Jeudi 1 avril 2021
De la retranscription de tamaziɣt : graphie arabe versus caractères latins, un débat sans fin…
Les suggestions de notre ministre du Commerce relatives à la transcription des enseignes en arabe appellent à quelques commentaires supplémentaires.
Ce n’est pas la première fois que nos ministres se penchent sur la question pour montrer qu’ils font semblant de bosser.
Dans les années 1980, des conseils sans fin s’étaient acharnés à arabiser le français en voulant retranscrire le nom des villes pour les rendre conformes à la phonétique arabe. De mémoire, on voulait remplacer Alger par El Djazaïr, Oran par Wahrane, Constantine par Qasentina…etc.
Au-delà de son aspect complètement ridicule, le but de tout ce tapage est de minimiser les revendications culturelles berbères et les noyer dans des supercheries indigestes.
En Kabylie, les exemples de termes arabisés de façon ridicule ne manquent pas. À titre d’exemple, remplacer « assif » par « oued » ne change rien à leur assèchement en été. Mais là où le bât blesse c’est que le mot « oued » est utilisé à tort et à travers. Il y a quelques années, sur la route Tizi-Ouzou-Dellys, nous sommes tombé sur une pancarte qui indiquait « oued… ?. » pour désigner un « Iɣẓeṛ », c’est-à-dire un ravin. Pauvre langue arabe ! De tels exemples ne manquent pas.
Revaloriser la langue arabe, c’est bien, mais respecter le tamazight, c’est mieux.
Le débat sur la retranscription de tamaziɣt n’étant pas clos, -Loin s’en faut- voici un texte paru sur les colonnes du Le Matin d’Algérie, en septembre 2010. Le sujet est, plus que jamais, d’actualité. Il le restera certainement pour longtemps, tant que les non-berbérophones s’acharneront -en non-connaissance de cause- à imposer une graphie arabe qui ne peut pas prendre en charge le large spectre de la phonologie berbère.
Notre langue qui dérange tant
Je voudrais rajouter quelques éléments fondamentaux à cette obsession grotesque de vouloir, à tout prix, imposer l’utilisation de l’alphabet arabe pour le tamaziɣt. Seul un berbérophone d’origine, celui qui a été nourri à la mamelle du terroir authentique, vécu les balbutiements de vie avec cet outil phonétique magique et unique au monde, sait que vouloir retranscrire le tamaziɣt en caractères arabes, c’est chercher à « suicider » cette langue et toutes ses composantes.
Du point de vue phonétique, le berbère est d’une richesse incommensurable, que ni un francophone, ni un anglophone, encore moins un arabophone, ou tout autre « lingua-phone» ne saurait appréhender avec justesse.
Exemple : Bɣan aɣ-s-negzen ar-igenwan n-ssan, anda yezdaɣ wina ig-s-drawcen allaɣ n-ssen ! Essayez donc de retranscrire cette simple phrase en caractères arabes. Vous vous apercevrez très vite de la distorsion ridicule, de forme et de fond, du texte. Ne serait-ce que pour son extrême richesse phonétique, il est impératif de préserver ce trésor inestimable. Je ne connais pas très bien le tifinagh pour me prononcer sur son aptitude à prendre en charge l’éventail des phonèmes berbères, mais je sais qu’à ce niveau l’arabe est très pauvre. Même si la langue est belle, elle ne peut rivaliser, en termes de phonologie, au berbère.
Petite anecdote fort à-propos : un riche Saoudien se retrouve en voiture sur une place de Londres. Ne sachant où se garer, il s’adresse à un policier : La lettre p « marbouta » ou « mazbouta » n’existant pas en arabe, la question « May I park here » se transforme en « May I bark here ? » (Puis-je aboyer ici). L’agent de sa majesté répond poliment « Suit yourself Sir ! », faites comme il vous plaît monsieur, aboyez donc ! Une petite lettre qui joue bien des tours aux saoudiens, aux pays de Shakespeare et d’Hemingway.
Quand nous étions collégiens à Alger et que l’on nous avait, en lieu et place du virus d’obédience, inoculé celui d’une soif de savoir universel, nous fréquentions de nombreux centres culturels, parmi lesquels le centre culturel Italien de la rue Charras, le centre culturel russe, pas très loin, du côté du marché Clausel, le centre culturel Bulgare, en face de la grande poste, etc.
Chaque fois que nous nous inscrivions aux cours de langue, c’était toujours la même constatation et le même émerveillement à notre égard, de la part de nos profs : les berbérophones ont une aptitude unique à apprendre les langues. Non pas parce qu’ils seraient plus intelligents que les autres, mais tout simplement parce que le premier rempart de la prononciation est rompu avec aisance.
Constat et fascination confirmés par nos profs d’anglais aux USA. Même si nous nous faisons agresser par nos compatriotes arabophones quand nous cochions la case « Berber » au lieu de la case « Arab » sur la fiche de renseignements individuelle pour indiquer notre langue maternelle. Que de remontrances du style : Wech ? djebtouna el-problème taâkoum hata ellahna ya-el-kbayel ? (Vous nous avez ramené votre problème jusqu’ici les kabyles ?). N’empêche qu’au bout du compte, les notes de TOEFL (Test Of English as a Foreign Language) obtenues par les berbérophones étaient de loin, supérieures à celles de toutes les autres composantes ethniques : sud-américains, africains, saoudiens, asiatiques, etc… À tel point que la directrice du centre de langues que nous fréquentions nous avait chargé de transmettre un message à nos responsables de Sonatrach, demandant que les étudiants algériens de l’époque soient tous envoyés en formation dans son établissement. Nous faisions augmenter le GPA (Grade-Point-Average) -sorte de moyenne globale- du centre d’un sacré facteur.
S’obstiner à vouloir retranscrire le berbère en caractères arabes fait partie d’un processus de destruction massif organisé. Le but de tout ce tapage est de trouver le plus court chemin pour l’appauvrir et le rendre conforme à l’inertie dont est victime la langue arabe, pour des raisons qu’il est inutile de développer ici. Arrêtons de chercher d’autres excuses ! Nous l’avons suffisamment mis en relief sur ces colonnes, le but est édicté par une volonté d’aliénation à grande échelle. Comme si ce qui est fait à l’école ne suffisait pas, ils veulent s’attaquer à la sève maintenant.
Quand j’étais collégien, au collège Sarrouy de la casbah d’Alger, pour menacer les perturbateurs, le directeur avait toujours à ses lèvres la même leçon de morale chaque fois qu’il débarquait à l’improviste pour mettre fin au chahut d’élèves indociles : vous savez mes enfants, quand dans un panier de poires, il y en une de pourrie, il faut se dépêcher de l’enlever, si l’on ne veut pas courir le risque d’avarier toutes les autres. Les perturbateurs saisissaient très vite le message, croyez-moi ! Le hic maintenant chez nous, c’est que les dégâts se sont si fortement propagés que l’on ne sait plus si le nombre de poires pourries est supérieur ou inférieur à celui des poires saines. Entamer une opération de nettoyage adéquat devient, de ce fait, bien compliqué.
Le français est un butin de guerre, avait dit Kateb Yacine. Le pouvoir a tout fait pour le noyer dans des abysses sans fond. Mais concernant le berbère, la donne est tout autre. Il ne s’agit plus de butin que l’on cherche à nous confisquer, mais de la sève qui coule dans nos veines que l’on s’acharne à empoisonner. Autant mourir tout de suite que de vous laisser maculer notre langue : « Zik wa i’hadriţ i-wayeḍ, ass-a di-elkaɣeḍ, aţ-idafen inegura ». Dans ce simple vers d’Aït Menguellet, il y a plusieurs syllabes impossible à retranscrire en alphabet arabe, et vous voulez faire une retranscription complète de la langue ? Vous êtes malades, ma parole ! Allez, vous faire soigner avant de chercher à tout prix à contaminer les autres. Ça suffit ! C’est vraiment lamentable d’ainsi donner un avis sur une langue que l’on ne connait pas, sauf sous un angle qui fait de ses pratiquants des indigènes que l’islam se doit d’éduquer avec une langue d’ordre supérieure venue d’Arabie (*).
Tout comme les langues de nombreuses autres minorités, le berbère est sous le joug d’un colonialisme aux allures d’ornements pacificateurs pervers. Mais en tant que patrimoine universel, il est du devoir de l’Unesco de le soutenir et d’en protéger les peuples qui le pratiquent encore. Chercher à le retranscrire en caractères arabes, c’est vouloir précipiter son anéantissement pur et simple.
K.M.
(*) Voir : Djaafar Messaoudi, « De la graphie arabe pour tamazight ? », Le Matin d’Algérie, août 2010.
L’auteur relève, à juste titre, le fait que bien souvent, ce sont les non-berbérophones acquis à la cause chimérique d’Arabie -une cause qui ne devrait pas nous emballer outre mesure- qui s’acharnent à imposer la graphie arabe :
« Dans l’édition du Soir d’Algérie du lundi 16 août 2010, M. Lahouari Addi dit, en parlant de tamazigh, que «son avenir se joue dans sa formalisation en langue écrite avec l’alphabet arabe », se positionnant ainsi aux côtés des islamo-arabistes qui n’ont jamais cessé d’exercer de la pression sur l’État algérien afin de le forcer à officialiser un système que ni les vrais praticiens de la langue amazighe, ni les linguistes berbérisants n’ont choisi».