«Dans la nature innée des hommes se trouve le penchant vers la tyrannie». (Ibn Khaldoun)
Ainsi, on a pu inviter nos concitoyens par l’apostrophe insensée : « celui qui n’est pas content qu’il change de pays » … Manque d’esprit de responsabilité ? Immaturité ? Aveuglément ? Manque de vertu assurément… Force est de rappeler que depuis Cicéron le Romain à Platon le Grec, la vertu est devenue un élément clé dans l’analyse politique (et non plus seulement morale).
D’Ibn Khaldoun à Machiavel, on évoque la vertu politique. Qu’en est-il advenu depuis ? Jugeons-en, la vertu étant une notion est au carrefour de maintes disciplines dont la philosophie, la religion et la politique.
Dans la Grèce antique, les philosophes (Socrate, Platon, Aristote) faisaient appel à la vertu supposée être une connaissance authentique du bien. Au Moyen Âge, pour Saint Thomas d’Aquin, la théologie a pu s’organiser autour des vertus cardinales et théologales dont la vertu. A l’ère du « siècle des Lumières », Spinoza a identifié la vertu comme étant la capacité à agir en étant déterminé par la raison (« bien agir et être dans la joie »). Plus la vertu est grande, plus l’homme est libre face aux passions.
Pour Rousseau : « La vertu ne consiste pas seulement à être juste, mais à l’être en triomphant de ses passions».
En dehors de la pensée du monde dit « occidental », Ibn Khaldoun a été considéré comme le précurseur de Machiavel, Montesquieu, Comte, Marx et Weber. Outre El Oumran (traduit par « civilisation »), le célèbre concept de assabya (« esprit de clan ou de corps », voire « solidarité ») relève aussi du monde des valeurs. Il peut être considéré comme la valeur centrale de la société tribale en tant qu’il est source de toutes les formes de cohésion dans une société organisée. Ainsi, le concept de vertu passe de la sphère de la seule morale vers celle du politique. Ici, quelques exemples pour illustrer la vertu dans le monde politique tant dans le monde qu’en Algérie.
Des présidents déchus du « Tiers-Monde »
Madame Park Geun-Hye, ex-présidente de la Corée du Sud (et présentée comme la fille d’un ancien dictateur militaire, Park Chung-Hee) a été condamnée à 24 ans de prison pour corruption et abus de pouvoir, ainsi que pour avoir livré des secrets gouvernementaux. Ses pouvoirs ont été suspendus par un vote de l’Assemblée nationale, décision confirmée par la Cour constitutionnelle qui a prononcé sa destitution.
- Jacob Zuma, ex-président Sud Africain, contraint à la démission par son propre parti et passible de poursuites judiciaires pour corruption présumée (affaire de ventes d’armes où il est soupçonné d’avoir touché des pots-de-vin du groupe français Thalès : contrat d’armement de près de 4 milliards d’euros).
- Luiz Inacio Lula, ex-président du Brésil, a vu sa demande d’habeas corpus rejetée par la Cour suprême brésilienne (habeas corpus : droit de ne pas être emprisonné tant que tous les recours judiciaires n’ont pas été épuisés). Il a été condamné à 12 ans de prison pour corruption et s’est livré pour incarcération.
L’ancien président du Zimbabwe, Robert Mugabe, qui a dirigé le Zimbabwe depuis l’indépendance du pays a été contraint en novembre 2017 de démissionner. Il est vrai qu’il a été amené à cette situation sous la pression de l’armée, de la rue et de son parti, la Zanu-PF.
- Raul Castro de Cuba annonça qu’il ne briguera pas un nouveau mandant. Il a désigné un successeur en la personne de Miguel Diaz-Canel qui est ainsi décrit : « Il porte des jeans, se déclare fan des Beatles…mais parle rarement en public et jamais à la presse étrangère. Il s’applique à éviter toute polémique, ne s’exprimant que lors d’activités publiques ou dans l’anonymat de réunions à huis clos » (Le Monde du 17.04.2018). Qu’en est-il ailleurs et en Algérie ?
De la vertu politique en «Occident »
En Angleterre, le ministre du Développement international, Lord Michael Bates, a eu à présenter sa démission « avec effet immédiat » à la Chambre des lords, la Chambre haute du Parlement britannique, pour un retard… d’une minute. Il est vrai que, durant cet intervalle, il n’a pu répondre à une question « sur les inégalités de revenus » qui lui était destinée. Il s’est dit « honteux » de son « impolitesse » et a présenté ses « excuses les plus sincères ». La Première ministre Theresa May a eu à refuser cette démission. La ponctualité, politesse des rois ?
Un autre ministre du développement international du même pays, M. Andrew Mitchell, a démissionné pour avoir proféré des… gros mots à l’endroit de policiers à l’entrée du Downing Street (la rue qui mène aux bureaux du Premier ministre) après s’être vu refuser de sortir en vélo par le grand portail qui ferme la rue. Dans sa lettre de démission, il écrit : « C’était absolument déplacé de ma part d’utiliser de gros mots et j’en suis vraiment désolé ».
Amber Rudd, alors secrétaire d’Etat à l’Intérieur du Royaume Uni, a eu à présenter sa démission après avoir reconnu avoir « involontairement trompé » des députés sur les objectifs chiffrés de « déplacement des immigrés clandestins ». Elle a été remplacée par Sajid Javid, d’origine pakistanaise…
En Suède, fin 1995, il y a eu ce qu’il a été convenu d’appeler «l’affaire du Toblerone». Mona Sahlin, alors numéro 2 du gouvernement social-démocrate, a démissionné. Motif ? Avoir réglé quelques courses (dont une barre de chocolat Toblerone à trois euros environ) avec sa carte de crédit de fonction. Quoiqu’elle ait régularisée, cette affaire la poursuit y compris lorsqu’elle a été élue à la tête de son parti en 2007.
D’autres responsables politiques du même pays ont connu également certaines déboires ; ainsi, un ancien ministre conservateur des finances, Anders Borg, a été soupçonné d’avoir participé à une partie de chasse, payée par l’un des « plus puissants investisseurs suédois ». Il a fait l’objet d’une enquête. Montant de la facture ? L’équivalent de 265 euros… Deux autres ministres suédois ont été également contraints de démissionner : la ministre de la culture pour ne pas s’être acquittée de la redevance audiovisuelle (pendant seize ans) et la ministre du Commerce pour avoir omis de déclarer aux impôts sa baby-sitter…
Il semble que selon le principe de transparence (offentlighetsprincipen), institué en…1766, les habitants du royaume suédois peuvent demander à avoir accès à tout document public ; ce, pour obtenir des informations qui peuvent être considérées comme privées ailleurs, ainsi pour connaître le salaire d’un patron ou la déclaration fiscale d’un ministre ; il suffit de s’adresser à l’Office des impôts.
Faut-il, pour autant, considérer absolument l’Europe comme le siège de la vertu en politique ? Sans doute pas dès lors que maintes affaires révélées par les journaux et émissions télévisuelles impliquent tout à la fois le monde relevant de la sphère politique que celle économique. Et même d’anciens présidents de la République française ont fait l’objet de poursuites pénales et condamnés. Il reste que l’Algérie peine à trouver ses marques en la matière, eu égard à tant de scandales politico-financiers dont ceux demeurant en friche par la volonté de nos Princes plus proches de leur maintien au pouvoir que celui de réformer sérieusement le pays.
De la vertu politique en Algérie ?
D’évidence, les hydrocarbures constituent toujours la presque totalité des exportations de l’Algérie, le budget de l’Etat dépendant pratiquement du pétrole et du gaz ; ce qui ne suffit plus puisqu’il a été fait appel au financement non conventionnel (planche à billets).
Et, pour cause, marqué par un économisme technocratique, le projet de développement basé à l’origine sur la théorie des industries industrialisantes était caractérisé par le volontarisme politique du régime issu du 19 juin 1965. La plus grande partie des projets à caractère industriel a été concrétisée en étroite collaboration avec le marché financier international et les sociétés multinationales.
Ce qui a, en toute vraisemblance, donné lieu à moult commissions, à un moment où le leitmotiv du pouvoir était l’austérité et le principe de survie l’omerta (d’où sans doute le mot de feu Boudiaf de «mafia politico-financière »).
Contre mauvaise fortune, le régime a dû faire le diagnostic de ses propres turpitudes. La presse algérienne évoqua alors un manque à gagner de plus de 25 milliards de dinars et une dépense de 1000 milliards anciens en produits alimentaires chaque année. C’est la banqueroute de l’économie rentière d’autant que la dette extérieure et son service sont venus bousculer bien des certitudes.
Les “pétrodollars” algériens couvrirent parfois juste la facture alimentaire. Triste réalité économique. Le secteur de l’agriculture demeura longtemps un parent pauvre alors que le pays continue de s’enliser dans la dépendance alimentaire.
Vaille que vaille, la Sonatrach continue d’être la vache à lait de la nation dominée par les barons du régime adeptes du «gré à gré» et éclaboussés par moult scandales politico-financiers, institutionnalisant de facto la corruption et l’affairisme d’Etat comme moyens de gouvernance. Désormais, s’étalent au grand jour les différenciations sociales jusqu’ici inégalées, y compris chez les couches moyennes. Aux lieu et place d’une politique économique et sociale claire et efficiente, l’Etat continue mutatis mutandis à acheter à ce jour la paix sociale par une distribution tous azimuts d’une partie des « pétrodollars ».
De même, il a eu à gérer l’endettement ayant abouti au rééchelonnement et à l’application de l’ajustement structurel imposé par le FMI avec pour effets des mesures draconiennes : privatisation des entreprises du secteur public avec son cortège insoutenable de licenciements collectifs et leurs inévitables drames personnels et familiaux (divorces, suicides…), libéralisation du commerce intérieur et extérieur avec pour corollaire la libéralisation des prix qui aboutit à leur flambée… Les grèves (à titre illustratif celles des médecins résidents et des enseignants de l’Education nationale) démontrent significativement les limites de ce système économique ayant abouti à un mal-développement.
Les gouvernements successifs, insérés dans le cadre d’un « système » post-indépendance (désormais obsolète sauf pour ses géniteurs) deviennent davantage des gestionnaires que des concepteurs d’une nouvelle politique économique. Face à ces difficultés d’ordre socio-économique ayant durablement affecté les citoyens, l’«après-pétrole » apparaît ainsi telle une chimère de gouvernants en mail d’innovation. En l’absence d’une politique économique crédible, la question ne se pose plus de savoir si l’option mise sur les hydrocarbures, les rééchelonnements et l’opération de privatisation constituent un atout certain en vue d’aboutir à une situation assainie de l’économie algérienne.
D’autres pays ayant tenté l’aventure du “tout privatisable” ont seulement permis à des “professionnels de l’économie de l’ombre” de prospérer et de mettre leurs pays en coupe réglée. Et, il n’est pas certain que l’Algérie ait échappé à cette situation dès lors que d’aucuns, oligarques et technocrates su système, se retrouvent soit en prison soit en fuite.
L’Algérie a englouti quelques mille milliards de dollars engrangés non au moyen d’une économie productive mais par la seule « vertu » du commerce des hydrocarbures. Ah, si un certain nombre de nos concitoyens qui exercent -ou ont exercé- de hautes fonctions politiques étaient Suédois…
Demandons à la Suède de nous prêter son principe de transparence pour quelques jours ou… durant un mandat présidentiel… puisque la démission est la dernière des vertus en vogue dans notre patrie où les poursuites judiciaires pour le détournement de quelques millions d’euros relèvent encore de la chimère là où d’autres, sous des cieux plus vertueux politiquement, mettent délibérément fin à leurs fonctions pour quelques euros.
Et face à ce fiasco ayant généré une crise multidimensionnelle qui perdure, on demande à nos compatriotes de « changer de pays » à un moment où le pouvoir propose une « Algérie nouvelle » non définie à ce jour pour être soumise à la raison critique. A notre détriment, la progéniture de la nomenklatura a encore de beaux jours devant elle.
Ammar Koroghli