Vendredi 24 novembre 2017
Délits sexuels : « la parole se libère »
26 viols signalés en 2014 au sein de l’armée. Photo AFP
Près de 800 signalements, dont 291 cas avérés d‘infraction, ont été portés à la connaissance de la cellule chargée d‘accompagner les victimes de violences sexuelles au sein de l‘armée française depuis sa création en 2014, a déclaré jeudi le contrôleur général des armées.
Face à l‘effet de souffle de l‘affaire Weinstein, le producteur de cinéma américain accusé de viols et d‘agressions sexuelles, l‘armée souligne son exigence de “tolérance zéro” dans ses rangs, où sexisme et agressions ont longtemps été tues.
La cellule Thémis, du nom de la déesse grecque de la justice, a vu le jour le 21 juillet 2014, à la suite de la publication de “La guerre invisible, révélations sur les violences sexuelles dans l‘armée française”, une enquête de deux journalistes sur le harcèlement et les agressions subis par des “féminines” mais aussi une minorité d‘hommes.
Les forces armées françaises – près de 203.000 membres – comptent 60.000 femmes, dont 31.424 militaires.
Depuis sa création, “Thémis”, dont le caractère inédit et “sincère” a été salué mais dont l‘efficacité est mise en doute par certaines des victimes qui ont confié anonymement leur désarroi sur les réseaux sociaux, a enregistré 791 signalements, dont 291 ont donné lieu à l‘ouverture de dossiers, a précisé Erick Dal lors d‘une conférence de presse.
“90% des plaignants sont des femmes, 10% des hommes”, a dit le contrôleur général des armées, qui anime la cellule avec quatre autres personnes.
De la radiation aux jours d’arrêt
Erick Dal cite à grands traits, pour des raisons de confidentialité, le cas de ce sous-officier récidiviste qui prenait clandestinement des photos dans les vestiaires féminins de son unité. Une enquête de commandement et une enquête parallèle de gendarmerie ont été ouvertes.
Le gradé a été sanctionné par sa hiérarchie de 60 jours d‘arrêt puis condamné par la justice à dix mois de prison avec sursis, cinq ans de mise à l’épreuve et obligations de soins. “C’était la fin de sa carrière. L‘intéressé a demandé à partir en retraite”, indique le contrôleur.
Ou encore cette jeune femme victime d‘un chantage sexuel de la part d‘un supérieur, qui a produit 700 SMS auprès de la cellule.
Si ces situations, qui surviennent en France ou en opérations extérieures, font systématiquement l‘objet d‘une enquête interne de commandement, elles ne sont pas toujours suivies d‘une procédure judiciaire. “La moitié des femmes ne veulent pas porter plainte”, concède Erick Dal.
La peur de représailles, d‘une mutation, d‘incidences sur la carrière explique en partie la persistance d‘une “omerta”.
“Un abcès a été ouvert”, veut croire Erick Dal. “Dès qu‘une potentielle infraction nous est signalée, très tôt des murs de protection sont mis en place. Nous veillons à ce que l‘agresseur soit muté ou retiré de son poste, pas le contraire”.
“Des dossiers sont classés sans suite pour absence de preuves, mais cela n‘exclut pas une sanction disciplinaire”, dit-il. Les sanctions peuvent aller jusqu’à la radiation dans les cas les plus graves. Des exclusions temporaires, des mutations, des jours d‘arrêt sont également possibles.
“La parole se libère”
Selon le recensement de la cellule, 26 viols ont été signalés entre le second semestre 2014 et fin 2016, ainsi que 40 agressions sexuelles. Les chiffres pour 2017 ne sont pas encore disponibles.
Les signalements pour harcèlement sexuel sont au nombre de 63, dont 32 pour l‘année 2016; 12 pour atteinte à la vie privée (captation et diffusion d’images sans consentement); 53 pour discrimination.
“Il n‘y a pas plus de cas mais il y a une meilleure connaissance du phénomène, la parole se libère”, affirme le contrôleur, qui a mis en avant l‘organisation prochaine de formations sur le sujet au sein des armées.
“Nous faisons attention à ne laisser personne en cours de route, nous accompagnons les victimes sur trois, quatre ans”.
Un “tumblr”, plateforme de témoignages et d’échanges sur internet, a été lancé en février dernier sous l‘intitulé “Paye ton treillis” et dessine un environnement moins conciliant.
De l‘anecdote au récit glaçant, il fait état de dérapages sexistes, racistes, homophobes, mais aussi transphobes dans les armées. “Nous condamnons avec la plus grande fermeté tout comportement déplacé et ne tolérons aucune impunité”, souligne-t-on au ministère des Armées.
Une mission d‘enquête interne avait été menée en 2014 à la suite de la publication de “La guerre invisible”. Des victimes réclament, sous le sceau de l‘anonymat, une initiative indépendante, telle une commission d‘enquête parlementaire.
Le harcèlement sexuel a été inscrit dans le code de la Défense et dans le code du Soldat, ainsi qu‘un renforcement des sanctions, à la suite du rapport de 2014.