Intellectuel discret, et non-violent de surcroît, Mustapha Ourrad s’en est allé de la manière la plus violente qui soit, le 7 janvier 2015, dans l’attentat de Charlie Hebdo.
Il ne devait pas travailler ce jour-là, un mercredi, mais, par conscience professionnelle, il s’était rendu au siège de son employeur, pour finir de peaufiner un numéro hors-série, dans les temps. Il ne savait pas que lui, le pacifique, le calme, le réservé, allait croiser la route de l’innommable, sous la forme d’une attaque sans nom, qui allait lui coûter la vie, à lui, ainsi qu’à sept de ses collaborateurs et à quatre autres personnes.
Mustapha Ourrad était un amoureux de la langue française consciencieux et méticuleux au point de corriger les meilleures plumes de l’hexagone. Il a laissé son nom pour la postérité, lui qui voulait passer inaperçu.
Richard Malka, avocat et écrivain de renom, le décrit dans un de ses derniers ouvrages en ces termes : « Mustapha est le meilleur correcteur que j’aie jamais eu, et j’en ai eu beaucoup. Quand il parlait de la langue française, il était passionné, et ses yeux pétillaient. ‘’Sa langue était sa patrie’’, pour citer Camus, et il pouvait parler pendant des heures de l’emplacement d’un point-virgule ou de la concordance des temps ».
Pour sa part, Riss, le directeur du journal, disait de lui : « Le paradis de Mustapha tenait dans les pages du dictionnaire. Chaque fois qu’il découvrait un mot inconnu de lui, il semblait aussi heureux qu’un chercheur d’or qui vient de repérer une minuscule pépite dans sa bassine ».
Collégien chez les Pères Blancs d’At Larbaa (At-Yanni), il maniait déjà à merveille la plume aussi bien que le verbe et la bibliothèque du Père François Dessommes, bigrement achalandée, n’avait pas de secrets pour lui. De même que, étudiant à la fac d’Alger, il avait toujours un livre enfoui dans la poche de son veston dans lequel il se plongeait corps et âme à la moindre occasion. À défaut, il se réfugiait dans les rayons de la librairie ‘’La Croix du Sud’’, au 50 de la rue Michelet, mitoyenne de la brasserie des ‘’Quat’Z ‘Arts’’ qu’il fréquentait aussi, en quête d’un ouvrage littéraire à dévorer.
Ce natif des At Yanni, correcteur dans l’un des plus grands journaux satiriques du monde en langue française (si ce n’est le plus grand) après avoir occupé les mêmes fonctions auprès des célèbres éditions Hachette, nous a été ravi il y a huit ans déjà, à l’âge de 61 ans 7 mois.
C’est une perte pour nous « Iyanniwen », certes, mais aussi pour l’ensemble des lecteurs de cet hebdomadaire et, plus largement, pour le monde de la presse écrite libre. Il y a côtoyé les plus grands noms de la presse contestataire, journalistes et caricaturistes à la plume ou au coup de crayon acerbes (Cabu, Wolinski, Charb, Tignous, Riss,…), héritiers des fondateurs de ce journal, les illustres Georges Bernier (dit Professeur Choron) et François Cavanna.
C’est donc à juste titre que lui a été décernée la distinction de Chevalier de la Légion d’honneur, à titre posthume, tout comme son nom figure au Newseum de Washington à la mémoire des reporters tués dans l’exercice de leurs fonctions.
De tout temps, son attachement à ses origines kabyles était solidement ancré au point de prénommer ses enfants Louiza (un des titres qu’il affectionnait particulièrement du chanteur Aït Menguellet) et Lounis, du prénom même de ce dernier. Il paraîtrait même qu’il avait, en partage avec cet artiste de renommée, une admiration prononcée pour les œuvres de Charles Baudelaire au point de se voir décerner par ses amis et collègues le surnom de ‘’Mustapha-Baudelaire’’.
Repose en paix, Mustapha.
Mouloud Cherfi