14 mai 2024
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Du Djurdjura à « Charlie Hebdo » : hommage à Mustapha Ourrad

Mustapha Ourrad

Intellectuel discret, et non-violent de surcroît, Mustapha Ourrad s’en est allé de la manière la plus violente qui soit, le 7 janvier 2015, dans l’attentat de Charlie Hebdo.

Il ne devait pas travailler ce jour-là, un mercredi, mais, par conscience professionnelle, il s’était rendu au siège de son employeur, pour finir de peaufiner un numéro hors-série, dans les temps. Il ne savait pas que lui, le pacifique, le calme, le réservé, allait croiser la route de l’innommable, sous la forme d’une attaque sans nom, qui allait lui coûter la vie, à lui, ainsi qu’à sept de ses collaborateurs et à quatre autres personnes.

Mustapha Ourrad était un amoureux de la langue française consciencieux et méticuleux au point de corriger les meilleures plumes de l’hexagone. Il a laissé son nom pour la postérité, lui qui voulait passer inaperçu.

Richard Malka, avocat et écrivain de renom, le décrit dans un de ses derniers ouvrages en ces termes : « Mustapha est le meilleur correcteur que j’aie jamais eu, et j’en ai eu beaucoup. Quand il parlait de la langue française, il était passionné, et ses yeux pétillaient. ‘’Sa langue était sa patrie’’, pour citer Camus, et il pouvait parler pendant des heures de l’emplacement d’un point-virgule ou de la concordance des temps ».

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Pour sa part, Riss, le directeur du journal, disait de lui : « Le paradis de Mustapha tenait dans les pages du dictionnaire. Chaque fois qu’il découvrait un mot inconnu de lui, il semblait aussi heureux qu’un chercheur d’or qui vient de repérer une minuscule pépite dans sa bassine ».

Collégien chez les Pères Blancs d’At Larbaa (At-Yanni), il maniait déjà à merveille la plume aussi bien que le verbe et la bibliothèque du Père François Dessommes, bigrement achalandée, n’avait pas de secrets pour lui. De même que, étudiant à la fac d’Alger, il avait toujours un livre enfoui dans la poche de son veston dans lequel il se plongeait corps et âme à la moindre occasion. À défaut, il se réfugiait dans les rayons de la librairie ‘’La Croix du Sud’’, au 50 de la rue Michelet, mitoyenne de la brasserie des ‘’Quat’Z ‘Arts’’ qu’il fréquentait aussi, en quête  d’un ouvrage littéraire à dévorer.

Ce natif des At Yanni, correcteur dans l’un des plus grands journaux satiriques du monde en langue française (si ce n’est le plus grand) après avoir occupé les mêmes fonctions auprès des célèbres éditions Hachette, nous a été ravi il y a huit ans déjà, à l’âge de 61 ans 7 mois.

C’est une perte pour nous « Iyanniwen », certes, mais aussi pour l’ensemble des lecteurs de cet hebdomadaire et, plus largement, pour le monde de la presse écrite libre. Il y a côtoyé les plus grands noms de la presse contestataire, journalistes et caricaturistes à la plume ou au coup de crayon acerbes (Cabu, Wolinski, Charb, Tignous, Riss,…), héritiers des fondateurs de ce journal, les illustres Georges Bernier (dit Professeur Choron) et François  Cavanna.

C’est donc à juste titre que lui a été décernée la distinction de Chevalier de la Légion d’honneur, à titre posthume, tout comme son nom figure au Newseum de Washington à la mémoire des reporters tués dans l’exercice de leurs fonctions.

De tout temps, son attachement à ses origines kabyles était solidement ancré au point de prénommer ses enfants Louiza (un des titres qu’il affectionnait particulièrement du chanteur Aït Menguellet) et Lounis, du prénom même de ce dernier. Il paraîtrait même  qu’il avait, en partage avec cet artiste de renommée, une admiration prononcée pour les œuvres de Charles Baudelaire au point de se voir décerner par ses amis et collègues le surnom de ‘’Mustapha-Baudelaire’’.

Repose en paix, Mustapha.

Mouloud Cherfi

9 Commentaires

  1. Comme d habitude, un très beau texte et un très bel hommage à un homme de lettres et de culture que je découvre. merci pour le partage et à une prochaine aventure. Puisse son âme reposer en paix. arezki amicalement

  2. « …il pouvait parler pendant des heures de l’emplacement d’un point-virgule ou de la concordance des temps. »
    Quand je lis ou entends ça, je ne peux pas m’empêcher de penser à l’idée de Marx et Engels  selon laquelle l’idéologie de la classe dominante est l’idéologie dominante de la société (ou plutôt du système de production.) Mais je pense que ça dépasse le niveau de la société pour s’appliquer au niveau du globe terrestre tout entier. Pour paraphraser Marx et Engels, je dirais donc que l’idéologie du pays dominant est l’idéologie dominante de toute la terre. Concernant la langue, cette idée se traduit de la façon suivante:
    Jusque vers la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, le français était une des, sinon « la » langue la plus recherchée dans le monde. Même les aristocrates russes et anglais l’utilisaient. On prêtait au français un grand prestige basé sur son raffinement, sa précision, la richesse de son vocabulaire, etc. Ces qualités étaient hautement appréciées et recherchées. Qui ne veut pas du raffinement, n’est-ce pas ? Pour prendre un exemple que les plus âgés se rappelleront, il fallait prendre des cours pour apprendre toutes les formules basées sur le sexe, la position sociale, ou profession du destinataire d’une lettre pour décider comment la commencer et la terminer: « J’ai l’honneur de… », « Veuillez agréer… » et patati et patata. Malheur à celui qui emploie une formule réservée à un directeur d’hôpital alors qu’elle est censée s’appliquer à un ambassadeur ! L’idéologie bourgeoise française et européenne en général cultivait ces qualités de raffinement et de prestige, héritées des aristocraties anciennes.
    Puis vinrent les deux guerres mondiales et l’irruption des USA et son hégémonie dans le reste du globe. Tout d’un coup, ce qui était « raffiné » est devenu « affecté » ou « efféminé » ou tout simplement ridicule. L’idéologie US est basée sur le dieu Dollar, et ce dieu se contrefiche du raffinement et de la beauté, tout ce qu’il veut est se multiplier. Quelle importance y a-t-il à employer une formule speciale selon qu’on est ambassadeur ou balayeur? Un simple « Monsieur ou Madame » et un « Merci » suffisent amplement, le reste n’est que du vent. Et si une bonne partie des locuteurs se mettent à employer un mot ou une expression d’une manièe nouvelle et contraire au passé, on ne va pas essayer de les corriger avec une Académie qui décide de l’usage acceptable, on change plutôt le dictionnaire pour refléter le nouveau sens et on appelle l’ancien « vieilli » ou « obsolète. »
    Donc quand l’idéologie de l’Europe était dominante, les qualités qu’elle recherchait dans la langue étaient dominantes, et maintenant que c’est l’idéologie américaine aui domine le monde, ces qualités sont devenues ridicules et c’est la simplicité qui compte aujourd’hui.

    • Je ne sais pas si nous sommes sur le même fil ou si j’ai bien compris ta référence à Marx à l’envers. Il me semble qu’il y a dans l’article quelque chose qui relève de l’aliénation culturelle. S’agit-il du complexe de l’indigène ou d’autre chose qui m’échappe, je ne ais pas.

      J’ajouterais un fait que je qualifierais d’historique parce que je ne trouve pas le mot que j’avais à l’esprit. La langue française est une langue académique, élaborée , qui n’était pas transmise par les mères mais par l’école. Il suffit de comparer Rabelais (dans son vieux françois) à Balzac. Elle est naturellement raffinée. Un raffinement d’ailleurs un peu raillé par Molière dans le bourgeois gentilhomme. Mais cette propension maniaque à l’élaboration outre qu’elle est parfois exagérée par une volonté de complexification tient à la complexité de la langue française, pour celui qui veut se distinguer. D’ailleurs il faut lire  »la Distinction » de Pierre Bourdieu pour comprendre un peu plus cette recherche de raffinement.

      Je ne dis pas que cette rigueur académique de M. Ourrad et de es bigots du Matin-Dized tient de ça. Si je le dis, car ici il s’agit tout de même de ça. Il s’agit kamim d’être plus français que les français eux-mêmes.

      • Salut, Dda Hend. Of course, il doit bien y avoir un peu de ce que tu dis au début de ton commentaire. Mais pour clarifier ce dont je parle: Je dis que ce sont les attitudes et les appréciations vis-à-vis de la langue qui dépendent de l’idéologie dominante du moment. Sous l’idéologie euopéenne, empreinte de la recherche de prestige et de raffinement héritée de l’aristocatie, la complexité et la pousuite de la perfection grammaticale (qui n’est qu’un concept relatif) étaient importantes, tandis qu’avec le matérialisme sans prétention autre que la poursuite du Dollar de l’Amérique, tout ça c’est de la blague. Là où la complexité donnait du prestige, avec l’idéologie américaine c’est devenu ridicule. Pour l’idéologie dominante américaine, c’est le résultat qui compte, pas la beauté ou le raffinement du style ou du vocabulaire. Et dans cette opposition de vues sur la langue et l’importance du raffinement, c’est l’Amérique qui gagne, pas la vieille Europe.
        Par exemple, en français, il y a l’accord du participe passé : il y a quelques décennies, pour les francophones et les autres utilisateurs de la langue française, c’était quelque chose d’important à essayer d’apprendre. Aujourd’hui, je ne suis pas en France, mais l’écho que je reçois est que c’est devenu un problème fastidieux, et beaucoup veulent s’en débarrasser. Au lieu de chercher à s’affiner en maîtrisant toutes les règles, ils se plaignent que cela ne sert à rien. En anglais, ce problème n’existe pas du tout. Il n’y a même pas d’accord de l’adjectif, et on ne perd rien à ne pas l’avoir. Quant à la précision, il est vrai que le français est plus précis, mais c’est au prix de la longueur : une page en anglais fait deux pages lorsqu’elle est traduite en français. Et encore une fois, la concision prime sur la précision dans les nouvelles générations, plus soumises à l’idéologie qui domine le monde entier, celle des USA.

      • P.S.: @Hend Uqaci: Ce dont tu parles est une autre couche de la même matière, un petit rabiot d’idéologie dominante sur laquelle je n’ai pas voulu m’étaler.

        • C’est bien entendu ce que tu soulignes qui est central , je n’ai évoqué la question du rapport à la langue française , chez les éternels colonisés, pour tacler les butindeguerristes, qu’accessoirement.

          Et maintenant il y a Monsieur Gipiti pour mettre tout le monde au diapason.

          • Re-salut, ay amdakoul. Un petit supplément d’eau sous le moulin de l’idéologie du plus fort. Deux éléments:
            1  – L’anglais est truffé de mots provenant du français. Il en est véritablement saturé. 80% des mots de vocabulaire anglais sont des emprunts à d’autres langues, et la trés grande majorité de ces 80% vient du français. A peu près 35-40% du vocabulaire anglais provient directement du français, mais il y en a tout un tas dont l’origine est le latin ou le grec mais qui est passé à l’anglais après avoir été francisé, donc emprunté par l’anglais au français.
            2- L’anglais est en fait un créole à l’origine, un langage avec des formes simplifiées et considéré inférieur par les locuteurs des langues établies. A l’origine, l’anglais était complexe, comme l’allemand ou le français, avec toutes sortes de règles très compliquées. Au Moyen Age, plusieurs ethnies d’origine germanique se sont trouvées en contact sur le sol de l’Angleterre (les angles, les saxons, les jutes, les vikings, etc.) Ces groupes parlaient tous des langues germaniques assez similaires pour être intelligibles avec un peu d’effort de comprehension. Afin de mieux se comprendre les uns les autes ils ont commencé à simpliier chacun leur dialecte jusqu’à arriver à un mélange facile pour tous. Par exemple comme si on donnait en français la conjugaison du verbe aller: moi va, toi va, lui va, nous va, vous va, eux va. C’est pourtant à peu près bien ce qu’a fait l’anglais.
            Donc du point de vue du « prestige, » pour ces deux raisons l’anglais devrait être relégué au status de sabir, de créole inculte, indigne d’un peuple civilisé, raffiné, supérieur. Et il l’était bien, en effet pendant plusieurs siècles sous l’occupation normande. En fait l’anglais était moribond avant la Renaissance. Il aurait facilement pu disparaître pour être définitevement remplacé par le français (ou une forme de français) si l’Angleterre n’avait acquis la puissance qu’on lui connaît avec la Renaissance.
            Au lieu d’être méprisé pour ses origines peu prestigieuses, au contraire il est devenu dominant. Je le vois même comme du néo-colonialisme linguistique: il se procure la matière première de l’extérieur, la transforme et la ré-exporte comme produit fini vers son pays d’origine. Un petit exemple: le mot « cash »: il provient du français « caisse » à l’origine.
            Conclusion: La loi du plus fort est toujours la meilleure, et l’idéologie du plus fort de même.

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