Lundi 21 juin 2021
D’un plan de dépenses de 200 milliards de dollars à un plan de relance de 200 pages !
« Chaque révolution s’évapore en laissant seulement derrière elle le dépôt d’une nouvelle bureaucratie », Frantz Kafka
A la faveur d’une embellie financière inattendue, le président de la république déchu avait fait le pari de relancer la croissance économique du pays par la dépense publique sans analyse préalable et sans vision stratégique, sachant qu’en cas d’échec, c’est le peuple algérien qui en assumera la responsabilité avec pertes et fracas. Ce pari s’est traduit dans les faits par l’injection de mille milliards de dollars cash soit plus de deux cent mille milliards de dinars algériens, l’équivalent de la construction de l’économie européenne après la seconde guerre mondiale.
Avec le plan de dépenses décidé par le gouvernement Bouteflika, le pays a connu son printemps des grands travaux. Il a vécu au rythme des vastes chantiers routiers, autoroutiers, ferroviaires, portuaires, aéroportuaires, immobiliers et hydrauliques. C’est l’essor du BTPH. L’abeille vient d’entrer dans le masque du BTPH.
La recherche effrénée du gain facile a pris le dessus sur les exigences professionnelles dans un domaine aussi délicat que le secteur du BTPH. La quantité a été privilégiée à la qualité, le lancement précipité des travaux à la maturité suffisante des projets, l’appel à l’extérieur sur la mobilisation interne, la fourniture importée sur la fourniture des produits locaux. La couverture des déficits programmés par la fréquence des avenants au contrat principal. L’activité du BTPH a été dopée par l’augmentation des dépenses d’équipements de l’Etat sans contrôle ni à priori ni à postériori.
Ces programmes constituent des plans de charge supplémentaires sans commune mesure avec leurs moyens matériels, organisationnels et humains. Evidement quand la demande publique est supérieure à l’offre locale les prix augmentent artificiellement faisant bénéficier aux entreprises privées ou publiques une rente de situation masquant les défaillances et les perversions de gestion. C’est la manne pétrolière et gazière qui a permis le paiement « cash » des grands travaux routiers, autoroutiers, ferroviaires, hydrauliques, habitat etc.
Bousculant l’orthodoxie budgétaire admise (amortissement sur une trentaine d’années des infrastructures de base et leur financement par des emprunts à long terme dont les coûts et les délais sont contrôlés par les organismes bailleurs de fonds et non par les gouvernements bénéficiaires de ces fonds), livrés en fin de parcours avec des coûts, des délais, et une qualité en deçà des normes communément admises avec un impact sur la société et sur l’économie insignifiant pour ne pas dire nul (faible croissance économique, taux élevé de chômage, inflation galopante, hausse vertigineuse des importations, dépendance accrue vis-à-vis de l’extérieur et la liste est longue…) Cette intégration à l’économie mondiale sans analyse préalable et sans stratégie réfléchie a poussé l’ensemble de l’économie nationale à l’importation et l’agriculture en particulier à être incapable de reproduire la force de travail de l’homme en Algérie.
C’est ainsi que l’Algérie s’est installée depuis de longues années dans une position inconfortable d’un pays déficitaire et gros importateur pas nécessairement bon importateur, de produits alimentaires dont l’éventail est très large et concerne pratiquement un nombre important de produits :sucre, lait, légumes secs et notamment les céréales, produits stratégiques entrant dans la consommation courante et quotidienne de la quasi-totalité de la population quel que soit le modèle alimentaire considéré (urbain ou rural). Cette dépendance alimentaire dont les trois chocs pétroliers de 1972, 1979 et 2010 ont grandement relevé le niveau et l’importance s’est aggravée avec l’effondrement du prix du baril de pétrole et du dollar en 1986 et en 2013 d’où le recours de nouveau soit à l’endettement soit à la planche à billets.
Le décalage de plus en plus important entre le niveau de production agricole qui stagne, pour ne pas dire qui régresse et un niveau de consommation qui croît à une allure exceptionnelle (taux démographique élevé, urbanisation sauvage accélérée, salarisation importante, hausse de revenu monétaire moyen etc..) ; pose des problèmes de plus en plus épineux. Au cours des cinq dernières décennies, la population a connu des mutations puissantes qui ont fait basculer le pays à une majorité urbaine de plus en plus jeune et de plus en plus improductive pour ne pas dire parasitaire sources de toutes les dérives et de tous les dangers. L’approvisionnement des villes et des campagnes est devenu problématique pour le gouvernement algérien.
En effet, si les populations ne sont pas nourries, des émeutes éclatent et les risques d’être renversés augmentent. A cela s’ajoute le problème de disposer en permanence du cash dans les caisses de l’Etat pour maintenir en place la bureaucratie civile et militaire et procurer au passage quelque produit de luxe aux élites qui constituent la base politique. L’adoption en totalité ou en partie du modèle occidental de consommation encouragé par les organisations internationales sous la pression des sociétés multinationales agro-alimentaire notamment s’est traduite par un effondrement spectaculaire de l’agriculture d’autosuffisance en tant que base de subsistance des couches les plus pauvres de la population.
En effet, les entrepreneurs occidentaux de l’agro-alimentaire n’ont pas pour objectifs de procurer des emplois, ni de satisfaire les besoins de la société considérée dans son ensemble mais de faire des profits. Leur problème en vérité sous des couverts « humanitaires » est de savoir si un système entièrement fondé sur les profits sera en mesure de procurer un minimum d’alimentation aux populations locales du moins pour prévenir tout bouleversement violent susceptible de mettre en péril les intérêts des firmes occidentales. Il ne faut pas oublier non plus que d’un point de vue capitaliste, les êtres humains se divisent en deux groupes ceux qui peuvent payer et ceux qui ne le peuvent pas. Les occidentaux appellent les premiers les consommateurs.
Les dirigeants algériens préconisent et appliquent l’ouverture et l’intégration de l’Algérie fût-elle en position dominée à l’économie mondiale. Cette confiance aveugle sans planification stratégique dans les forces du marché non seulement national mais surtout international dans on attend naïvement l’impulsion qui permette la croissance interne.
L’objectif est de vendre le maximum d’hydrocarbures pour faire face au financement des importations et des services indispensables à la pérennité du système actuel. Il s’agit d’un schéma de croissance fondé sur les seules exportations des hydrocarbures. Les traits dominants de ce type de stratégie sont la référence à la demande mondiale plutôt qu’aux besoins internes pour choisir ce que l’on va produire et donc aussi la référence aux critères de compétitivité internationale pour pouvoir répondre à cette demande.
Si elle n’est pas rentable sur le marché international, une production doit être abandonnée quelque que soit son utilité interne. La contrepartie de cette orientation vers l’exportation, c’est l’accès à la devise étrangère, le dollar pour les uns et l’euro pour les autres et donc leur dépendance à leur égard. Une remarque au passage, c’est que pour ce projet de société, on ne prend pas la peine ni de consulter les plus démunis ni de les faire participer. Peut-être pour ne pas courir le risque que ces démunis exigent une transformation fondamentale des échelles de valeurs donc de revenus et de la répartition du pouvoir. T
oujours est-il que cette approche se fonde sur l’idée de conflit et non d’harmonie. Les élites au pouvoir n’abandonneront pas leurs privilèges sans se défendre et empêcheront en même temps tout processus de transfert substantiel des hauts revenus vers les bas revenus. Par conséquent, il n’est certainement pas légitime d’invoquer ou de prétendre aux normes universelles de rationalité et d’organisation pour justifier ou pérenniser des intérêts et des privilèges. On a trop tendance à raisonner comme si les politiques de développement conçues et mis en œuvre par les élites au pouvoir profitaient toujours à l’ensemble de la population.
C’est une erreur monumentale. Les pays développés soutiennent la production, les pays rentiers soutiennent les importations c’est-à-dire financent la dépendance du pays aux variations des prix vers la hausse sur les marchés internationaux rendant vulnérables leurs populations. L’Algérie est le seul pays au monde à négliger ses paysans, ses artisans, ses travailleurs qualifiés, ses fonctionnaires honnêtes, ses penseurs libres, ses créateurs alors qu’aujourd’hui en Europe, aux Etats-Unis, le revenu des paysans est protégé et subventionné et la terre prend de la valeur.
La revalorisation de la terre serait un moyen de redonner à l’algérien le goût du travail et non l’envie de fuir le pays ou de mettre sa vie en péril dans des embarcations de fortune. En prenant les problèmes à leur niveau, le plus élémentaire, il s’agit pour commencer de parvenir à nourrir correctement une population croissante qui sur le plan agricole ne parvient pas à satisfaire ses besoins alimentaires, d’assurer un niveau de santé minimal en déca duquel tout espoir d’atteindre une productivité suffisante est vain, de fournir une éducation élémentaire, technique et professionnelle à une jeunesse de plus en plus nombreuse et de plus en plus désemparée.
Dans les pays rentiers comme l’Algérie, où l’Etat est tout, la société n’est rien, l’élite au pouvoir, bien que vivant de l’Etat n’a pas le sens de l’Etat mais seulement de ses intérêts.
L’homme sage se fabrique lui-même sa propre prison, il n’a pas besoin de la prison de la société. Il se fait aider par sa foi, éclairé par sa science, et protégé par son intégrité. Et pour ce faire, il doit « faire le bien sans chercher de récompense, fuir le mal sans craindre le châtiment : un homme rare sous le ciel ».