C’est le bras de fer aux États-Unis entre le ministère de la Défense et les journalistes spécialisés. Levée de bouclier des médias américains après les restrictions inédites imposées par le Pentagone qui cherche à cadenasser la presse. Et à empêcher les reporters d’avoir accès à leurs sources au sein des forces armées.
Certaines de ces mesures ont même été assimilées à de la censure, car les autorités américaines menacent de poursuites judiciaires les journalistes qui sortiraient des informations confidentielles. Le contrat proposé par Pete Hegseth, le ministre nommé par Donald Trump, à la presse : signez cette nouvelle charte ou vous ne pourrez plus mettre les pieds au Pentagone. La quasi-totalité des médias, y compris les plus grandes signatures du New York Times, du Washington Post, de CNN, ainsi que plusieurs organes classés dans la sphère conservatrice, ont choisi de dire « non ». Et ont abandonné pour la première fois en l’espace de plusieurs décennies leur badge d’accès au ministère de la Défense.
L’image de ces journalistes en train de quitter le Pentagone est saisissante. Une cinquantaine de reporters, tous médias confondus qui ont emporté dans leurs cartons quelques photos, une imprimante ou une horloge, reliquat de la vie d’avant. Celle où le ministère de la Défense laissait la presse faire son travail sans chercher à contrôler l’information.
« Ça faisait 28 ans que je travaillais au Pentagone. J’y ai toujours eu accès et j’ai toujours pu me balader librement dans les couloirs. J’ai parlé à des gens comme le général Petraeus, l’ancien patron des forces américaines en Afghanistan ou des officiers que j’avais appris à connaître avec le temps. Maintenant, on nous dit que nous cherchons à collecter des infos confidentielles alors qu’on essaie simplement de se faire une idée de l’actualité. On peut juste avoir entendu quelque chose, demander confirmation à des gens, et eux sont capables de dire : « Ecoute, Tom, ce n’est pas 100% exact, je pense que tu ne suis pas la bonne piste ». Très souvent, le métier, c’est de solliciter l’avis de gens que l’on connaît sur ce qui se passe en coulisses », explique Tom Bowman, l’une des figures de NPR, la radio publique américaine.
La liberté de la presse doit être protégée par le président, selon une ex-correspondante de CNN
Certes, le ministère a clarifié ses intentions. Il n’est pas question de relire les articles avant publication. Mais les nouvelles procédures édictées par le gouvernement restent très restrictives. Au total, 21 pages d’instructions qui couvrent aussi bien la couleur des badges de presse que les lieux autorisés pour les liaisons en direct. Les journalistes n’ont plus le droit de se déplacer seuls à l’intérieur du Pentagone. Ils devront systématiquement être escortés. Et l’institution militaire insiste lourdement : les médias qui incitent des fonctionnaires à livrer des informations pourront faire l’objet de sanctions, voire de poursuites. Ce qui revient, qu’on le veuille ou non, à mettre la presse sous tutelle.
« Souvenez-vous qu’aux États-Unis, lorsque le président prête serment, il jure de protéger la Constitution. Ce qui inclut le 1ᵉʳ amendement d’où découle la liberté de la presse. Et c’est aussi ce que les soldats s’engagent à protéger lorsqu’ils s’engagent. La liberté de la presse est un droit protégé par la Constitution. Avez-vous le droit de publier des informations confidentielles ? C’est à la justice de répondre à cette question », souligne Barbara Starr, correspondante de CNN au Pentagone pendant plus de 20 ans, entre 2001 et 2022.
Tous les journalistes spécialisés dans les questions de défense promettent de continuer leur travail hors du Pentagone. Y compris des médias classés à droite comme Fox News qui ont, eux aussi, claqué la porte en signe de protestation.
Rfi