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Elisha Baskin : « La désobéissance civile non violente est toujours une option »

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Lors d’une rencontre autour du livre Nous refusons du photographe Martin Barzilaï (éditions Libertalia), où elle figure parmi les portraits, Elisha Baskin a livré un témoignage marquant.

Israélienne et exilée par choix, elle refuse l’emprise du militarisme qui structure son pays d’origine. En évoquant son adolescence durant la seconde Intifada, elle rappelle un climat de violence quotidienne : « Les bus que je devais prendre pour aller à l’école ont été soufflés par des kamikazes palestiniens, tout comme le supermarché de notre quartier dans lequel une camarade d’école a été tuée. »

Arrivée en France sans projet d’exil, Elisha Baskin découvre ici une société non militarisée, des frontières apaisées et un système éducatif où la diversité et l’égalité sont des valeurs affirmées.

Dans cet entretien, Elisha Baskin revient sur son parcours, ses choix et sa conviction profonde : refuser, c’est toujours possible.

Le Matin d’Algérie : À 16 ans, vous avez reçu votre convocation pour l’armée israélienne. Quel a été votre premier sentiment en ouvrant cette enveloppe ?

Elisha Baskin : J’ai immédiatement ressenti une profonde angoisse, mais une part de moi espérait aussi pouvoir « surmonter » l’obstacle moral, entrer dans le moule et faire ce que tous mes camarades allaient faire : me laisser incorporer.

Le Matin d’Algérie : Vous avez grandi à Jérusalem pendant la seconde Intifada. Comment cette période a-t-elle façonné votre conscience politique et votre rapport à l’armée ?

Elisha Baskin : Je dirais que certains de mes tout premiers souvenirs d’enfance sont liés à la guerre. À quatre ans, je me souviens d’être enfermée dans une pièce de la maison, la porte scellée avec du ruban adhésif, obligée de porter un masque à gaz pendant la première guerre du Golfe. Puis ces premières expériences se sont accumulées.

Enfant, je me rendais avec mes parents chez leurs amis palestiniens en Cisjordanie, et plus tard j’ai vu l’apparition des checkpoints et des patrouilles frontières qui harcelaient les gens et les alignaient dans la rue. En arrière-plan, les bus publics que je devais prendre pour aller à l’école ont été soufflés par des kamikazes palestiniens, tout comme le supermarché de notre quartier dans lequel une camarade d’école a été tuée. Pendant ces années-là, tout le monde que je connaissais a été directement touché. À l’adolescence, en approchant de l’âge du service militaire, j’ai dû affronter ce qui se passait autour de moi. Je me demandais simplement : pourquoi cela arrive-t-il ? Pourquoi des hommes sont-ils alignés dans la rue ? Pourquoi tout explose ?

Je pense que l’étude de la géographie de l’occupation militaire israélienne a été la première étape pour tenter de comprendre cette autre réalité qui se déroulait juste à côté. J’ai commencé à consommer davantage d’actualités, à lire des rapports d’organisations de défense des droits humains, et à voyager avec des groupes solidaires pour rencontrer des Palestiniens.

Ces rencontres et ce processus d’apprentissage m’ont clarifié que le service militaire était exclu pour moi.

Le Matin d’Algérie : Refuser de servir a-t-il été un choix plus moral, éthique, ou politique ?

Elisha Baskin : Les trois à la fois. Je ne suis pas nécessairement pacifiste, ni catégoriquement opposée à l’idée qu’un pays ait une armée. Mais je sentais que je ne pouvais pas participer à cette forme de collectivité nationale.

C’est difficile à expliquer, mais en Israël, l’armée et sa culture sont l’air que l’on respire ; leurs valeurs imprègnent tous les aspects de la vie. Il n’y a presque aucune séparation entre l’institution militaire et la société civile. L’ampleur de ce phénomène est difficile à saisir de loin.

Autrement dit, moralement et éthiquement, je savais que je serais confrontée à des situations auxquelles je ne pourrais pas me soumettre (comme être envoyée dans les territoires occupés). Et politiquement, je voulais affirmer que l’armée israélienne ne fonctionne pas seulement comme une force de défense, mais comme une machine expansionniste d’accaparement des terres qui ne respecte en rien l’éthique de la guerre, pour le dire poliment.

Le Matin d’Algérie : Pendant votre processus d’objection de conscience, quelles ont été les plus grandes difficultés auxquelles vous avez été confrontée ?

Elisha Baskin : Le plus difficile était de ne pas savoir si j’allais aller en prison ou non. À cette période, je connaissais plusieurs personnes emprisonnées pour avoir refusé de servir, et leurs expériences étaient traumatisantes et éprouvantes.

Le Matin d’Algérie : Vous avez reçu un statut exceptionnel d’objectrice de conscience. Qu’est-ce que cela a représenté pour vous ?

Elisha Baskin : Sur le plan personnel, c’est un accomplissement dont je suis fière, pour mon propre parcours, mais aussi pour pouvoir dire à l’extérieur : les Israéliens ne sont pas un bloc homogène, certains refusent de participer à ce système.

Symboliquement, cela montre que si l’on défend un principe et que l’on tient bon, on incarne l’idée qu’une alternative existe, qu’on peut aller à contre-courant et tenter d’ouvrir une autre voie vers un avenir meilleur. Pour la majorité des Israéliens juifs laïcs, ce n’est même pas perçu comme un choix. Mais les refuzniks affirment : si, il existe presque toujours un choix.

Le Matin d’Algérie : Comment votre famille et l’organisation New Profile vous ont-elles soutenue ?

Elisha Baskin : Mes parents m’ont soutenue dès le premier instant et m’ont accompagnée aux rendez-vous chez l’avocat et devant les commissions militaires. Les conseils de New Profile m’ont aidée à comprendre ce que signifiait potentiellement aller en prison et m’ont donné le sentiment de ne pas être seule.

Le Matin d’Algérie : Vous avez effectué un service civil chez Amnesty International. En quoi cette expérience a-t-elle été différente de ce que vous auriez vécu dans l’armée ?

Elisha Baskin : Ces deux expériences ne sont en aucun cas comparables. Mon passage à Amnesty International a été absolument déterminant. J’y ai passé un an en service civil, puis trois ans comme salariée. Mon travail consistait à promouvoir l’éducation aux droits humains, à introduire ce discours dans les écoles, à sensibiliser et à encourager l’activisme politique chez les jeunes.

Le Matin d’Algérie : Vous évoquez que votre position a été facilitée par votre classe sociale. Selon vous, qu’est-ce qui empêche la majorité des jeunes Israéliens de suivre une trajectoire similaire ?

Elisha Baskin : C’est un point difficile à saisir sans connaître intimement la société israélienne. L’armée est partout, les armes sont partout ; leur présence n’est ni questionnée ni interrogée. Faire l’armée a une signification similaire à aller à l’université après le lycée ou à faire une année Erasmus. C’est une période déterminante pour l’avenir (social, professionnel, parfois financier). C’est le ciment de la société juive. Il est impensable pour la plupart de passer outre.

Et cela avant même d’aborder toute motivation politique : beaucoup de jeunes Israéliens se sentent moralement appelés à servir — défendre la patrie, qui peut être attaquée à tout moment.

Je dois admettre qu’après le 7 octobre, il est parfois difficile de contester ce sentiment. La population se sent vulnérable, et qu’il soit justifié ou non ne change rien au fait que le cycle de violence perpétuel nourrit ces idées. Dans ce contexte, imaginer un mouvement massif de refus est presque impossible.

Le Matin d’Algérie : Après 2018, vous avez choisi l’exil en France. Qu’est-ce qui a motivé cette décision, et comment vivez-vous cet écart entre votre pays natal et votre vie actuelle ?

Elisha Baskin : Je suis arrivée en France en vacances pendant mon congé maternité. Je n’avais pas de plan précis pour quitter Israël, mais en arrivant ici, mon imagination s’est ouverte à l’idée qu’une autre vie était possible. Je trouve qu’en France, les gens n’ont pas conscience des avantages qu’ils ont en tant que citoyens de l’UE, dans un pays aux frontières ouvertes et pacifiques. La France traverse de nombreux défis politiques, et ce n’est pas une réalité “rose”, surtout pas pour les réfugiés qui tentent de s’y installer et cherchent eux aussi une vie meilleure. J’ai eu la chance de pouvoir obtenir un visa d’un an, qui a été prolongé à plusieurs reprises jusqu’à l’obtention d’un titre de séjour. Élever un enfant dans un système éducatif public non militarisé, où (la plupart du temps) des valeurs d’égalité et de respect sont transmises, et où la diversité est plus la norme que ce à quoi j’étais habituée, est extrêmement précieux.

Le Matin d’Algérie : Dans votre épilogue post-7 octobre, vous critiquez l’instrumentalisation de la Shoah et le soutien international à Israël. Comment percevez-vous le rôle de la mémoire dans la politique contemporaine ?

Elisha Baskin : Je voudrais d’abord dire que oui, dans la psyché nationale israélienne, la mémoire de la Shoah est souvent instrumentalisée pour justifier n’importe quelle action militaire, et pour promouvoir le projet messianique d’expansion et de colonisation. Parfois, cela va jusqu’à assimiler les Palestiniens à Hitler, comme si leur désir de libération n’était qu’un pur antisémitisme — sans jamais avoir à se confronter à la réalité de la vie palestinienne sous occupation ou génocide. Par ailleurs, dans de nombreux pays, il n’y a aucune éducation à la Shoah, et le public ignore tout de l’histoire juive. Cela laisse place au négationnisme, aux théories complotistes et à un antisémitisme virulent.

J’espère que l’histoire humaine pourra être enseignée partout afin de promouvoir des valeurs humanistes et d’encourager la fin des conflits. J’ajouterais que l’un des enseignements majeurs de cette période sombre de l’humanité est la rapidité avec laquelle une société peut basculer vers le génocide. C’est une leçon essentielle de la Shoah : nous savons lire les signes d’une société qui devient totalitaire. Il faut rester vigilants, partout.

Le Matin d’Algérie : Si vous deviez adresser un message aux jeunes Israéliens et aux citoyens du monde face aux injustices et à la violence ?

Elisha Baskin : La désobéissance civile non violente est toujours une option. Les populations israélienne et palestinienne devront trouver un moyen de partager ce territoire. Je ne sais pas comment, mais j’espère que les personnes de conscience sauront rester non dogmatiques et informées sur ces deux sociétés. Faire disparaître une partie de l’équation ne sera jamais une solution. Tout le monde mérite de vivre en paix, et tout le monde mérite la justice.

Entretien réalisé par Djamal Guettala 

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