24 avril 2024
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Dialogue Mouloud Feraoun et Albert Camus *

Feraoun Camus

C’était un soir pluvieux. Les dernières pluies. Albert avait attendu que la classe se termine. On l’avait prévenu. Mouloud restait un peu ici le soir. Il contemplait de la fenêtre les deux figuiers qui bourgeonnaient prématurément en ce mois d’avril, en montrant des pointes ostensibles. Au tableau, un texte de Guy de Maupassant.

« Eh bien Mademoiselle, que fait-on de la liberté, de l’égalité et de la fraternité ? … »

Albert était assis et Mouloud vint se coller à lui. On aurait dit deux écoliers studieux.

– Cette langue qui nous unit, dit Albert après avoir lu le texte à haute voix.

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—Bien au-delà de nos divergences, lui répondit Mouloud en souriant. Tu veux mon avis ? demanda Mouloud, l’air plus sérieux que jamais.

– Tu sais bien que je t’ai écrit pour réfuter un point de vue qui me choque en tant que Kabyle, et qui devrait te choquer en tant qu’Espagnol.

– Détruire la pierre n’est pas possible mon cher Mouloud.

– Il ne faut pas non plus la déplacer… Albert le fixa du regard.

– Tu sais mon cher que tu n’as pas une excellente réputation chez nous. Mais les miens te comprendront un jour.

– Toi et moi sommes-nous en avance ou sommes-nous en retard ?

– Ni l’un ni l’autre. Il nous faudra juste lutter pour se moquer des principes. Et ne plus jamais être naïf.

– Aurons-nous alors la force de faire revivre les bruyères ?

– Mon cher il y a tant d’hommes à connaître et à aimer. La certitude qu’ils existent me suffit. Albert ému se tut. Il se dirigea vers le texte et souligna le mot fraternité avant de se rassoir.

– II faut que je te dise que ce pays est ma vraie patrie. Ce que j’aime des villes algériennes ne se sépare pas des hommes qui les peuplent.

– Dis-moi ! Pourquoi ton roman ne dit rien sur nous ?

– Je n’ai jamais confondu le tragique et le désespoir.

– Te voilà réconcilié avec tes principes !

– La meilleure façon de parler de ce qu’on aime est d’en parler avec légèreté. Mouloud lui donna un léger coup de tape sur l’épaule.

– Je n’ai pas grand-chose à t’apprendre, comme je l’ai déjà dit à mon amie Landi-Benos. Fouroulou c’était à peu près moi. Maintenant il se peut que je le vois autrement.

– Quant à la Terre et le sang …

– Totalement imagé. Une veuve de chez nous m’avait juste donné l’idée.

– Tu comprends alors pourquoi il n’y a pas d’arabe dans la Peste

– Pour être honnête avec toi j’ai lu tous tes articles dans L’Express…

Albert a sorti une grimace.

– Je les trouve moins bons que ceux de naguère dans Combat.

– Admet que je suis resté objectif.

– Je te le dit encore mon cher… L’échec n’est rien d’autre qu’un défaut de volonté.

– C’est que je n’ai pas toujours réussi…

– C’est cela le prix à payer… Il nous reste un long chemin avant la réussite.

– J’ai pourtant, dit Albert, la tentation parfois de me détourner de ce monde morne et décharné. Tout est perdu.

– Non mon cher. Le combat reprend avec Achille et la victoire est au bout.

– Le sens de l’histoire de Voilà où nous rejoignions les Grecs.

– Nous espérons, lui susurra Mouloud, que la littérature ne restera pas en veilleuse en dépit des récents événements.

– Changer les choses en place sera le travail des hommes

– Tu le dis si bien et laisse-moi te reprendre : Les détonations ébranlent toute la montagne et soulèvent la mer elle-même.

Mouloud s’apprêtait à effacer son tableau pour sortir. Albert le pria de laisser cela toute la nuit et le week-end.

– Le jour nous apprendra tout de la nuit, lui dit-il

– Espérons que le phare n’oubliera jamais le cœur de la nuit.

Les deux hommes jetèrent un dernier regard vers les bourgeons presque arrondis. Malgré de faibles pointes. La saison des figues s’annonçait en deux récoltes.

Ahcène Hedir

*Ce texte imaginaire s’inspire de ces deux ouvrages :

Lettres à mes amis de Mouloud Ed. Du Seuil

L’Eté d’Albert Camus Gallimard

9 Commentaires

  1. Je retiens et fais mienne cette belle phrase : « Mon cher il y a tant d’hommes à connaître et à aimer. La certitude qu’ils existent me suffit. » C’est, ici-bas, une forme d’aveu d’espoir et d’espérance.

  2. J’aurais eu du mal à comprendre cette plaidoirie si son auteur n’avait pas avoué à la fin comme si c’était la seule sortie où ses élucubrations l’avait conduit qu’elle n’était que
    le produit de son imagination.

    Q’on veuille nous dire que Camus et Feraoun étaient des intellecttuels que leur humanisme a rendu insensibles et sourds, je ne diconviendrais pas. Mais qu’on veuille absoudre totalement Camus de sa position anti-indépendantiste,ou qu’on aille lui chercher des excuses du coté de son humanisme ou de sa philosophie de l’absurde, là je ne suis pas.

    A propos de « la peste » ou de l’absence des arabes dans les romans de Camus, il me semble qu’il a répondu à cette question qui est présente dans ce roman. Quand le journaliste venu de France pour faire un reportage sur les arabes demande au Médecin chargé de la lutte contre le fléau:comment vont les arabes ? Celui-ci élude la question avec un   »mal » qui expédie la question. Manière de dire : est-ce qu’on ne peut pas écrire un roman sans y mettre des  »arabes ». Façon de dire:moua j’écris des romans à haute valeur philosophique et non des histoires, évoquer le sort des arabes fausserait le message humaniste transcendant que je voulais transmettre.

    Il y a kamim une manie dans cette volonté de vouloir laver Camus de sa posture anti-indépendantiste, ce qui n’est pas anodin, en le réconciliant avec Ferraoun . Sauf si c’est l’inverse.

    • Azul fellawen, a Dda Hend, moi qui a lu un peu Camus et un peu feraoun,

      Après le résultat qu’on connaît et ce que qu’on voit actuellement, je pense qu’il a raison, même Mouloud feraoun lui aurai donné raison à mon avis, n’est ce pas lui qui a écrit dans son journal , que vous ennemis de demain seront pire que ceux d’aujourd’hui?

      On a fait dire beaucoup de choses a camus et ses pensées profondes, dans l’une de ses correspondances il a écrit ceci à propos du fln et des généraux colonialistes français: moi ces gens là je les comprends très bien mais j’aimerais bien qu’ils me comprennent eux aussi.

      Donc qui mieux que lui pour faire la distinction entre le colonialisme français et les valeurs de la France?

      Tshassoul les deux ont raison, ce n’est pas de leur faute ni la faute au peuple qui demande qu’à vivre dignement que ce soit sous La Croix ou sous le croissant.

      Nb , je ne parle pas de l’auteur ici , pour ne pas se tremper d’ennemi.

      Bien à vous

  3. Khati a Lhos-ssine , waqila je me suis mal fait comprender . Ardjou j’va reprendre à l’envers pour te splker correctement.

    C’est vraiment offenser mon imperturbable piété que de me prêter des velléités iconoclastes. J’obtempère facilement quand on me rabroue et quand on me me rabat les oreilles. Je ne passe jamais devant la statue de Jeddi Nosore à Guezgata sans ôter ma chéchia.

    J’admets que Camus et Feraoun sont des personnalités que la notoriété a placé au dessus de la mêlée et ce n’est pas moi qui irais leur demander de s’engager avec la populace dans des combats douteux. Et combien même l’envie me tenterait ce n’est kamim pas dans ce temple de la bigoterie et de l’hommage au ulac qu’est Le Matin-Dized, chaylelleh bourhanouhou, que je viendrais blasphémer. Vous me voyez moua qui en matière d’imagination n’est pourvu que pour sa consommation personnelle , comme Onan , me lancer dans des élucubrations du genre «  ce que le jour doit nuit » ou  » on aurait pu s’aimer » ?

    C’est vrai que j’ai eu beaucoup plus de culot que de courage en m’embarquant dans un sujet aussi épineux, moua qui n’ai pas eu la chance d’avoir biberonné à likoul fondamentale ou à celle du butindeguerre. C’est que leur fonds est documenté alors que moua il me faudrait braconner dans la réserve des couacs pour leur apporter la contradiction.

    Camus et Feraoun n’étaient ni des anges ni des démons. Et chacun a le droit de nous apporter sa propre histoire à leur sujet. Ceci dit cette association me paraît saugrenue tant Camus et sont exclusif: Feraoun est un écrivain du terroir, de l’intérieur diraient ses affabulateurs et Camus lui barbouzard de la plume, et pas que disent certains , Un Etranger , tout le contraire. Ils n’ont vraiment rien à se comparer. Je n’aurais pas osé ce genre de rapprochement.

    Mais, moua, je ne fais de procès ni à Camus ni à Feraoun. Je ne me suis jamais pâmé devant leurs romans. Je ne l’ai pas plus accablé que défendu. Je n’aurais donc pas franchi les frontières du nihilisme pour leur trouver une absolution. D’ailleurs que Camus ne mette pas des arabes dans ses romans ne m’offusque guère , car je ne vois pas dans quelle posture il les aurait mis, je préfère leur absence à la présence des  » négrillons » dans les romans de Faulkner. Je ne dis pas non plus que c’est pour les épargner que Camus les a exclus. Et combien même, il aurait situé  »la peste sur la lune » on lui aurait reproché de ne pas y avoir emmené des Zarabes. Et puis encore à sa décharge, il ne connaît pas le bonheur de vivre parmi eux. Et contrairement à ce que dit Lhoss , s’ilavait su comment le pays allait devenir sans oeu… heueuu… sans eux , il aurait regretté de ne pas avoir écrits ses romans en arabe , carrément .

    Mais delà à évoquer une sorte de communion entre les pieds-noirs et les indigènes même en marge cela me semble utopique, y compris entre intellectuels.Même si leur pacifisme les réunis. Camus n’avait autre chose que de la compassion pour le sort des arabes.

    Moua je n’aurais jamais fais de procès à Camus quant à l’absence d’arabes dans ses romans, car ce ne sont pas des romans historiques , ni des romans qui font l’éloge de la colonisation. Je ne lui reproche pas sa position dans le conflit. Mais je n’aurais jamais imaginé ce genre de dialogue entre Camus et Feraoun, car cela ne sert ni Feraoun ni Camus finalement. Je lui aurais préféré un dialogue avec Kateb Yacine.

    • Azul a Dda Hend, la je vous ai comprît comme disait l’autre malgré ton style un peu à l’envers de l’endroit, ne croie jamais que je t’accuse de quoi que se soit , alla khati loin de moi de croiser le fer avec toi (mine de rien il fallait le fer), je voulais au contraire avoir ton avis plus explicite qui m’aiderai et bien souvent de voir plus claire. Et pour ce tu à que des compléments de ma part.

      Et pour m’expliquer un peu plus à mon tours,
      Bref comme toi, moi aussi je n’oserais jamais faire un procès ni à camus ni à quiconque d’ailleurs sur le choix des personnages et des décors dans ses romans, c’était toi qui disant que Camus ce n’est pas son œuvre non?

      La question qui m’importe le plus personnellement dans ce cas, est beaucoup plus de savoir les raisons et les causes de cette absence des arabes dans les romans de Camus que cette absence en elle même de c’ces arabes.

      Et pour déterrer la hache de guerre tu disais à l’époque chez Dda chavane, Ce n’est pas comment Jesus a été tuer qui m’intéresse mais pourquoi il a été tuer? Nagh alla?

      Tu sais à Dda Hend, Camus dans la pestes , il a parlé de l’honnêteté comme remède à l’épidémie, et a dit à propos de meursault que c’est un gas le plus honnête que je connais, y’avait le tribunal dans l’étranger ou des gens malhonnêtes qui jugent un gars qui est plus honnête qu’eux. En tout cas c’est je que je crois comprendre. Peut-être Camus est il honnête dans ses écrits?
      moi à présent je sais faire la différence entre une caricature et la réalité. Donc ce n’est pas moi qui oserai demander des comptes à un artiste sur ses créations.

      Et pour finir à Dda Hend je te citerai un passage de jack London tiré du peuple de l’abîme ou il disait à propos des sans abris qui discuter des sujets absurdes : ce n’est pas que cette histoire soit vraie ou fausse qui m’inquiète mais le fait de y croire.

      Bien à toi

    • Une dernière chose à Dda Hend que j’ai oublié de citer pour paraphraser ta remarque qui m’a tuer de rire …

      Nighakh Camus si il a su comment le pays allait devenir à cause des Arabes, il aurait non pas juste défendu l’Algérie française mais carrément la France algérienne. Pourquoi privera t’il la France de tant de bonheur dont nous frère arabe baignent aujourd’hui? Toute autre chose n’est que de la littérature.

      Bonos

  4. Je n’ai connu ni Mouloud Feraoun ni Albert Camus. Cependant, j’ai lu à travers leur écrits les plus grandes souffrances de leur époque. Nous avons, nous aussi, nos propres souffrances, et nous ne devons pas les oublier. Pour comprendre ces deux hommes, il serait juste et judicieux de nous mettre à leur place. Nous verrons les impasses et les choix difficiles auxquelles ils étaient confrontés. Ils ont fait les leurs, nous devons faire les nôtres. Avec respect et intelligence.

    • Exactement, c’est ce que je disais souvent, avant de juger quelqu’un il faut juger nous mêmes. Si nous sommes à sa place qu’on aurait fait de mieux?

  5. Si Camus n’a pas parlé d’arabes dans ses romans, c’est, pour moi, probablement stratégique; l’écriture n’étant pas une révélation mais l’accouchement sur le papier d’une pensée narrative dans le but d’être lu et reconnu. Or, la littérature misérabiliste n’avait pas le vent en poupe dans la France de l’époque.

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