C’était un soir pluvieux. Les dernières pluies. Albert avait attendu que la classe se termine. On l’avait prévenu. Mouloud restait un peu ici le soir. Il contemplait de la fenêtre les deux figuiers qui bourgeonnaient prématurément en ce mois d’avril, en montrant des pointes ostensibles. Au tableau, un texte de Guy de Maupassant.
« Eh bien Mademoiselle, que fait-on de la liberté, de l’égalité et de la fraternité ? … »
Albert était assis et Mouloud vint se coller à lui. On aurait dit deux écoliers studieux.
– Cette langue qui nous unit, dit Albert après avoir lu le texte à haute voix.
—Bien au-delà de nos divergences, lui répondit Mouloud en souriant. Tu veux mon avis ? demanda Mouloud, l’air plus sérieux que jamais.
– Tu sais bien que je t’ai écrit pour réfuter un point de vue qui me choque en tant que Kabyle, et qui devrait te choquer en tant qu’Espagnol.
– Détruire la pierre n’est pas possible mon cher Mouloud.
– Il ne faut pas non plus la déplacer… Albert le fixa du regard.
– Tu sais mon cher que tu n’as pas une excellente réputation chez nous. Mais les miens te comprendront un jour.
– Toi et moi sommes-nous en avance ou sommes-nous en retard ?
– Ni l’un ni l’autre. Il nous faudra juste lutter pour se moquer des principes. Et ne plus jamais être naïf.
– Aurons-nous alors la force de faire revivre les bruyères ?
– Mon cher il y a tant d’hommes à connaître et à aimer. La certitude qu’ils existent me suffit. Albert ému se tut. Il se dirigea vers le texte et souligna le mot fraternité avant de se rassoir.
– II faut que je te dise que ce pays est ma vraie patrie. Ce que j’aime des villes algériennes ne se sépare pas des hommes qui les peuplent.
– Dis-moi ! Pourquoi ton roman ne dit rien sur nous ?
– Je n’ai jamais confondu le tragique et le désespoir.
– Te voilà réconcilié avec tes principes !
– La meilleure façon de parler de ce qu’on aime est d’en parler avec légèreté. Mouloud lui donna un léger coup de tape sur l’épaule.
– Je n’ai pas grand-chose à t’apprendre, comme je l’ai déjà dit à mon amie Landi-Benos. Fouroulou c’était à peu près moi. Maintenant il se peut que je le vois autrement.
– Quant à la Terre et le sang …
– Totalement imagé. Une veuve de chez nous m’avait juste donné l’idée.
– Tu comprends alors pourquoi il n’y a pas d’arabe dans la Peste
– Pour être honnête avec toi j’ai lu tous tes articles dans L’Express…
Albert a sorti une grimace.
– Je les trouve moins bons que ceux de naguère dans Combat.
– Admet que je suis resté objectif.
– Je te le dit encore mon cher… L’échec n’est rien d’autre qu’un défaut de volonté.
– C’est que je n’ai pas toujours réussi…
– C’est cela le prix à payer… Il nous reste un long chemin avant la réussite.
– J’ai pourtant, dit Albert, la tentation parfois de me détourner de ce monde morne et décharné. Tout est perdu.
– Non mon cher. Le combat reprend avec Achille et la victoire est au bout.
– Le sens de l’histoire de Voilà où nous rejoignions les Grecs.
– Nous espérons, lui susurra Mouloud, que la littérature ne restera pas en veilleuse en dépit des récents événements.
– Changer les choses en place sera le travail des hommes
– Tu le dis si bien et laisse-moi te reprendre : Les détonations ébranlent toute la montagne et soulèvent la mer elle-même.
Mouloud s’apprêtait à effacer son tableau pour sortir. Albert le pria de laisser cela toute la nuit et le week-end.
– Le jour nous apprendra tout de la nuit, lui dit-il
– Espérons que le phare n’oubliera jamais le cœur de la nuit.
Les deux hommes jetèrent un dernier regard vers les bourgeons presque arrondis. Malgré de faibles pointes. La saison des figues s’annonçait en deux récoltes.
Ahcène Hedir
*Ce texte imaginaire s’inspire de ces deux ouvrages :
Lettres à mes amis de Mouloud Ed. Du Seuil
L’Eté d’Albert Camus Gallimard