Lundi 30 août 2021
« Debout-Payé » de Gauz
Tu peux pas rater Gauz quand tu le croises. Déjà, il est noir. Et communiste. Et éloquent. Un tantinet grande gueule. Et brillant. Et un vrai styliste. J’ai eu la chance de partager un festival avec lui à Querbes et je ne suis pas près d’oublier. Alors, comme toujours, je lis.
Debout-Payé.
C’est le roman qui l’a fait connaître, roman qui n’a pas pris une ride et publié en 2014. Debout-payé c’est le nom donné à un métier essentiellement occupé par des Noirs à Paris : vigile. Métier que Gauz a effectué pendant 6 mois. Le gars était parti pour faire des études supérieures en biochimie mais égaré pour égaré il a fini dans l’écriture et la photo ; il fait aussi des documentaires.
Debout-Payé.
C’est l’écriture des brèves d’un vigile, brèves malicieuses, brillantes, des croquis du réel observé, c’est aussi le récit (magnifique) de l’arrivée d’Ossiri et Kassoum depuis la Côte d’Ivoire, la course aux petits boulots pour payer des logements miteux. C’est le récit de la gabegie folle des gouvernements, le récit du rêve de ces étudiants ou même professeurs installés en Afrique qui rêvent d’Europe.
« Les noirs sont costauds, les noirs sont forts, les noirs sont obéissants, les noirs font peur. Impossible de ne pas penser à ce ramassis de clichés du bon sauvage qui sommeillent de façon atavique à la fois dans chacun des blancs chargés du recrutement et dans chacun des noirs venus exploiter ces clichés en sa faveur. (…) La longue file d’hommes noirs qui montent les escaliers ce matin-là est venue chercher un job. Ils seront tous vigiles. Formation minimaliste, aucune expérience exigée, regard volontairement bienveillant sur les situations administratives, devenir vigile est le moyen le plus simple de décrocher un CDI pour les africains de Paris. (…) Ceux qui déjà ont une expérience du métier savent ce qui les attend les prochains jours : rester debout toute la journée dans un magasin, répéter cet ennuyeux exploit de l’ennui, tous les jours, jusqu’à être payé à la fin du mois. Debout-payé.»
Tout est réussi, pas une page à jeter : humour, analyse, description, dialogue ; du talent et du lourd.
QUAND SONNE LE PORTIQUE. Le portique de sécurité sonne quand quelqu’un sort ou entre avec un produit qui n’est pas démagnétisé. Ce n’est qu’une présomption de vol, et dans 90% des cas, le produit a été payé en bonne et due forme. Mais il est impressionnant de voir comme presque tout le monde obéit à l’injonction sonore du portique de sécurité. Presque jamais, personne ne le transgresse. Mais les réactions divergent selon les nationalités ou les cultures. – Le Français regarde dans tous les sens comme pour signifier que quelqu’un d’autre que lui est à l’origine du bruit et qu’il cherche aussi, histoire de collaborer. – Le Japonais s’arrête net et attend que le vigile vienne vers lui. – Le Chinois n’entend pas ou feint de na pas entendre et continue son chemin l’air le plus normal possible. – Le Français d’origine arabe ou africaine crie au complot ou au délit de faciès. – L’Africain se pointe le doigt sur la poitrine comme pour demander confirmation. – L’Américain fonce directement vers le vigile, sourire aux lèvres et sac entrouvert. – L’Allemand fait un pas en arrière pour tester et vérifier le système. – L’Arabe du Golfe prend un air le plus hautain possible en s’arrêtant. – Le Brésilien lève les mains en l’air. – Un jour, un homme s’est carrément évanoui. Il n’a pas pu donner sa nationalité.
Ce qui m’a le plus émue, ce sont ces cheminements intérieurs qui composent avec le désespoir, ces rêves à la petite semaine dignes des plus grandes utopies. On a les rêves qu’on peut. C’est juste, tellement juste.
C’est exactement ce que j’aime vivre en littérature, une expérience de vie, pas seulement une histoire, pas seulement la virtuosité mais ce truc, ce machin qui t’augmente et rallonge ta vie de mortel de moments de bonheur à être ; Gauz fait ça dans Debout-payé.
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