Dans le grand théâtre mondial, où les masques tombent plus souvent que les régimes, une règle non écrite semble se dessiner : la chute d’un tyran, loin d’être la fin d’un cycle de tyrannie, est souvent le prélude à une nouvelle saison de politique autoritaire.
Une sorte de recyclage des méthodes, juste un peu plus élégantes, un peu plus sophistiquées. Voilà le grand art du « transitionisme » : on fait tomber un tyran, et on le remplace… par un autre. Ou un clone.
De l’oppression à l’opportunisme
L’Afrique et le Moyen-Orient, terres fertiles pour les États rentiers, ont souvent vu ce genre de transition. L’Algérie en 1999, après une décennie de guerre civile, a vu l’arrivée du général Abdelaziz Bouteflika, un homme qui, bien que présenté comme un réformateur, a rapidement consolidé son pouvoir sous une façade de démocratie formelle.
Il a gagné des élections controversées et a régné pendant 20 ans, malgré les espoirs d’un véritable changement. Ce même scénario, on le retrouve dans les républiques africaines, de la Guinée équatoriale à la Côte d’Ivoire, où la transition, au lieu de rompre avec le passé, a continuellement renforcé les structures de pouvoir autoritaires et familiales.
En Égypte, la chute de Hosni Moubarak en 2011 lors du Printemps arabe n’a pas abouti à une véritable démocratie, mais a plutôt ouvert la voie à un autre régime autoritaire sous Abdel Fattah al-Sissi. Ce dernier, après avoir destitué Mohamed Morsi en 2013, s’est imposé en champion de l’ordre, tout en consolidant un système très similaire à celui de Moubarak, mais sous un vernis militaire et nationaliste.
Le cas de Bachar el-Assad : L’exil et la fuite vers la Russie
Prenons le cas de Bachar el-Assad, dont le régime syrien, acculé par des révoltes populaires soutenues par des puissances étrangères, a pu se maintenir grâce à un soutien stratégique de la Russie. L’asile politique qu’el Assad a trouvé en Russie après l’effondrement apparent de son pouvoir pendant les révoltes de 2011 symbolise la continuité de l’influence russe au Moyen-Orient.
Un dictateur qui, au lieu de subir une défaite totale, a trouvé refuge sous l’aile protectrice de Vladimir Poutine, renforçant ainsi un système de pouvoir où les transitions ne font que déplacer les mêmes acteurs en coulisse. Les puissances étrangères continuent de jouer un rôle fondamental dans cette politique de recyclage, car elles ne recherchent pas la stabilité interne, mais l’accès aux ressources stratégiques de ces régions. Et pendant ce temps, la population syrienne continue de souffrir sous un régime qui, bien qu’affiché comme réformateur, n’a pas changé ses pratiques autoritaires.
La transition : une question de posture
Oh, bien sûr, les élections sont organisées. Des médias « libres » sont créés. Les partis d’opposition ont droit à la parole… mais dans des studios isolés, loin des foules, loin de la rue, loin de la répression. Le nouveau tyran n’est plus le vieux monarque à moustache, mais un jeune « démocrate » qui parle d’Internet et de développement durable. Il prône la justice et l’unité nationale, mais en attendant que la poussière se pose, il fait distribuer des contrats juteux à ses cousins et ses anciens généraux, sous le regard bienveillant des investisseurs étrangers. Parce qu’après tout, ce n’est pas la stabilité qu’ils recherchent, mais un marché sécurisé pour leurs intérêts.
La gestion de la transition en Libye après la chute de Kadhafi est un autre exemple marquant. En 2011, après des mois de révolte soutenue par l’OTAN, Kadhafi est renversé, et un vide de pouvoir profond s’instaure. L’État libyen a implosé, et des milices armées ont pris le contrôle des principales villes. La démocratie promise n’est jamais venue, et la Libye est aujourd’hui plongée dans un chaos où les puissances étrangères rivalisent pour accéder aux ressources pétrolières et contrôler les flux migratoires.
L’art du recyclage : une éternelle valse des ombres
L’histoire de la politique en Afrique et au Moyen-Orient nous rappelle que l’art du recyclage politique n’est pas nouveau. La chute d’un dictateur comme Mobutu Sese Seko en République démocratique du Congo en 1997 n’a pas permis d’instaurer un véritable changement. À la place, Laurent-Désiré Kabila, son successeur, a poursuivi une politique autoritaire et corrompue, mettant fin à l’espoir d’une transition démocratique.
Le Congo, riche en ressources naturelles, continue de voir ses richesses exploitées par des acteurs internationaux tout en étant gouvernées par des élites locales qui profitent de la situation.
Les dictateurs, qu’ils soient en Afrique ou au Moyen-Orient, savent qu’il est bien plus facile de jouer au jeu des transitions qui de véritablement rompre avec le passé. Il suffit d’observer comment certains dirigeants comme Paul Kagame au Rwanda ou Yoweri Museveni en Ouganda manipulent les processus démocratiques pour se maintenir au pouvoir. Des élections régulières, une apparence de démocratie, mais une main de fer dans un gant de velours.
La vraie question : qui gagnera ce jeu ?
Dans ce grand théâtre de la politique, une question persiste : qui, finalement, gagnera ce jeu de l’ombre ? Le peuple, trop fatigué pour jouer à la roulette des promesses ? Ou les nouveaux seigneurs, toujours plus discrets, plus habiles, mais tout aussi assoiffés de pouvoir ?
La transition peut bien avoir lieu, mais tant que la rente et le pouvoir continuent de se jouer dans les coulisses, les acteurs changent, mais la pièce reste la même. Et au bout du compte, le recyclage politique semble plus rentable que l’engagement véritable. Car, dans ce monde où les tyrans se succèdent comme des vieilles habitudes utilisées, on finit toujours par se demander : et si tout cela n’était qu’une mise en scène ?
L’écrivain Franz Kafka avait déclaré : « Il n’y a pas de pire menace pour un homme que d’être désespéré sans pouvoir dire pourquoi. » Ces paroles résonnent parfaitement face aux révolutions avortées du monde dit arabe et africain, où le peuple semble piégé dans une spirale de promesses non tenues.
Le cycle sans fin du recyclage politique
Au final, l’art subtil du recyclage politique dans les régimes autoritaires est une danse macabre où les tyrans se succèdent sans véritablement disparaître. Chaque transition semble promettre un changement, mais en réalité, elle ne fait que déplacer les pions sur un échiquier dont les règles restent immuables. Le visage peut changer, les discours se moderniser, mais les structures de pouvoir restent souvent les mêmes, renforcées par des alliances internes et des complicités internationales. Le peuple, quant à lui, reste pris dans la promesse d’un avenir qui tarde à se concrétiser.
Antonio Gramsci avait dit : « Le vieux monde meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. » Cette citation capture à la perfection le paradoxe des transitions politiques dans ces régions : un changement qui, en apparence, mène à la lumière, mais qui, en réalité, reproduit les mêmes schémas de domination.
Le cynisme de cette réalité réside dans la façon dont la transition est utilisée comme un mirage pour masquer la continuité d’un système qui profite à une élite étroite et à des puissances extérieures. À chaque chute de tyran, un autre émerge, souvent plus habile, plus discret, mais tout aussi avide. Et le cycle continue, dans une spirale où la véritable liberté semble toujours hors de portée.
Alors, peut-être qu’à force de recycler, on oublie d’éliminer les déchets. Et dans cette politique du recyclage permanent, c’est la même question qui revient sans cesse : quand la fin de ce cycle viendra-t-elle ? Et surtout, qui aura vraiment changé à la fin ?
Moralité : Dans le jeu du pouvoir, les visages peuvent changer, mais les règles restent souvent les mêmes. Tant que les structures de domination et d’exploitation restent intactes, les transitions ne sont que des illusions de changement. Le véritable défi réside dans la capacité à briser le cycle, à instaurer une justice durable et à créer des systèmes où le pouvoir n’est pas un bien à recycler, mais un instrument au service du peuple.
La question de savoir ce que peut faire un tyran sans le peuple et ce que peut faire le peuple sans le tyran pose un dilemme central sur le pouvoir et la liberté. En explorant cette réflexion, sur la touche à des concepts profonds de dépendance, d’autorité et de résistance.
Sans le peuple, que peut faire le tyran ? Un tyran, par définition, s’appuie sur une forme de domination qui repose en grande partie sur l’obéissance et la passivité du peuple. Si le peuple se retire, s’organise ou résiste, le tyran perd son principal soutien. Il peut utiliser à la violence, à la répression et à la manipulation des institutions, mais sans une base sociale ou une légitimité populaire, son pouvoir devient fragile et temporaire. Le tyran peut avoir l’armée, les forces de l’ordre et les ressources économiques, mais sans l’adhésion ou la soumission passive du peuple, il se retrouve dans une situation de vulnérabilité. L’exemple de Ben Ali en Tunisie, chassé par une révolte populaire malgré un dispositif répressif puissant, démontre que même les régimes les plus autoritaires ne peuvent durer sans le soutien, direct ou indirect, de la population.
« Le pouvoir n’est rien sans l’adhésion du peuple. » – Jean-Paul Sartre. Sans le tyran, que peut faire le peuple ? Le peuple, sans le tyran, peut théoriquement retrouver son pouvoir d’agir. L’absence du tyran offre l’opportunité de créer des structures démocratiques, de reconstruire des institutions publiques, et d’orienter la société vers des réformes bénéfiques pour la majorité.
Cependant, cette transition peut être semée d’embûches. L’absence d’un tyran ne signifie pas nécessairement l’absence de défis ; au contraire, le vide de pouvoir créé après la chute d’un régime autoritaire peut mener à des luttes internes pour la succession du pouvoir. De plus, des forces externes peuvent essayer de manipuler le peuple ou de remplacer un tyran par un autre, comme on l’a vu après le renversement de Kadhafi en Libye. Le peuple peut se libérer d’un tyran, mais il peut également faire face à des forces qui cherchent à renforcer des systèmes de pouvoir tout aussi autoritaires sous des apparences différentes.
« Les tyrans ne sont pas faits pour durer, mais leurs successeurs, parfois, sont plus habiles à séduire », disait Albert Camus.
Réflexion globale : cette question invite à réfléchir à la dynamique du pouvoir et de l’oppression. Le tyran, sans le peuple, perd sa légitimité et son pouvoir, mais le peuple, bien que capable de renverser un tyran, peut aussi être laissé dans une position de fragilité où les illusions de liberté peuvent se dissiper si une nouvelle forme d’oppression. émerger. La véritable liberté nécessite une vigilance constante et une structuration de la société qui ne repose pas seulement sur l’élimination permettant d’un tyran, mais sur la mise en place de mécanismes d’éviter le retour au même système de domination.
Dr A. Boumezrag