23 novembre 2024
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Deux modes de pensée: spontanéisme révolutionnaire ou miracle de l’histoire

DECRYPTAGE

Deux modes de pensée: spontanéisme révolutionnaire ou miracle de l’histoire

Même si le moribond système politique post-colonisation résiste au vent révolutionnaire qui balaie le pays depuis février 2019, on ne peut qu’être fiers des acquis obtenus par la population.

Il y a au moins un domaine et non les moindres qui semble porter l’expression démocratique au firmament du politique. Nous voulons dire par là que l’appropriation de l’espace public par une large frange de la population relève du domaine de la société civile selon les modalités de la sociologie interprétative. L’entre-coup porté par l’émergence de la société civile au tout Etat dominateur est du fait même du Hirak comme mouvement populaire. Toutefois cet apparent succès de la révolution ne doit cacher les difficultés de l’organisation horizontale du Hirak.

Généralement cette forme organisationnelle d’un mouvement de contestation est déterminée par des impératifs de l’égalité citoyenne que l’on retrouve dans presque toutes les mouvements  insurrectionnels  comme ce fut le cas dans l’organisation de la résistance de la commune de Paris qui reste l’exemple emblématique d’une affaire de  citoyenneté sans leader charismatique et
dominant. En l’état, cette résistance  citadine très marquée par la teinture anarcho-syndicaliste ou « tribale » ressemble sur beaucoup de points aux différents mouvements pour « dire le peuple ».

Certes la facon de « dire le peuple » varie selon les options idéologiques des mouvements politiques mais restons dans le commun de la « parole dite » en philosophie qui par nature le « peuple » est tout désigné pour signifier: »… une catégorie politique en amont de l’existence de l’Etat désiré dont une puissance interdit l’existence, soit en aval d’un Etat installé dont un nouveau peuple, à la fois intérieur et extérieur au peuple officiel, exige le dépérissement. »(1) Néanmoins cette catégorisation restrictive d’un point de vue historique ne contient pas non plus tous les référents au mot issu du latin « populi » et ne tient pas compte non plus de toutes les variantes additionnelles du langage comme (populaire, populiste,etc.) Elle ne prend pas non plus en considération le jeu de langage autour de la prise de parole et de ses référents politiques, prisme d’une idéologie. Ainsi, il en a été des luttes populaires contre l’occupation étrangère ou contre une quelconque force discriminante. Autant ajouter qu’il faut aiguiser les arguments analytiques pour définir au juste le Hirak algérien.

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A la différence du Hirak marocain qui l’a précédé dans le temps qui malheureusement est limité à une région frondeuse du Maroc (le Rif) ou des différentes contestations de la population de part le monde, le Hirak  algérien se singularise par l’ampleur et la persistance de la contestation. En nette rupture avec l’héroïsme consacré par la guerre de libération nationale aux Héros de la guerre d’indépendance, le Hirak ne s’inscrit plus dans la légende des figures révolutionnaires même s’il s’en réclame à juste titre parce que la révolution a été détournée par les usurpateurs de tout poil.

En ce sens, l’unique exemplarité algérienne réside dans la rupture radicale avec le régime portée par la constance des revendications d’un « Etat civil et démocratique ». De ce fait, l’option de la rupture avec le système qui a ruiné le pays est posée comme un préalable à toute solution politique du problème algérien. Tout en sachant bien qu’il est difficile de  croire au dépérissement de l’Etat, organe par excellence de la restauration de l’Ordre public, lorsqu’il s’agit du complexe rapport entre les gouvernants et les gouvernés. Et c’est peut-être là où se situent les lignes de force du système algérien qui ne rompt pas malgré la persistance de la contestation. Bien que naturellement ébranlé dans ses assises, le pouvoir algérien mène une guerre contre la révolution en déployant toutes les techniques disponibles.

Et c’est parce qu’il incarne l’ordre à travers les organes de dissuasion de l’Etat que le système algérien se maintient par l’effet de la pendule qui n’est ni le modèle et ni le répertoire de la légitimité politique. L’effet de la pendule n’est pas du tout une auxiliation des forces mais le kaléidoscope de l’intensité de la puissance condensée par le rythme circulatoire des hommes et des femmes en quête de positionnement social et politique.

Mais toujours est-il et heureusement que la phénoménologie du Hirak ne réside pas pour l’essentiel dans le jeu trouble du pouvoir algérien qui tente vaille que vaille de débaucher les individus du mouvement populaire mais la ténacité du hirak tient par principe à ses objectifs à savoir:l’abolition du système. Sauf de croire à des vains mots portés par les slogans des manifestants, il n’en demeure pas moins que la phénoménologie du Hirak n’est pas l’addition du conjoncturel mais elle est au plus profond de la crise politique du système algérien.

Quoiqu’on dise, le système politique algérien est traversé non seulement pas l’antagonisme des clans mais il est bel et bien par une symptomatologie que seul l’épidémiologue peut détecter les signes de la maladie. C’est plus qu’une maladie chronique qui frappe le système c’est un état métastatique qui gangrène le pouvoir algérien. Qu’à cela tienne, le langage médical utilisé pour décrire la situation politique algérienne ne doit surtout pas nous faire oublier l’essentialité du Hirak qui réside dans l’organisation horizontale marque d’un certain spontanéisme sur quoi ont glosé pas mal d’écrivains.

En ce sens, nous avons précédemment pris en compte l’organisation horizontale pour montrer la capacité du Hirak à résister à la contre-révolution menée par le pouvoir et nous avons en même temps rappeler les mécanismes qui régulent le dispositif pour lutter contre la conspiration contre la révolution. Cela étant dit, revenons maintenant à la phénonénologie du Hirak telle  qu’elle apparaît pour le moment. En tenant compte du manque de données objectives sur les événements algériens, nous nous contentons d’analyser deux faits: le spontanéisme révolutionnaire  et l’effet du miracle comme interprétation de l’histoire. En effet, en dehors des analyses habituelles des mouvements sociaux et politiques (Marxisme, empirisme socio-historique, etc.,) nous repérons deux méthodes d’interprétation: le spontanéisme  révolutionnaire et l’effet du miracle.

Le spontanéisme révolutionnaire

D’après Cécile Péchu, le spontanéisme renvoie principalement à Rosa Luxembourg qui : « insiste… sur les vertus de l’action spontanée des masses quant aux innovations tactiques… (2)  Nonobstant les rivalités des partis social-démocrates et communistes européens de l’époque, Rosa Luxembourg prône aussi l’auto-organisation des masses dans les luttes et critique le  rapport dirigeant-dirigés.

Nous retrouvons cette tendance dans le groupe Bakounine qui accentue l’autonomie du mouvement des masses en récusant de la façon suivante: « Le militantisme, et surtout l’organisation révolutionnaire sont superflu, et dangereux car ils ne peuvent que donner naissance à une nouvelle bureaucratie, en retard, théoriquement, sur l’action des masses et contre-révolutionnaire par sa volonté de régenter le mouvement, et d’en faire cadrer les réalisations avec ses schémas idéologiques. »(3)

Comparativement aux assertions de Daniel Guérin, les travaux de Piven et Cloward sont moins marqués idéologiquement et de plus, ils nous permettent d’insérer les débats sur la forme de la représentation du Hirak dans un cadre plus global de la discussion sur l’organisation d’un mouvement populaire. Etudiant différents mouvements de pauvres, de chômeurs et de travailleurs des années trente aux Etats Unis, ils affirment que: »  l’organisation est contre-productive pour ces mouvements. » (4) Toujours d’après C. Péchu, ils expliquent ainsi que les organisations jouent un rôle de frein au défi de masse.

Dans un certain sens la réceptivité de cette théorie a suscité beaucoup de controverses dont les unes ( W. Gamson et E. Schemeidler) sont critiques et opposent un « rôle positif de l’organisation » tandis que S. Stataggenhort soutient comme Piven et Cloward que : » la formalisation des mouvements avec la création d’organisations aux procédures et aux structures établies et bureaucratisées mène au déclin de l’usage des tactiques d’action directe. », et alors que J. Craig Jenkins) est plus au moins nuancé en soutenant que : » c’est la mobilisation des travailleurs agricoles dans les organisations permanentes qui a permis la menée du « défi de masse ».(5) Indépendamment de ces études empiriques des mouvements sociaux, il faut bien admettre  que le manque de données et de prise sur le mouvement ne nous permet pas de faire valoir une quelconque analyse du réel. D’autant plus que la plupart des organisations syndicales et politiques en Algérie sont des satellites du régime.

De par leur nature, elles ne peuvent pas prétendre représenter le mouvement populaire. Cependant l’organisation horizontale du mouvement semble être la tactique la plus appropriée du Hirak pour échapper à la récupération du mouvement populaire d’autant que le régime algérien ne cesse de s’en réclamer de la révolution tout en châtiant les activistes.  En aucun cas, les prises de position ne suffisent à donner une interprétation satisfaisante des événements algériens.

Le miracle dans l’histoire

Il y a un certain nombre d’Algériens faute d’être des observateurs avertis et par conviction croient savoir que des « signes divins » laissent apparaître la possibilité d’une révolution en  Algérie. Leur interprétation du cours des événements fait valoir le miracle comme levier historique d’une révolution à venir. Comme on le voit, on passe du domaine du possible à l’issue inéluctable de l’histoire.

Si le raisonnement empirique ne tient compte que des faits, le discours miraculeux fait intervenir Dieu comme entité supérieure dans les affaires humaines. Et c’est à cela et eu égard à la croyance populaire que nous ferons quelques objections sur la miracle dans l’histoire. Il existe dans l’islam en général et chez les activités islamistes toute une littérature du miracle comme dénouement d’une situation historique.

Nous nous contentons simplement des prédispositions de la prophétologie comme émanation supérieur de la parole de  Dieu en tant que prédestinant en toute chose (Allah al Qadir). Nous avons laissé volontairement de côté toutes les manifestations du miracle chez les saints musulmans pour nous limiter aux deux principales sources de l’islam à savoir: le Coran et la Sunna. Le tour de manivelle théorique que nous procédons n’a pas pour but que de résumer l’idée du miracle comme prédisposition de la puissance de Dieu. Il se trouve que pour illustrer la croyance populaire des adeptes du miracle comme mode d’interprétation de l’histoire, nous avons retenu l’article sur le miracle (Mu’djiza) de l’encyclopédie de l’islam.

D’après  la notice de l’encyclopédie, « Mu’djiza » provient de la racine « djz » littéralement : « ce par quoi (le Prophète) rend impuissants, confond ses adversaires, est devenu le terme technique pour « miracle ».(6) Il se trouve que l’auteur de la notice insiste sur le fait que le mot « Mu’djiza »: ne figure pas dans le Kur’an qui n’accorde pas de miracles à Muhammed alors qu’il insiste sur les « signes », ayat, terme pris dans le sens de versets. » (7)

Dans tous le cas, cette assertion dégagée de tout anthropmorphisme renvoie  inéluctablement à la manifestation de la puissance de Dieu que font prévaloir les adeptes du miracle dans l’histoire. Or ce qui est remarquablement dans l’interprétation religieuse des événements algériens c’est avant tout la mise hors-circuit des saints par les gloseurs religieux du Hirak alors qu’ils ont été réhabilités par le régime.

Bizarrement, nous repérons dans le discours une sorte de métempsychose (Tanassukh, Tagamus) analytique des événements. De la sorte, le renforcement par le discours de la puissance divine anéantit toute anthropomorphisme qui dénote l’ambiguïté de la prophétologie islamique en matière du devenir humain. Plus largement, on retrouve dans l’histoire de l’Islam toute une série de manifestations de la volonté de Dieu qui accréditent l’effet du miracle dans les événements.

A titre d’exemples, nous pouvons citer les miracles d’Al Isra wa Mi’raj, la bataille de Badr, etc.,) Cela étant dit, rien n’enlève au mot son ambiguïté anthropomorphique si l’on s’en tient à la glose commune d’autant qu’elle est entachée par l’emprise de la sainteté. Cela étant dit, nous retenons pour principe que  fondamentalement, la Mu’djiza traduit les signes d’Allah et que le concept est bien analysé par d’Al Idji dans ses Mawakif. (8) Toutefois cet effet analytique ne doit pas cacher l’irrationalité dans l’utilisation  populaire du concept.

Et c’est pour cela qu’en matière de théologie musulmane, L. Gardet et M.M. Anawati discutent dans un chapitre consacré à la Raison, voir: raison et connaissance, le problème que soulève le miracle (Mu’djiza). Encore une fois c’est la rationalisme d’Ibn Khaldoun plus que celui d’Ibn Rochd qui est évoqué pour parler de la connaissance humaine. Nous rappelons qu’Ibn Rochd a subi les foudres des autorités politiques et religieuses lorsqu’il dissertait sur le vent comme phénomène naturel pouvant être expliqué rationnellement.

Cela dit, d’après les deux auteurs cités, lorsque Ibn Khaldoun se sert de la Logique, il établit que « la vérité n’est pas le résultat d’une déduction. Elle est un fait elle aussi, un témoignage de véracité,- un peu comme un miracle, accompli par Dieu par un prophète, témoigne de la véracité de  ce dernier… et par déduction logique, il aboutit à la proposition (de condition et de négation)  suivante : » Si le miracle est un leurre alors le prophète n’est pas véridique. »(9)

Si l’on s’en tient à l’ampleur du problème théologico-philosophique, il est difficile de s’en extraire par une simple disjonction analytique mais toujours est-il que l’on peut remarquer qu’en matière de politique, l’instrumentalisation du  miracle comme un leurre est une pratique courante dont l’exemple le plus connu est l’effet du laser déployé par le Front islamique du Salut lors d’une réunion regroupant des milliers d’Algériens pris dans les tourments de la Transe après la diffusion au ciel des lettres illuminées d’Allah. Autrement dit, on ne peut s’empêcher de souligner la finalité politico-eschatologique d’une telle opération de communication. Et ça c’est une autre histoire.

T.H.

Ouvrage cités

1- A. Badoui, P. Bourdieu, etc., Qu’est qu’un peuple, la Fabrique Editions, Paris, 2013.

° La déclinaison latine de populis est celle qui correspond le plus à notre locution que définit Ciceron de la manière suivante: » Ensemble d’êtres humains ayant un même territoire et la même langue. » ou « Ensemble de citoyens d’un Etat. » 
En arabe l’équivalent est le terme « Chaab » inventorié par lexigraphes arabisants. Dans le mu’djam « Nur Eddine al Wassit » de Assam Nur Eddine, Dar al Kutub  al ilmiya, Beyrouth, 2005, on lit que: » le peuple ce sont des groupes qui parlent la même langue et qui sont assujettis à un seul système social et qui ont des caractéristiques communes qui les distinguent des autres 
groupes.
En Tamazight nous nous contentons du terme « Agdud » qu’emploient régulièrement les modernes amazighophones au lieu de « Aghref »et d’autres synonymes contenus dans l’Amawal, comme prise de  langage dans « Tamazight Tatrat » de Muhand Akli Haddadou. Par ailleurs,La consultation des dictionnaires de Dallet et de Taifi ne nous a pas permis de retrouver la racine du mot Agdud. A peu de choses près, les deux auteurs reprennent les racines GNS et SEB extraites toutes les deux des mots arabes qui chez Taifi désignent respectivement: race, peuple, ethnie et nationalité, et
peuple (s).  

2- C. Péchu, spontanéisme, Dictionnaire des mouvements sociaux, Sciences-Po Editions, paris, 2009, p. 518.

3- D. Guérin, Rosa Luxembourg et la spontanéisté révolutionnaire, Flammarion, coll. « Questions d’histoire », Paris, 1971.

4- C. Péchu, p. 519.

5- Idem, pp. 520 à 522.

6- Encyclopédie de l’Islam, p.297.

7- Idem, p; 297.

8- Idem, p. 297.

9- L. Gardet et M.M. Anawati, Introduction à la théologie musulmane, Editions Vrin, Paris, 2006, p. 359. F. Hamitouche

Auteur
Fateh Hamitouche

 




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