Mardi 25 juin 2019
Droit de réponse à M. Ali Mebroukine
Votre réponse à M. Saïd Sadi le 21 juin me conduit à user d’un droit de réponse, en qualité de citoyen, aux dix points (pas tous, par lassitude !) figurant dans votre réponse. Je tiens d’emblée à vous faire savoir que je n’ai pas de sympathie particulière pour le psychiatre, néanmoins, ce dernier a au moins les qualités d’un homme politique qui se positionne dans l’opposition démocratique. Le titre de son article («Soldat perdu face au peuple ») dont la métaphore est parfaite, cadre avec la réalité à plus d’un titre.
S’il est certain que vous n’êtes pas du tout du même acabit, Saïd Sadi est un militant démocrate de la première heure et vous, on ne connaît rien de vous jusqu’à l’affaire de prise de contact entre M. Zeroual et le général Toufik, où certains médias nous disent que vous étiez proche du premier, voire son conseiller, jusqu’à votre récente défection. Vous semblez les deux vous battre mais sur des fronts on ne peut plus différents et ne visant pas le même objectif.
Ce qui m’amène à vous faire remarquer que votre prise de position est terriblement partisane dans la mesure où vous prenez fait et cause pour le général AGS qui, d’un côté il ne cesse de faire croire qu’il est attaché à la Constitution, et en même temps il est complètement hors les clous depuis le début, d’autant qu’il s’en éloigne chaque jour davantage. Votre réponse très alignée et glorifiant le pouvoir de l’institution militaire me parait pour le moins répugnante, surtout venant d’un professeur de droit.
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Un professeur de droit rappelant à un psychiatre qu’il faille se garder des pièges du juridisme, n’est pas si paradoxal. C’est même dans l’ordre naturel des choses. Mais ce qui est gênant dans votre réponse c’est bien le fait qu’à la fois vous faites mine de vouloir vous inscrire dans le mouvement populaire pour le changement et défendez l’indéfendable, soit le HCM et son porte-parole, le général AGS. Vous vous mettez dans une posture qui n’est ni claire pour le citoyen lambda, ni encore moins novatrice ou révolutionnaire. D’un côté le général AGS jouit d’un pouvoir de fait et non de droit, et se présente comme le chef d’orchestre, et de l’autre côté il continue de faire croire que la Constitution est en vigueur et qu’il la respecte. La caducité dont vous parlez n’est pas reconnue par le HCM, ce qui n’empêche pas de la violer en continuant à donner des ordres au mépris d’un gouvernement qui est certes illégitime puisque nommé par le président déchu, mais existe tout de même. L’imbroglio est total ! C’est cette situation totalement noyée dans des contradictions et délétère à court terme pour le pays que vous semblez soutenir. Chercher à tout prix à aller rapidement vers une élection présidentielle est plus que suspect. Ce qu’a fait remarquer Saïd Sadi est dans l’esprit de tous les Algériens désireux de changer le système politique. Ce qui est encore plus gênant dans votre réponse c’est de vous voir érigé en défenseur du général AGS et du HCM, sans être même sûr qu’ils en soient demandeurs. Vous êtes dans une sorte de diffamation mais qui profite aux tenants du pouvoir. Vous le savez !
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Désolé Monsieur le professeur, ce n’est pas au HCM de se substituer aux autorités civiles légales, s’il en existe, pour lutter contre la corruption. Ce même général qui a côtoyé le noyau dur du sérail pendant au moins quinze ans, se refait une virginité sur le dos du peuple pour soit disant lutter contre la corruption et le crime organisé, mais dont l’objectif réel inavoué consiste à reprendre les mêmes et recommencer. Vu son âge avancé et son désir de « h’na y moute kaci », il n’échappe à personne qu’il cherche à la fois à régler les comptes anciens de ses adversaires et se protéger des crimes auxquels il a lui-même participé. J’espère que vous serez d’accord avec moi que le général AGS est loin d’être innocent dans le pillage du pays et de l’institutionnalisation de la corruption. Soit dit en passant, son gendre vient d’être placé sous contrôle judiciaire et non derrière les verrous comme tant d’autres accusés. Ce qui est très gênant dans votre réponse c’est que vous plébiscitez tout cela.
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Monsieur le professeur, le fait qu’AGS soit né dans les Aurès, n’est pas un gage de proximité avec la culture amazigh, ou un indice garantissant la protection ou la défense de cette culture. La question de l’identité culturelle et linguistique est une question de conscience. La preuve en est que parmi les adversaires de la langue tamazight se sont parfois avérés êtres des enfants de ce même peuple. Cela étant dit, comment se fait-il que plus de quatre mois de manifestation où l’emblème amazigh est brandi sans que ce même général s’en offusque ? Et c’est seulement maintenant qu’il s’en rend compte ? L’Algérie peine à se constituer en nation et se montre incapable de faire cohabiter les diverses composantes de son identité dans le cadre d’un ensemble homogène et uni ? Oh ! Pourtant depuis plus de quatre mois que le « Hirak » ne cesse de démontrer l’unité indéfectible des citoyens mais dans la diversité. Et ça nous va très bien. Votre défense d’AGS et du HCM, monsieur le professeur, ne souffre d’aucune ambiguïté : vous rejoignez les caciques du régime moribond. Et ce n’est pas innocent de votre part ! Nous y reviendrons plus loin sur vos véritables motivations.
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Vous défendez le général AGS comme il ne serait même pas capable de le faire pour lui-même. Vous ne trouvez pas assez gênant pour un éminent professeur ? Hallucinant ! On ne peut s’empêcher de vous imaginer muni d’une grande et douce brosse à reluire. Mais vous êtes bien conscient de ce que vous faites. Vos motivations sont ailleurs.
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Le FLN, Monsieur le professeur, est toujours aux commandes, par l’entremise de l’ALN, pardon de l’ANP, comme il se sont toujours confondus et soutenus depuis plus de soixante ans.
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Vous êtes dans l’excès, Monsieur le professeur, et vous le savez. Mais encore une fois vous savez ce que vous faites. L’institution militaire est en train de mettre ce pays en état de marche ? Là je ne reconnais plus le professeur, mais je vois un ignare de l’histoire, et surtout un homme dangereux pour l’avenir de l’Algérie. Vous croyez déjà à la liberté de la justice qui reçoit des injonctions du HCM ? On voit un démagogue prêt à tout pour se faire remarquer par les tenants du pouvoir de fait dans un pays meurtri, en cherchant à attirer les projecteurs sur lui. C’est très gênant, Monsieur le professeur ! Vos propos sont aux antipodes des revendications du Hirak. Je n’ose même plus continuer à commenter vos propos contenus dans les points suivants, car ils se suivent et se ressemblent. Vous êtes d’un dévouement inégalé au général AGS et à toute l’institution militaire. Cette dernière ne vous remerciera jamais assez. Vous êtes en train d’atteindre votre but. Vous savez ce que vous faites, vous dis-je !
Sans tomber dans l’excès ni le mépris des citoyens qui participent aux débats, y compris des citoyens qui ne veulent pas le changement, car cela fait partie des règles du jeu démocratique et de l’écosystème de la vie politique de l’Algérie actuelle, mais je me donne le droit, dans le respect des opinions qui s’expriment, qu’on voit bien sans nuances que votre discours consiste à attirer l’attention de l’institution militaire sur vous pour vous renvoyer l’ascenseur le moment venu. En effet, vous avez bien compris qu’elle est maîtresse du destin de ce pays qui se joue actuellement. Décidément vous n’avez pas envie de rater le train. Votre réponse très alignée et glorifiant le général AGS, est à mon avis inutile. Je ne suis même pas sûr qu’il en ait besoin. Un peu de dignité, monsieur le professeur.
C’est sûr qu’avec votre engagement inconditionnel aux côtés de l’institution militaire et de celui qui s’est emparé du manche, votre avenir sera tout tracé et garanti, encore que…
Si par malheur la situation ne change pas réellement, vous aurez en effet gagné.
Quant à votre activité d’«étude et de réflexion » visant à insérer l’Algérie dans la mondialisation, je me permets de vous faire remarquer qu’au moment où la réflexion dans le monde y compris industriel, consiste à chercher à faire le chemin inverse, vous cherchez à nous vendre un paradigme déjà anachronique. Votre démarche est caractérisée, d’une part, par une forme de facilité selon la fameuse devise des économistes classiques « laissez passer, laissez faire », l’autorégulation, nous dit-on, et d’autre part par une forme de destruction programmée de l’Algérie dans le magma mondialiste sous l’égide de l’Oncle Sam et Xi Jinping. En effet la mondialisation est devenue comme une jungle où sévit la loi de la sélection naturelle ultralibérale. C’est le darwinisme économique en somme. D’autant que l’Algérie n’a aucune capacité susceptible de la protéger ou lui conférer même pas un strapontin dans la mondialisation sauvage que nous vivons. Elle sera engloutie en deux temps et trois mouvements. Pour autant, elle a déjà un petit pied dans le circuit… N’y cherchez pas plus loin.
L’heure est à la reconstruction de l’Algérie sur plan d’abord politique et économique ensuite, et certainement pas à son insertion dans la mondialisation dont les effets causent déjà pas mal de dégâts. L’y insérer complètement, ce sera la condamner au rôle de sous fifre, ou de larbin tout court comme le sont un grand nombre de nations d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique latine qui ont cru au miracle, ou n’avaient pas d’autres choix. Une paupérisation assurée et sans précédent de la grande majorité de la population. La mondialisation, monsieur le professeur, n’est pas une panacée au retard du développement. Bien au contraire. Mais ce sujet pourrait faire l’objet d’un autre papier.
Enfin, l’heure est à la construction d’un système éducatif digne de ce nom, qui fera que l’Algérie pourra devenir une nation civilisée, humaine, dynamique, tolérante et respectueuse des droits humains et de l’environnement.
Hocine Bena, Historien et diplômé d’économie, Paris