Mardi 31 mars 2020
Du typhus au coronavirus : des vertus de l’auto-confinement en Kabylie
Le confinement imposé par la pandémie du coronavirus n’est pas sans rappeler aux Algériens les mesures du même genre prises par les populations, particulièrement dans les montagnes de Haute Kabylie, lors de la grande épidémie du typhus qui affecta la région au début des années 40′ du siècle dernier.
Les initiatives prises par les jeunes en Kabylie- barrages à l’entrée, approvisionnements en produits alimentaires, tenue d’une communication permanente par le moyens des comités de village et par le canal des réseaux sociaux- tendant à isoler leurs villages des contacts avec des personnes étrangères potentiellement porteuse de virus, reproduisent instinctivement les pratiques et les mesures instaurées par leurs aînés au cours de la grande épidémie de typhus qui ravagea l’Algérie 77 ans auparavant.
C’était en pleine Seconde Guerre mondiale, pendant l’hiver 1942-43. Les villages se dépeuplèrent de leurs jeunes qui se trouvaient mobilisés sur le front antihitlérien, à Monte Cassino et ailleurs. Une partie d’entre eux, étaient parqués dans base de Mers El Kébir (Oran), attendant ce qui deviendra l’opération de débarquement des Alliés en Afrique du Nord (déparquement de Provence sous la conduite du général américain Mark Wayne Clark.
Le typhus – qui s’ajoutera à la misère et à la politique de rationnement, dans un contexte de guerre mondiale- affectera des milliers de personnes, faisant, dans chaque village, plusieurs dizaines de morts. Il arriva même, selon des survivants, que 3 à 4 personnes meurent le même jour dans un village de la montagne. Au matin, les gens ne cherchaient pas à savoir quelles étaient les personnes décédées la nuit, mais plutôt combien.
Un problème de poids se posa ainsi aux populations: comment procéder à l’enterrement de trois ou quatre personnes en même temps. On raconta qu’il était arrivé que deux personnes soient mises dans une même tombe (à deux étages séparés par des dalles tombales).
C’est à l’occasion de cette épidémie de typhus que la Kabylie instaurera l’auto-confinement. Ce sont des mesures draconiennes prises par les comités de village consistant à interdire toute visite familiale entre proches et alliés, allant même, par exemple, à interdire à une femme d’un tel village de se rendre dans sa maison paternelle, relevant d’un village voisin, et cela même s’il s’agissait de décès de l’un de ses parents. C’était la seule manière de réduire, puis d’arrêter, la transmission de la maladie.
Bien entendu, les populations n’avaient accès à aucune espèce de soin sanitaire. Les gens ne trouvaient même pas quoi manger. La distribution de rares denrées alimentaires par les services de l’administration française se faisant par le système de « bon ». D’où, le maintien, dans certaines régions d’Algérie, du mot « 3am l’bou » (l’année du « bon ») pour se rappeler cette période funeste de l’histoire de l’Algérie sous le régime colonial.
On raconte que les rares médecins privés qui officiaient dans certaines petites villes, à l’image de Michelet, n’avaient plus de patients à soigner faute d’argent. On en était arrivé à ce que certains de ces médecins se contentent de services en nature (figues sèches, huile d’olive, orge,…) contre une prestation de soin qu’ils venaient quêter eux-mêmes dans les village à dos de mulet. Ce fut le cas pour un médecin juif de Michelet nommé Benichou.
Le typhus de l’hiver 1942-11943 a dégarni la population rurale d’une bonne partie des ses hommes et femmes. Certains malades étaient entrés dans une forme de torpeur profonde, allant jusqu’à l’inconscience, et ce, pendant plusieurs jours. J’eus le témoignage direct d’une femme- la tante paternelle de mon père- qui avait eu à passer par un tel état. Au réveil, plus de quinze jours plus tard, elle découvrit l’absence de sa sœur, emportée par la maladie et enterrée sans sa présence. Rien n’a pu la consoler d’une telle épreuve, jusqu’à sa mort survenue il y a une trentaine d’années de cela.