Bien que la Suisse a connu un taux de croissance démographique quatre fois supérieur à celui de la France en 2023, le Québec a enregistré une progression encore plus élevée grâce à une immigration particulièrement forte, et qui devrait lui permettre de dépasser la Suisse, la Biélorussie et l’Autriche d’ici 2025. Une évolution qui s’explique notamment par le grand dynamisme économique de la province, où le taux de chômage est régulièrement en dessous de la moyenne canadienne, et qui continue dans le même temps à être la province la plus sûre du Canada.
Selon les dernières données de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) et de son équivalent helvétique (l’Office fédéral de la statistique), et en appliquant la méthodologie canadienne moins restrictive pour l’immigration temporaire, la population du Québec était de 8,985 millions d’habitants au 1er janvier 2024 (en hausse de 2,45 %), contre à peu près 9,060 millions pour la Suisse (+ 1,6 %). Parallèlement, la Biélorussie et l’Autriche affichaient, toutes deux, une population d’environ 9,160 millions d’habitants à la même date (en baisse de 0,5 % pour la première, et en hausse de 0,6 % pour la seconde).
Une forte immigration principalement francophone et latino-américaine
Avec une croissance démographique de 2,45 % en 2023 (soit + 218 000 habitants), le Québec a enregistré une progression six fois supérieure à celle de la France (environ 0,4 %, en utilisant la même méthode et en retenant un scénario plus réaliste que les données officielles, qui sous-évaluent régulièrement le solde migratoire avant de le revoir à la hausse ultérieurement).
De même, il est parvenu à réaliser une progression largement plus rapide que celle de la Suisse, qui a pourtant été le deuxième pays le plus dynamique d’Europe continentale, hors micro-États et après le Luxembourg (pays à la fois francophone et germanophone dans son intégralité, et connaissant une croissance démographique d’environ 2 % par an).
Toutefois, et compte tenu de l’effondrement de la natalité au Québec, où le taux de fécondité a dramatiquement atteint 1,38 enfant par femme en 2023, la croissance démographique de cette vaste province repose désormais exclusivement sur l’immigration (à plus de 99 %). Une situation à peu près comparable à celle de la Suisse, où le taux de fécondité a atteint 1,33 enfant par femme, et dont la progression démographique a été due à 95 % au solde migratoire.
Mais l’attractivité du Québec est telle, que la plus grande province canadienne et la deuxième plus peuplée, après l’Ontario, a réussi l’exploit d’afficher en 2023 un solde migratoire presque égal à celui de la France, malgré une population totale près de huit fois inférieure.
Ainsi, et compte tenu de son rythme de croissance, qui semble se maintenir à un niveau très élevé, comme depuis 2022 (avec une hausse de 46 000 habitants au premier trimestre 2024, soit un écart négatif de seulement 2,5 % par rapport au premier trimestre de l’année dernière), et du rythme de croissance moins rapide et en baisse de la Suisse (qui semble revenir à celui de 2022, mais qui demeure assez élevé pour un pays développé, avec une hausse d’environ 20 000 personnes au premier trimestre), la population du Québec devrait dépasser celle de la Confédération helvétique avant la fin de l’année 2024, pour s’établir à environ 9,2 millions d’habitants (contre environ 9,15 millions).
De même, et suite à la baisse constante de la population de la Biélorussie (autour de 0,5 % par an) et de la hausse généralement assez modérée de celle de l’Autriche, qui devrait croître à court terme à un rythme comparable à celui de 2023, le Québec devrait dépasser la Biélorussie au cours de l’année 2024 (et qui serait peuplée par un peu plus de 9,1 millions d’habitants en fin d’année), avant de passer devant l’Autriche dans la première moitié de l’année 2025, et dont la population devrait se situer entre 9,25 et 9,3 millions d’habitants fin 2025, contre environ 9,4 millions pour le Québec.
Par ailleurs, et contrairement à la Suisse, qui reçoit une immigration très majoritairement européenne, pour des raisons essentiellement géographiques (à 77 % en 2022, hors Turquie, selon les dernières données disponibles), le Québec mène une politique migratoire qui accorde la priorité aux habitants des pays francophones et d’Amérique latine, et ce, contrairement au Canada anglophone qui accorde la priorité à l’immigration asiatique et demeure assez fermé à celle en provenance des autres pays du Sud.
À titre d’exemple, les immigrants permanents originaires de pays arabes (essentiellement francophones pour le Québec) ont représenté 26,9 % de l’ensemble des immigrants permanents s’étant installés au Québec au cours de la période de cinq années allant de 2016 à 2020, et encore présents à la date du dernier recensement de la population canadienne, en 2021, selon les données publiées par Statistique Canada.
Un taux considérablement supérieur à celui observé au Canada anglophone (qui compte également quelques minorités francophones, mais dépourvues de réel pouvoir), où l’immigration originaire de pays arabes, essentiellement anglophones dans ce cas, n’a représenté que 11,4 % du total de l’immigration reçue sur la même période.
Il en est de même pour l’immigration en provenance d’Afrique subsaharienne, également presque entièrement francophone pour le Québec et où elle a représenté 18,6 % du total selon les mêmes critères (contre 10,6 % pour le Canada anglophone), et pour celle en provenance des pays d’Amérique latine, qui a constitué 13 % du total de l’immigration permanente reçue sur la même période quinquennale et encore présents en 2021 (contre seulement 5 % pour le reste du Canada).
Ainsi, ces trois bassins démographiques que sont les pays arabes, l’Afrique subsaharienne et l’Amérique latine ont représenté 58,5 % de l’immigration permanente totale reçue par le Québec sur la période 2016-2020, contre seulement 27 % pour le reste du Canada.
Par ailleurs, l’immigration originaire d’Amérique latine, essentiellement hispanophone, a un poids particulièrement important au niveau de l’immigration économique temporaire, notamment dans le domaine agricole, ainsi qu’au niveau des demandes d’asile déposées par des migrants ayant traversé ou quitté les États-Unis afin de vivre le rêve québécois. Il est d’ailleurs à noter que le Québec abritait, à lui seul, non moins de 54 % des demandeurs d’asile présents au Canada au 1er janvier 2024.
De très larges pouvoirs en matière d’immigration
La possibilité donnée au Québec d’agir sur l’immigration résulte des pouvoirs très étendus dont il bénéficie en la matière, et constituant une exception obtenue de haute lutte au sein de la fédération canadienne. Des pouvoirs obtenus progressivement à partir de 1974 (lorsque le Québec, autrefois officiellement bilingue français-anglais au niveau provincial, décida de faire de langue française sa seule et unique langue officielle), et qui permettent notamment à cette vaste province de sélectionner l’intégralité de son immigration économique permanente, de peser ainsi indirectement sur le regroupement familial, de décider de la répartition géographique des réfugiés et des demandeurs d’asile (par exemple en plaçant volontairement nombre d’entre eux dans des localités totalement francophones), ou encore de rendre obligatoire l’inscription dans le réseau scolaire francophone des enfants de tous les immigrants s’installant dans la province.
Ainsi, et alors que l’écrasante majorité des descendants d’immigrés de deuxième génération rejoignait et grossissait les rangs de la minorité anglophone jusqu’au milieu des années 1970, ce sont désormais près de 90 % de ces descendants qui intègrent la majorité francophone.
Une évolution qui s’explique également par le fait que la grande majorité des immigrants venant des cinq pays dont les ressortissants sont considérés comme étant les plus difficilement assimilables d’un point de vue linguistique, à savoir les Philippines et les pays du sous-continent indien (Inde, Pakistan, Bangladesh et Sri Lanka), finit par quitter le Québec au bout de quelques années, faute de pouvoir vivre confortablement en anglais.
Par conséquent, la population anglophone du Québec, qui correspond à l’ensemble des personnes utilisant en premier la langue anglaise, comme langue maternelle ou comme langue d’adoption, ne représente désormais plus que 15 % de la population provinciale (environ 15,3 % lors du dernier recensement de 2021).
Cette minorité, aujourd’hui très majoritairement capable de s’exprimer en langue française, se concentre principalement dans l’agglomération de Montréal, qui en accueille 81 % des membres (soit 24 % de la population totale du territoire).
Une présence que l’on retrouve surtout sur l’île de Montréal, partie centrale et poumon économique de l’agglomération, dont elle représente 11 % de la superficie, et qui abrite, à elle seule, 55 % des anglophones de la province (soit 36 % de la population). Autrefois, l’île de Montréal était même brièvement devenue majoritairement anglophone…
Une économie très dynamique pour la province la plus sûre du Canada
La progression démographique rapide du Québec résulte en bonne partie du grand dynamisme économique de la province, qui est devenue, à elle seule et entre autres, un des cinq principaux pôles mondiaux de l’industrie aéronautique, de l’industrie des jeux vidéo et de celle des effets spéciaux cinématographiques. Ce dynamisme se manifeste notamment par la faiblesse du taux de chômage, qui se situe même régulièrement en dessous de la moyenne canadienne. Celui-ci s’est ainsi établi à 5,1 % en mai 2024, contre 6,2 % pour la moyenne canadienne (et 6,7 % pour l’Ontario).
Le quasi plein-emploi et la forte immigration internationale qui caractérisent le Québec s’accompagnent, par ailleurs, d’un niveau élevé de sécurité, et faisant de cette province celle qui affiche régulièrement le taux de criminalité le plus faible de l’ensemble du Canada.
Ainsi, et hors délits de la route, le taux de criminalité s’est situé à 3 508 infractions pour 100 mille habitants en 2022 (selon la définition canadienne assez large de la criminalité), contre non moins de 6 289 pour le Canada anglophone, d’après les dernières données disponibles auprès de Statistique Canada (et une moyenne de 5 668 au niveau national).
Le Canada francophone démontre ainsi au reste du monde que l‘immigration africaine, arabe ou latino-américaine ne menace pas forcément la sécurité, l’équilibre des comptes publics et le bien-être général de la société d’accueil. Elle peut, au contraire, être source de plus-value dès lors que certaines conditions sont respectées en amont et en aval.
Ilyes Zouari
Président du CERMF (Centre d’étude et de réflexion sur le Monde francophone)