Mardi 4 août 2020
Dr Saheb Saïd, un pilier de la famille et un homme au grand cœur nous quitte !
Mon cousin, mon grand frère et ami, Saheb Saïd tire la révérence et s’en va sans crier gare. Dans la discrétion et presqu’à la hussarde nous laissant une douleur béate et un vide incommensurable.
Funeste fut le jour de ce lundi passé, un coup de téléphone de Djelfa, tel un couperet plutôt une massue, où j’entendisse une voix à peine audible et abyssale. Je ne voulais pas admettre que c’était la voix de ce grand frère chaleureux, tendre et bienveillant, de ce médecin exemplaire, jovial, attentionné et bien que besogneux ne se prenait pas toujours au sérieux.
Une voix éteinte et étouffée par des toux stridentes et envahissantes qui l’empêche de parler. Statique et incapable de retenir mon souffle, je fais semblant de me convaincre que la médiocrité du réseau altéra notre conversation et lui suggéra de le rappeler dans un instant.
Que nenni, Saïd réunit ses forces et m’annonça brutalement qu’il est touché par cette maudite Covid-19 et qu’il n’aura pas la force de me répondre. Un tantinet affectueux et dans un élan de générosité, une marque intrinsèque et chevillée à son corps, il finit par me dire parce que je compte parmi les personnes qu’il aime, il a tenu à m’appeler pour m’entendre de vive voix et m’inviter avec ce ton tutélaire et toujours fraternel à la prudence et à prendre davantage de précautions en ce temps de démission et d’insouciance collective.
Ému et pris d’un malaise, je ne sais plus qui a raccroché a l’autre. Une heure après, j’apprends par nos proches et un ami commun qu’il a été hospitalisé à l’hôpital de Djelfa.
Puis, une terrible angoisse m’habita et se projeta sur mon épouse et ma mère et des appels quotidiens incessants avec ses filles et sœur. Quatre jours aussi longs qu’éprouvants où je nourrissais dans mon for intérieur le fol et salutaire espoir d’un prompt rétablissement.
Un grand sportif, un médecin au grand cœur et aimé de tous de surcroît, me suis-je dis saura retrouver naturellement les ressources et la sève qui lui permettront de surmonter cette épreuve.
N’est-il pas le petit-fils de ce vaillant guerrier dont le nom avait jadis (19e siècle) écumé l’arch des Ait Sedka et la réputation atteignit le versant sud du Djurdjura jusqu’aux Ait Yaala.
N’est-il pas le fils prodigue d’un vieux militant nationaliste qui adhéra à un âge si jeune aux idées indépendantistes à partir des années quarante bien qu’orphelin et fils unique. N’a-t-il pas connu et survécu, comme les enfants de sa génération, à la misère et les affres de la guerre de libération.. Des supputations vaines et un rêve qui s’émousse face à l’implacable faucheuse. Cette traîtresse qui s’impose à nous «d lmut taghedart i tezzun tassa».
Médecin chirurgien installé à Djelfa depuis plus d’une trentaine d’années, ancien maître assistant du CHU d’Alger, issu des premières vagues de jeunes médecins de l’université algérienne du début des années 1970 est ravi aux siens à un si bel âge. Il emporte avec lui ses illusions des lendemains de l’indépendance, sa générosité, sa proximité de la détresse humaine, sa fougue émancipatrice, sa foi dans les siens et son anticonformisme face aux hypocrisies et archaïsmes sociaux.
Étant interne, puis résident dans les années 70, il venait un week-end sur trois pour assurer bénévolement un service médical et des soins gratuits dans une minuscule pièce familiale au village ou le ouï-dire avait amplifié l’information qui faisait défiler des contingents de patients, notamment des vielles femmes lasses des affres de la guerre y compris des villages voisins.
Jusqu’à son dernier souffle, son cabinet fut une annexe hospitalière pour les hommes et les femmes de sa région. Il mettait du sien pour «l’honneur de la tribu », aimait il le répéter, lui le médecin mais féru des belles lettres et de la musique universelle.
Saïd était entier, il a su vivre pleinement tout en étant à l’écoute et au service des autres. Il avait un sens noble de la famille et fut pour beaucoup d’entre nous un repère lumineux qui avait éclairé nos chemins, par l’effort, l’abnégation et la disponibilité.
Nous continuerons à t’aimer et à évoquer ton souvenir, ta courtoisie, ton sourire chevillé à tes lèvres mais aussi ton espièglerie et tes sarcasmes. Nous ferons fleurir, cher frère, ta tendresse dans nos cœurs.
Lexwan de nos montagnes clament dans leurs litanies, à juste titre malgré ces larmes qui coulent si tendrement de mes yeux, «macci d lmut i yemmut, d lghib ayen ighab gara negh ».
Je sais que tu es parti avec ce viatique des justes rejoindre dans les cieux tes chers parents et ton jeune frère Hamid, lui aussi médecin urgentiste, dont tu ne t’ai jamais relevé.
Paix éternelle à vos âmes si belles chers oncles et vieux frères.
Merci à tous ceux et celles qui ont compati et se sont joints à notre douleur.