25.5 C
Alger
mardi 22 juillet 2025
AccueilCulturesFarah Fersi : réinventer le qanoûn, faire résonner l’âme du monde

Farah Fersi : réinventer le qanoûn, faire résonner l’âme du monde

Date :

Dans la même catégorie

Biens mal acquis, recherche de l’invisible et myopie pour le visible

La chronique d'aujourd'hui n'a pas besoin d'être longue mais...

Oserions un jour comprendre nos jeunes ? 

Pourquoi est-il difficile de comprendre nos jeunes? Pourquoi peine-t-on...

RCD, du recentrage au retour aux fondamentaux

Longtemps perçu comme en quête d’un nouveau souffle idéologique,...

Légaliser le cabas, brider l’entreprise : le double jeu d’un pouvoir en panne

Le pouvoir algérien légalise l’importation « du cabas »...
spot_imgspot_img
- Advertisement -

Farah Fersi est l’une de ces artistes rares dont la présence transforme le regard que l’on porte sur un instrument, un répertoire, une culture. Née en Tunisie dans un environnement où la musique est à la fois mémoire vivante et héritage parfois figé, elle s’est très tôt engagée dans une quête d’expressivité profonde.

Le qanoûn, également connu sous le nom de « kanun », instrument ancestral de la musique arabe et ottomane, mais aussi persane et arménienne, devient entre ses mains bien plus qu’un vecteur de tradition : il se métamorphose en un outil de création contemporaine, en une voix singulière portée par une femme libre, en résonance avec son époque.

 Son parcours est un dialogue constant entre rigueur classique et ouverture créative. Formée au conservatoire de Tunis, elle maîtrise les modes traditionnels et le jeu du kanun sur le plan académique. En se formant ensuite en Turquie auprès de maîtres comme Göksel Baktagir et et Aytaç Doğan, ce qui lui a permis d’enrichir sensiblement son approche instrumentale.

Mais au-delà de cette dimension musicale, Farah Fersi insuffle dans son œuvre une vision du monde. Elle ne joue pas pour éblouir, elle joue pour éveiller. Son art est traversé par une spiritualité lumineuse, par un désir de réconciliation entre l’ancien et le nouveau, entre l’Orient et l’Occident, entre le sacré et l’intime.

Elle conçoit chacun de ses concerts comme une expérience immersive. Dans Eternal Light, par exemple, elle mêle compositions originales, projections visuelles et textes poétiques, comme autant d’échos d’un monde intérieur vibrant. La musique devient alors prière, contemplation, mais aussi cri discret contre l’uniformité culturelle et le silence imposé aux voix féminines.

Ce qui rend son apport si marquant, c’est sa capacité à inscrire une pratique individuelle dans une démarche collective, sans jamais diluer sa singularité. Dans les projets internationaux auxquels elle participe, tels que Orpheus XXI ou Life Cycle, elle est autant interprète que passeuse, transmettant son savoir, créant des ponts entre les traditions. Elle dialogue avec des musiciens syriens, iraniens, kurdes, africains, indiens — non pas dans une fusion naïve, mais dans une écoute profonde, respectueuse, dans l’élaboration de langages nouveaux où chacun conserve son ancrage. Sa musique est ainsi politique, au sens le plus noble du terme : elle relève d’un projet d’hospitalité, d’élévation, d’échange.

Farah Fersi représente aujourd’hui une figure essentielle de la jeune scène musicale méditerranéenne. En tant que femme, elle redéfinit les contours d’un art historiquement dominé par des figures masculines. En tant que compositrice, elle crée un répertoire original qui s’émancipe des clichés folkloriques. En tant que musicienne, elle remet l’instrument au centre d’un art vivant, mouvant, ouvert. Sa présence sur des scènes prestigieuses — de Bordeaux à Dubaï, de Téhéran à Paris — témoigne non seulement d’une reconnaissance internationale, mais aussi d’un besoin de ce type d’artistes : ancrés dans une histoire, mais résolument tournés vers demain.

Farah Fersi incarne bien plus qu’un talent musical exceptionnel : elle incarne une manière d’être au monde, une posture artistique où la virtuosité n’est jamais une fin en soi, mais un point de départ pour tisser du sens, pour construire du lien, pour transmettre ce qui échappe aux mots.

Dans un monde où tout s’accélère, où les cultures sont souvent consommées à la hâte, vidées de leur profondeur, elle choisit la lenteur de l’écoute, la fidélité au geste juste, la densité de la présence. Elle nous rappelle que la musique ne se résume pas à l’esthétique sonore, qu’elle peut être un acte de résistance douce, un espace de soin, de mémoire et de transformation.

Son œuvre nous enseigne quelque chose de rare : que la tradition, pour être vivante, doit accepter de se laisser traverser, questionner, déplacer. La modernité n’a de sens que si elle respecte les racines profondes de l’humain.

Que la féminité dans l’art n’est pas une posture à prouver, mais une puissance discrète, organique, souveraine. À travers ses compositions, ses concerts, ses engagements, Farah Fersi ne défend pas seulement une vision de la musique : elle porte une vision de la vie. Une vie faite de clair-obscur, de silences éloquents, de gestes habités, de lumière patiente.

Elle appartient à cette génération d’artistes qui ne cherchent pas à plaire, mais à toucher. Et dans cette sincérité, dans cette exigence douce, elle parvient à créer quelque chose de profondément rare : une œuvre qui traverse les frontières sans jamais perdre son âme. Une œuvre qui élève, éclaire, et qui laisse, bien après le silence retombé, une empreinte intérieure. Farah Fersi, en cela, n’est pas seulement une musicienne remarquable. Elle est une voix essentielle de notre temps.

Farah Fersi incarne une fusion réussie entre tradition et modernité, entre Orient et Occident. Sa maîtrise du kanun, sa créativité et son engagement artistique font d’elle une figure incontournable de la scène musicale méditerranéenne contemporaine.

Brahim Saci

https://farahkanun.com

Dans la même catégorie

Biens mal acquis, recherche de l’invisible et myopie pour le visible

La chronique d'aujourd'hui n'a pas besoin d'être longue mais...

Oserions un jour comprendre nos jeunes ? 

Pourquoi est-il difficile de comprendre nos jeunes? Pourquoi peine-t-on...

RCD, du recentrage au retour aux fondamentaux

Longtemps perçu comme en quête d’un nouveau souffle idéologique,...

Légaliser le cabas, brider l’entreprise : le double jeu d’un pouvoir en panne

Le pouvoir algérien légalise l’importation « du cabas »...

Dernières actualités

spot_img

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici