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Drame d’Oued El Harrach : un pays dans un bus sans chauffeur !

Bus dans oued El Harrach

Quelle image plus accablante que celle d’un autobus pourri, rouillé, hors d’âge, continuant à circuler et à tuer en plein Alger ? Ces véhicules qui devraient être des instruments de mobilité et de lien social sont devenus des cercueils ambulants. Et dire qu’on est dans un pays où les dirigeants se piquent de chiffres de croissance à faire pâlir les plus brillants économistes !

Ces bus incarnent à merveille l’état de délabrement d’un pays où tout ce qui touche à la vie quotidienne du citoyen – transports, routes, hôpitaux, écoles – se transforme en menace mortelle. Le pays a atteint un état de délitement que son fonctionnement actuel relève chaque jour du miracle.

L’accident d’Oued El Harrach n’est pas un fait divers. C’est une tragédie nationale, la répétition d’un scénario macabre déjà vu à Tamanrasset, à Relizane, à Souk-Ahras, et dans tant d’autres villes. À chaque fois, des dizaines de morts, des familles brisées, et un peuple encore un peu plus résigné. À chaque fois, la même indifférence des autorités, la même couverture minimaliste des médias officiels, la même mécanique froide qui transforme des drames humains en simples « statistiques ». La même incompétence, la même morgue de dirigeants incapables d’assumer quoi que ce soit.

Mais ce qui révolte autant que la catastrophe elle-même, ce sont les réactions – ou plutôt l’absence de réactions. Le ministre de l’Intérieur bredouille des banalités administratives. Le ministre des Transports s’abrite derrière « l’héritage lourd ». Le service public de télévision bâcle quelques images convenues avant de passer aux célébrations de façade. Tebboune sort le chéquier pour distribuer des millions aux familles de victimes, comme si 100 millions ou plus pouvaient racheter les vies et camoufler l’incurie qui ronge le pays.

Voilà la vérité nue : l’Algérie est conduite dans un bus délabré, sans chauffeur, sans destination, sans même l’ombre d’un projet collectif. Depuis des décennies, les Algériens répètent avec amertume que « le pays ne tient debout que par la miséricorde divine et le sang des martyrs ». Sans doute sans le dévouement de patriotes sincères et discrets, il y a longtemps que l’irresponsabilité criminelle des dirigeants aurait précipité ce pays dans le gouffre.

L’Oued El Harrach n’est pas qu’un lieu géographique. C’est un symbole. Ses eaux polluées et nauséabondes reflètent à la perfection l’état de putréfaction de la gouvernance algérienne. Le bus englouti n’était pas seulement un véhicule hors service : il est la métaphore d’un système tout entier, usé jusqu’à la corde, hors d’âge, mais qui continue malgré tout à rouler, à broyer des vies et à imposer aux Algériens une survie indigne.

Car il faut le dire sans détour : ce régime n’a rien à voir avec son peuple. Il distribue l’argent public à l’étranger pour acheter une reconnaissance diplomatique illusoire, pendant que les Algériens s’entassent dans des « cercueils roulants ». Il accuse ses opposants « d’esprit séparatiste », mais pratique lui-même la pire des séparations : celle d’avec son propre peuple. Qu’est-ce que l’« unité nationale » quand l’État se détourne des besoins les plus élémentaires de ses citoyens – se déplacer, se soigner, apprendre, travailler – et leur oppose l’arrogance glaciale de son indifférence ?

Les victimes d’oued El Harrach, comme celles des autres catastrophes, ne sont pas de simples « martyrs de la route ». Elles sont les martyrs d’un système politique incapable, corrompu, indifférent. Leur sang ne doit pas être dilué dans le marécage bureaucratique des indemnisations et des rapports administratifs. Il doit être reconnu pour ce qu’il est : l’acte d’accusation le plus implacable contre un pouvoir qui ne protège pas ses citoyens, mais les abandonne à leur sort.

Ce drame met en lumière une évidence : tout est pourri. Les bus, les routes, les infrastructures, les institutions. Et surtout cette mentalité politique figée qui refuse de voir la réalité. Le pays s’enlise dans un mélange de cynisme et d’amateurisme qui confine au crime d’Etat. À force de mépriser la vie humaine, ce système ne gouverne plus, il gère les cadavres et entretient une morgue.

Combien d’autres Oued El Harrach faudra-t-il ? Combien de cercueils roulants, combien de familles endeuillées, combien de discours creux avant que la vérité éclate ?

Cette vérité, tout le monde la connaît : l’Algérie est prise en otage par un pouvoir qui vit dans le déni, dans la fuite en avant, dans l’auto-célébration stérile. Et tant que ce pouvoir persiste, le peuple continuera de payer au prix fort son absence d’État.

Il est temps de cesser d’appeler cela des « accidents ». Non, ce ne sont pas des accidents. Ce sont des crimes par négligence, des homicides politiques, des tragédies évitables causées par la corruption, l’incompétence et le mépris. Chaque victime de ces catastrophes est la preuve vivante – puis morte – de l’échec absolu d’un système.

L’oued El Harrach restera dans les mémoires comme le miroir implacable d’une République qui coule dans sa propre boue. Et tant que ce régime usé jusqu’à l’os s’accroche à ses privilèges, les Algériens continueront de voyager, jour après jour, dans un bus sans chauffeur, direction le néant.

Mourad Benyahia 

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