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Deux présidents et un canard boîteux

Trump

Image par John Hain de Pixabay

Le président américain Donald Trump a été élu le 5 novembre 2024 et la présidence reste aux mains de Joe Biden jusqu’au 20 janvier 2025.

Nous assistons aux Etats-Unis à une situation qui semble baroque en comparaison avec toutes les autres démocraties dans le monde. Ce décalage est connu de tous mais peu se posent la question, pourquoi est-il aussi long ?

C’est la raison pour laquelle les américains appellent cette période de transition le lame duck, c’est-à-dire le « canard boiteux ». Les lecteurs ont compris l’image, le pouvoir américain est dans une démarche très ambiguë et si elle est définie par les règles constitutionnelles, elle ne l’est pas du point de vue politique.

Mais l’habitude séculaire finit toujours par imposer un fait sans qu’il soit obligé de s’expliquer. C’est pourtant ce que nous allons faire. J’affirmerai ma position personnelle à chaque point du développement.

Examinons donc les raisons de cette singularité américaine. À chaque fois que nous invoquons le droit constitutionnel américain cela débute toujours par le rappel que c’est un pays-continent par sa gigantesque superficie et sa particularité d’être bordé par deux océans.

On comprend qu’à cette époque de l’adoption de la constitution la lenteur de la diffusion des informations était manifeste, notamment en ce qui concerne les résultats autant que les premières déclarations du président en exercice et du président élu qui prend le nom anglais de « President-elec ».

Puis il y a la seconde explication qui en est le corollaire. Aux Etats-Unis, le président était relativement moins issu du sérail des élus siégeant au Congrès à Washington, autre conséquence de l’éloignement qui justifierait le délai de l’entrée en fonction.

À mon sens, il est évident que ces deux arguments ne sont plus valides de nos jours pour la raison évidente de l’instantanéité de la transmission des informations et la rapidité des moyens de transport. C’est tellement vrai que cela a déjà été pris en considération en 1933 par le vingtième amendement qui avait raccourci la période du Lame duck.

Il est certain que les mêmes raisons sont toujours valables vu l’accélération des vitesses de communication et de déplacement qui ont explosé depuis cette date. Ce second argument est donc difficilement explicable pour les mêmes raisons.

Puis il y a des arguments qui sont un petit peu plus sérieux que les deux premiers tout en restant  opposables, ce sont ceux qui découlent du mode électoral. Cela n’a échappé à personne, du fait de la nature fédérale du pays, ce sont les représentants de chaque état, les « grands électeurs » qui confirment l’élection par un vote ultérieur. Le 5 novembre n’est ainsi pas la date officielle de la confirmation de l’élection.

Là, le délai s’explique un peu mieux mais la critique du système fédéral n’est pas la question posée dans cette chronique.

Puis il y a, comme dans tous les pays à régime démocratique, une validation du résultat par l’organe judiciaire le plus haut, la Cour suprême dans le cas américain. Cette validation étant elle-même sujette à la vérification de la bonne tenue des votes et des décomptes. C’est vrai qu’aux Etats-Unis, la multiplication des recours a connu une invraisemblable accélération à notre époque contemporaine. Le cas de Donald Trump ne peut l’infirmer.

Il me semble pourtant, malgré cela, que le délai reste encore trop long pour un pays qui devrait reconsidérer son système de contrôle des voix et le mettre aux normes des avancées technologiques en ce domaine. C’est tout fait étonnant pour ce pays.

Enfin il y a un dernier argument explicatif de la longueur du délai, celui du « Spoil sytem » qui est un usage et non une disposition constitutionnelle. D’une manière simplifiée lorsque l’ancien président quitte ses fonctions le renouvellement des équipes n’est pas seulement gouvernemental mais concerne aussi les hauts fonctionnaires et les responsables des agences fédérales.

On admet aux Etats-Unis que les hauts fonctionnaires soient avant tout choisis pour leur fidélité au président. La neutralité des fonctionnaires, principe assez général dans les pays démocratiques, n’est donc pas la règle aux Etats-Unis. Même si elle est contestable de notre point de vue, la doctrine est légitime car chaque pays est souverain pour déterminer ses règles et usages. Mais elle ne peut tout de même pas justifier un délai aussi long.

La conclusion est que l’image que donne la passation du pouvoir présidentiel est illisible pour le monde entier et surtout très préjudiciable à la crédibilité de la politique américaine.

Nous voilà avec un Donald Trump qui se comporte comme un chef d’état, dans les médias comme dans la représentation de l’état américain à l’étranger. Tous les grands enjeux stratégiques mondiaux sont suspendus au temps et à l’indécision alors que le vrai président en place n’est ni écouté ni considéré par personne.

Jusque-là cela avait fonctionné mais avec la montée des discours populistes, notamment avec un « President elect » fantasque et imprévisible qui a une parole plus crédible que le président en place, la situation est dangereuse pour le monde vu la puissance de l’influence militaire et économique de ce pays.

Sid Lakhdar Boumediene

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