Le sujet du secret des sources est à nouveau en pleine lumière. Les états généraux de l’information se sont ouverts, mardi 3 octobre. Ce travail de réflexion, concrétisation d’une promesse d’Emmanuel Macron, doit durer jusqu’à l’été 2024, et prend notamment la forme d’une consultation en ligne. Les citoyens sont notamment invités à s’exprimer sur « la protection des journalistes et de leurs sources ».
Ce même jour, le Parlement européen a voté en faveur d’une loi destinée à défendre les journalistes contre plusieurs menaces, dont les « pressions extérieures (…) pour les obliger à révéler leurs sources ». Un débat qui fait écho à la récente garde à vue en France de la journaliste Ariane Lavrilleux, dans le cadre d’une enquête pour « divulgation du secret de défense nationale ». Franceinfo fait le point sur les règles qui régissent ce grand principe que certains jugent menacé.
1- Quelles règles encadrent le secret des sources ?
En France, la protection des journalistes repose à la fois sur la législation française et sur le droit européen, comme le rappelle le Sénat dans un rapport publié en 2014. La liberté d’expression, telle que définie par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme, comprend « la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière ».
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a ensuite acté explicitement le principe du secret des sources dans l’arrêt Goodwin c. Royaume-Uni, en 1996 : « La protection des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse. »
Au niveau français, la loi du 4 janvier 2010 a introduit dans la définition de la liberté de la presse le fait que « le secret des sources des journalistes est protégé dans l’exercice de leur mission d’information du public ».
Le Code de procédure pénale prend également en compte ce principe pour encadrer l’action des enquêteurs. Ainsi, l’article 60-1 prévoit que le procureur de la République ne peut obtenir la production, par un journaliste, de documents intéressant l’enquête sans l’accord préalable de celui-ci. L’article 100-5 ajoute que « ne peuvent être transcrites les correspondances avec un journaliste permettant d’identifier une source ». Enfin, l’article 326 pose le principe de « la faculté, pour tout journaliste entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l’exercice de son activité, de ne pas en révéler l’origine ».
2- Existe-t-il des limites à ce principe ?
Le secret des sources n’est pas absolu en France. Au fil de sa jurisprudence, la CEDH a dégagé trois critères pour déterminer la légalité d’une atteinte à ce principe : l’existence d’un impératif prépondérant d’intérêt public, la nécessité de l’atteinte et la proportionnalité de l’atteinte. En France, la loi du 4 janvier 2010 confirme ainsi que la justice ne pourra rechercher l’origine d’une information que « lorsqu’un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi ».
La procédure de levée du secret des sources par le juge est encadrée par l’article 56-2 du Code de procédure pénale. Il dispose notamment que les perquisitions visant des journalistes « ne peuvent être effectuées que par un magistrat », que « la personne présente lors de la perquisition peut s’opposer à la saisie d’un document ou de tout objet », que ce dernier doit alors « être placé sous scellé fermé » et que « le juge des libertés et de la détention statue sur la contestation ». Ce juge peut confirmer le versement du scellé à la procédure, mais aussi ordonner sa restitution immédiate.
3- La protection des sources est-elle suffisante en France ?
Un événement a relancé ce débat fin septembre : le placement en garde à vue de la journaliste Ariane Lavrilleux, dans le cadre d’une information judiciaire pour compromission du secret de la défense nationale. La collaboratrice du site d’investigation Disclose a été interrogée pendant 39 heures, ressortant libre, et son domicile a été perquisitionné. La justice s’intéresse à la production d’une enquête écrite en 2021 et publiée par Disclose, avant d’être adaptée à la télévision pour le magazine « Complément d’enquête », sur France 2. Elle abordait les ventes d’armes françaises à l’étranger, ainsi qu’une mission confidentielle des renseignements français en Egypte, que ce pays aurait détournée pour cibler et tuer des opposants.
Des médias et ONG ont dénoncé une nouvelle atteinte au « secret des sources », qui vient s’ajouter à d’autres procédures contestées ces dernières années. En 2022, trois journalistes de la cellule investigation de Radio France ont été convoqués à la DGSI après la publication d’une enquête sur des soupçons de trafic d’influence au sein de l’armée française. De son côté, le journaliste Alex Jordanov, auteur d’un livre sur le renseignement intérieur en 2019, a été mis en examen trois ans plus tard, notamment pour « divulgation du secret-défense ».
« Si on ne protège pas les sources, c’est la fin du journalisme », s’est indignée Ariane Lavrilleux à la sortie de sa garde à vue. Ce sont des « signaux très inquiétants » qui « sont envoyés », a alerté Pavol Szalai, chef du bureau Europe au sein de Reporters sans frontières. « Il faut surtout supprimer [de la loi] cette notion extrêmement vague ‘d’impératif prépondérant d’intérêt public’ qui permet cet abus de procédure, comme dans le cas d’Ariane Lavrilleux », a-t-il plaidé.
4- Quelles sont les initiatives sur la table pour renforcer le secret des sources ?
Du côté européen, la « loi européenne sur la liberté des médias », approuvée par le Parlement européen mardi, prévoit notamment l’interdiction, pour les Etats membres ou les entités privées, d’obliger les journalistes à divulguer leurs sources. La version soumise aux élus de l’UE interdit les détentions de journalistes liées à leur activité professionnelle, ainsi que les fouilles de documents et perquisitions de leur bureau ou leur domicile, « en particulier quand de telles actions peuvent conduire à l’accès à des sources journalistiques ». Les dérogations à ce principe sont strictement encadrées.
« Ces garde-fous sont clairement plus protecteurs que la loi française, et apportent un niveau de protection qui aurait empêché qu’un épisode comme celui d’Ariane Lavrilleux se produise », explique à l’AFP Julie Majerczak, directrice du bureau bruxellois de Reporters sans frontières.
Du côté français, les états généraux de l’information ont pour objectif » d’aboutir à un plan d’action » pour « garantir le droit à l’information à l’heure numérique », explique à l’AFP Christophe Deloire, délégué général du comité indépendant qui pilote l’événement. Organisés par groupes de travail, les états généraux débuteront par « une phase de diagnostic jusqu’à la fin de l’année », avant « les propositions ». Ils s’achèveront « en mai-juin » 2024.
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