Il aura suffi d’un dossier spécial sur les Kabyles, concocté par Le Point, avec un titre qui en dit long, pour que les couteaux s’aiguisent. Ce titre : « Les Kabyles, un peuple debout » n’est pas du goût de certains algériens qui s’estiment plus patriotes que les autres.
À lire certains commentaires pervers sur les réseaux sociaux, on mettrait sa main à couper que leurs auteurs se sont contentés de se focaliser sur la couverture. Exit tout le reste. Exit les interviews de Saïd Sadi et la chronique Kamel Daoud. Exit tous ces articles complémentaires qui rajoutent au dossier des éléments intéressants, si tant est que l’on les lise avec distance.
C’est fou comment le regard de certains de nos compatriotes vis-à-vis des Kabyles et de la Kabylie se rapproche pour se confondre avec celui de ces gouvernants qui ont prêté allégeance aux tenants du pouvoir (Chanegriha/Tebboune). Ils font preuve d’un courage qu’on ne leur connaît pas quand il s’agit de dénoncer l’arbitraire qui ronge le pays.
Une terminologie nouvelle a fait son apparition ces derniers temps pour qualifier ceux qui pensent autrement : kabyliste, algérianiste, séparatiste, etc., autant de qualificatifs déplacés pour désigner ceux pour qui l’autonomie régionale est une solution pour apaiser les esprits et construire une nouvelle Algérie !
Parlons peu mais parlons vrai ! Sommes-nous plus rusés que les Suisses ?
Pour rappel, la Suisse, ce petit Etat européen, compte 26 cantons qui ont chacun leurs propres constitution, parlement, gouvernement et tribunaux. Et les langues de certaines minorités sont jalousement protégées. Pour autant, cela a-t-il jamais menacé la Suisse d’éclatement ou de guerre civile ?
Alors, pourquoi dès lors qu’il s’agit d’un pays aussi vaste que l’Algérie, le terme autonomie fait bondir certains de nos compatriotes pour se dresser comme le feraient des vierges effarouchées ?
« Si la langue de tes gouvernants n’est pas celle de ta mère, sache que tu es colonisé », énonce l’écrivain kabyle Karim Akkouche. Je suis désolé mais, de son vivant, ma mère ne parlait ni ne comprenait rien d’autre que le kabyle !
Que je sache, Okba Ibn Nafâa et ses cavaliers n’ont pas conquis l’Afrique du Nord avec des fleurs, et depuis 1962, nos gouvernants sont loin de nous diriger en bonne intelligence et respect du citoyen. Pour preuve, les centaines de prisonniers d’opinion et les milliers d’autres sous le coup de poursuites judiciaires et autres interdictions dont la fameuse ISTN qui empêche de nombreux citoyens de se rendre dans leur terre natale.
De mon point de vue, au risque de faire bondir nos khawa arabophones, seule une approche fédérale est seule à même de sauver l’Algérie et initier des interactions apaisées entre les différentes confédérations. Des confédérations qui restent à délimiter pour que puissent être sauvées nos langues, nos us et nos coutumes héritées de nos aïeuls.
Des langues, des us et des coutumes qui représentent autant de richesses que le pays serait bien avisé de protéger et de faire épanouir au lieu de les combattre aveuglément !
Bientôt, non seulement on exigera de nous que l’on s’excuse d’être ce que nous sommes mais se dire Kabyle sera considéré comme une offense au reste du pays ! C’est déjà le cas d’ailleurs !
Que les termes soient clairs : cette chronique n’a pas pour objectif de rajouter de l’huile sur le feu d’un sujet sensible comme celui de l’autonomie régionale et de ses implications politiques et sociales, mais d’initier un débat serein entre les pour et les contre. La question se pose et se posera inévitablement avec acuité dans un futur proche si on n’y réfléchit pas dès maintenant. Mais est-ce qu’on sait réfléchir en haut lieu, là où l’on dégaine à tout toutes sortes de tares pour pointer du doigt le Kabyle et la Kabylie ?
Quand on se dit Breton, personne ne s’offusque pour l’accuser de séparatisme. Idem quand on se dit Oranais, Constantinois, Algérois ou Chaoui. Alors, pourquoi ce lever de Boucliers quand on affirme sa kabylité ?
« Il est long, il est loin ton chemin papa, c’est vraiment fatiguant où tu vas ! »
Pour revenir sur le titre du dossier, certains rappels sont utiles : sous l’influence du pouvoir d’Alger, la France n’a jamais aidé les Kabyles à se maintenir debout ! Bien au contraire. Relisez l’histoire, la Kabylie a tenu tête au colonialisme français dès l’été 1830.
Son alignement sur les phobies d’Alger est, pour le moins, abject. A-t-on tapé du poing sur la table pour exiger des comptes sur les nombreuses victimes des Printemps noirs de 1980 et 2001 ? Rappelons-nous, peu de voix se sont élevées quand des gendarmes abattaient des jeunes manifestants kabyles désarmés. Décidément !
Le pouvoir français a toujours été conciliant avec celui d’Alger quand il s’agit de la question Kabyle. Il est grand temps que cela change si le but est de construire des liens dénudés de toute hypocrisie.
Kacem Madani