Dimanche 5 juillet 2020
En Algérie, c’est toujours le peuple qui écrit l’histoire (*)
«Tant qu’un mouvement n’a pas de leader, il est incontrôlable. Quand il a des leaders, il est manipulable » Alain Leblay
En Algérie, les premières insurrections populaires ont été dirigées par des hommes lettrés comme l’émir Abdelkader, El Mokrani, son frère Boumezrag, et Bouamama.
Durant sa lutte de libération nationale, avec des leaders comme Abbane Ramadane, Ben M’hidi, et d’autres, l’Algérie réfléchissait sur son destin, luttait pour son indépendance et engageait son avenir dans la perspective d’une révolution de la raison. Ce leadership était dominé par la « politique de la tête ». D’une main, on tenait le fusil pour combattre le colonialisme français et de l’autre la plume pour faire connaître la révolution algérienne au monde entier. Malheureusement, de 1954 à 1962, beaucoup d’intellectuels disparaîtront, certains, les armes à la main, d’autres dans des conditions mystérieuses. Quant au reste, les survivants, ils seront réduits à de simples auxiliaires du fait qu’ils savent lire et écrire.
La révolution en posant la violence comme solution ultime au drame de la colonisation, a été amenée à faire de l’armée la source exclusive du pouvoir en Algérie. Cette évolution prend racine dans l’histoire tumultueuse de la société algérienne.
Au lendemain de l’indépendance, l’Algérie a été décapitée par les forces coloniales. Un système néocolonial de domination est né. Les intellectuels vont dépendre du pouvoir pour survivre. Au lieu de constituer l’âme de la société, ils vont dépendre des ponctions sur la rente. Leur réussite se mesure par leur capacité à bénéficier de privilèges grâce à leurs positions hiérarchiques. Ces positions leur permettant de renoncer à leur fonction critique. C’est l’allégeance et la vassalité. Lorsque de telles relations envahissent l’ensemble des espaces, le pouvoir distributif devient le régulateur exclusif de la société. Avec la politique du ventre, « on ne réfléchit plus, on mange ».
Comme dit un proverbe africain, « la chèvre broute là où elle est attachée ». La nationalisation du pétrole et du gaz et la hausse du prix du baril de pétrole vont faire des ressources en hydrocarbures la principale source de revenu en devises du pays. C’est ainsi que la rente pétrolière et gazière va rendre le pouvoir de plus en plus attractif. C’est donc l’Etat qui va contrôler la quasi-totalité des ressources de la nation. En absence d’une démocratie en Algérie, l’enjeu politique ne sera plus la croissance économique et le plein emploi des facteurs de production de biens et services mais la répartition de la rente pétrolière et gazière à des fins de légitimation du pouvoir. La rente va alors irriguer tous les réseaux du système, et chaque réseau sera évalué et rémunéré en fonction de sa contribution à la stabilité du système. Ainsi, par ce mode de redistribution arbitraire et irrationnel des ressources nationales, l’Etat imposera une déresponsabilisation en profondeur, du sommet à la base, et de la base au sommet, à l’ensemble des acteurs économiques et sociaux, qui adoptent alors, sous l’effet de la pression sociale, l’idéologie du système c’est à dire « la politique du ventre ». C’est dans ce contexte que nos enfants naissent et grandissent dans un climat de corruption qui fausse leur conscience dés leur jeune âge en leur faisant croire que le succès dans la vie s’obtient non pas par les études et le travail honnête mais par la tromperie et le vol. Cette Algérie du ventre est devenue au fil des années un pays corrompu, inégalitaire faite misère, de désarroi et de désespoir où règnent à ciel ouvert l’arbitraire et la médiocrité.
Un pays pauvre où la population s’enfonce dans la souffrance physique et mentale tandis que l’élite politique se gave de produits de luxe importés. Ceci ne doit pas nous faire oublier pour autant les autres, tous les autres, ceux qui sont restés à l’écoute de la société, ceux qui ont refusé la compromission, ceux qui ont refusé de s’agenouiller, ceux qui sont morts, exilés ou marginalisés au nom de la lumière, au nom de la liberté, au nom de la justice. Dans une société gangrenée par la corruption, les personnes non corrompues se trouvent paralysées car elles n’ont plus d’horizon pour agir, plus d’espace de confiance, plus de motivations pour se former, travailler, produire ou pour investir.
« Réfléchir sans pouvoir agir revient à chauffer une pièce en laissant porte et fenêtres ouvertes ». Aujourd’hui, on est en phase de passer à une nouvelle étape, celle de la « politique de l’anus ». On ne réfléchit plus, on s’observe, on se tient à distance, on fait ses besoins n’importe où, n’importe comment ; l’essentiel est de se soulager. Comme dirait un proverbe bien de chez nous « celui qui veut être cité dans le village n’a qu’à faire ses excréments à la fontaine ».
Les scandales financiers et les détournements de fonds publics s’étalent au grand jour dans un pays qui rejette aussi bien excréments que ses enfants à la mer. Cela signifie que le pays ne peut plus compter sur son élite pour bâtir son avenir. Cette élite n’a plus de tête. Elle a rempli son ventre de toutes les immoralités et de toutes les turpitudes, il ne lui reste que son anus pour vivre dans son propre univers nauséabond.
Les comportements de corruption, de pillage et de gaspillage des ressources humaines, matérielles, naturelles et financières sont fortement nuisibles à la stabilité de la société, à la pérennité de l’Etat et à l’émergence d’une économie productive créatrice d’emplois. Ces pratiques illégales et douteuses utilisées de détournement des ressources du pays à des fins non productives agacent aujourd’hui sérieusement la société, au point que les dirigeants de la nation se trouvent pointés du doigt… Jetant le discrédit sur toute la classe dirigeante qu’elle soit au « pouvoir » ou dans « l’opposition », en « activité » ou en « réserves ». Les dirigeants n’inspirent plus aucun respect. Le pays a fait d’eux des hommes riches, ils en ont fait un pays pauvre.
L’élite dirigeante devrait éprouver de la honte de n’être qu’une caste d’hommes et de femmes de paille au service d’un système de domination inacceptable pour une Algérie qui s’est battu pour plus de liberté, de justice et de dignité. Un homme d’Etat africain disait il n’y a pas si longtemps : « on peut tromper le peuple de temps en temps, mais, on ne peut pas le tromper tout le temps ». On assiste, après six décennies d’indépendance, à une déchéance du leadership algérien. Un bon dirigeant a le devoir de mener une vie exemplaire… A l’inverse, celui qui ne mène pas une vie exemplaire ne mérite pas d’être dirigeant.
Pourtant, c’est connu le respect se mérite et le rang s’achète. Les nominations à des postes de responsabilité devraient cesser d’être des certificats d’allégeance servile aux prestations médiocres et aux coûts exorbitants dans un environnement international de plus en plus complexe qui ne laisse aucune chance de survie à des populations de plus en plus désemparées.
Compétence, conscience, rigueur, Moralité, Patriotisme doivent être à notre sens, les maîtres mots, des mots pourtant bien connus, des mots simples qu’il suffit de se souvenir quand on veut choisir des hommes de qualité pour servir efficacement la nation afin de lui éviter une déliquescence avancée de l’Etat et la faillite prématurée d’une économie rentière aux conséquences imprévisibles qui semblent pointer à l’horizon.
Fragilisé à l’intérieur et perméable de l’extérieur, le pays risque d’être un jouet ou une marionnette entre les mains des grandes puissances hégémoniques qui se disputent un espace vital à la pérennité d’une civilisation matérielle et technologique en pleine décadence morale et spirituelle mise en mal par la pandémie du Covid-19. Etrange destin d’un pays promis à des lendemains qui chantent.
Dr A. B.
(*) Le titre est une pensée de Racim Elghers
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