Discret, exigeant, enraciné. Depuis plus de deux décennies, Djimi Mazigh trace un sillon singulier dans le paysage musical chaoui. Originaire de Tinibawin, dans les Aurès, il fait entendre une voix rare, presque aérienne, mais profondément ancrée dans sa terre.

Une voix qui ne cherche pas la lumière facile, mais la transmission. Celle des émotions, de la mémoire, et d’une culture amazighe encore trop marginalisée dans l’espace artistique national.

Une trajectoire fidèle

Né dans une région où la parole se mérite et la musique se partage avec pudeur, Djimi Mazigh a fait de sa langue maternelle – le chaoui – un outil de création et de résistance. Il entame son parcours discographique en 2000 avec un premier album, Melmi, traversé par les thèmes de l’attente, du doute et du désir de retour.

- Publicité -

Suivront Lawa Lawa en 2006, Argaz s Yirgazen en 2010, puis Twiza en 2017. Quatre albums en vingt ans : un rythme lent, assumé, en contrepoint des logiques industrielles. À chaque sortie, un propos, une ambiance, une voix. Pas de concession. Pas d’imitation.

Une voix à part

Timbre clair, tessiture haute, chant habité : Djimi Mazigh cultive une forme d’épure. Son chant évoque autant les conteurs anciens que les musiques spirituelles. Il n’interprète pas, il porte. Dans ses titres les plus marquants – Matta, Yellis n Wawras, Therwa n Dzayer, Massika ou Ma thelidh douma – l’émotion passe avant tout. Le mot juste, le souffle maîtrisé, la mélodie dépouillée.

Ses clips, tournés dans les montagnes ou les villages chaouis, accompagnent ce parti pris d’authenticité. Yellis n Wawras, par exemple, tourné à Markounda et Ighzer n Taqa, met en scène la femme aurésienne avec dignité, loin des clichés.

Une démarche collective

Djimi Mazigh s’inscrit dans une démarche d’équipe. Il travaille avec des musiciens fidèles : Mabrouk et Ammar Barouel, Farid Ouach, Farid Merouani, Noureddine Mazhoud. Ensemble, ils composent, arrangent et produisent une œuvre artisanale, sincère, sous le label Raw Vision. Loin de tout formatage, leur travail se caractérise par une recherche d’équilibre entre modernité musicale et fidélité culturelle.

Une voix critique et constructive

Mais Djimi Mazigh ne se limite pas à chanter. Il réfléchit, interroge, alerte :

« J’ai mené mes propres recherches sur la chanson chaouie contemporaine. Malgré sa richesse, elle est sous-représentée. Marginalisée. On lui préfère souvent la facilité, la répétition, la légèreté. Pourtant, elle a tout pour parler au monde. »

L’artiste milite pour la traduction des textes, leur diffusion au-delà du cercle communautaire, et une valorisation des œuvres amazighes dans leur pluralité. Il rappelle aussi l’importance de soutenir les artistes : « Achetez nos albums. Ne piratez pas. Chaque chanson volée, c’est une voix découragée. »

Une parole en héritage

Le chanteur aime évoquer la figure du adhbir n wawréss, ce pigeon voyageur issu des contes chaouis. Un oiseau porteur de messages, de nouvelles, de récits. Il s’y identifie :

« Là où je passe, je laisse une parole. Et j’espère qu’on la portera plus loin. »

C’est là sans doute que réside l’essentiel de sa démarche : chanter pour dire qu’il existe, pour transmettre une histoire, et honorer une culture que l’on voudrait parfois taire, mais qui continue de se dire, inlassablement, dans les voix comme la sienne.

En 2025, Djimi Mazigh poursuit son chemin, discret mais constant. Il ne cherche ni projecteurs, ni triomphes. Il chante.

Et cela suffit à faire exister tout un monde. Tinibawin, les Aurès, les siens. Un monde debout.

Djamal Guettala

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici