » de l’Institut français, Dames de fraises, doigts de fée est disponible depuis le 22 août 2025 et sera prochainement publié au Maroc. Cette bande dessinée offre au lecteur une leçon de regard et d’humanité, en interrogeant notre rapport au travail invisible, aux abus et aux voix étouffées par la mondialisation.
Au fil des planches, se dessinent autant la fatigue et les difficultés que l’entraide, la solidarité et la dignité. Dames de fraises, doigts de fée redonne visage et voix à celles que l’on ne voit jamais. C’est un récit engagé, sensible et nécessaire, qui rappelle que derrière chaque récolte, chaque geste précis, chaque main agile, se cache une histoire de courage, de sacrifices et de résilience. Plus qu’une bande dessinée, c’est un acte de mémoire et de justice visuelle.
Djamal Guettala