Un conseiller à la Présidence de la République algérienne, chargée des questions mémorielles, avait soutenu en mai 2023, à l’Assemblée populaire nationale (APN), que l’armée coloniale française avait, peu avant l’indépendance, condamné à mort une cigogne pour avoir déchiré un drapeau français, dans une caserne, à la périphérie d’Alger. La Cigogne, ayant perdu une patte, après qu’un soldat lui ait tiré dessus, aurait miraculeusement survécu. L’histoire avait suscité moqueries et railleries chez les Algériens. D’où cette fiction…
Acte I
Ce matin, le Palais connaît un mouvement inhabituel. Les conseillers gracieusement rémunérés à conforter le Raïs dans ses certitudes, les courtisans admis pour le seul plaisir de lui tenir compagnie, et les colporteurs engagés pour rapporter les papotages des réseaux sociaux, s’agitent en tous sens.
Quelque chose flotte dans l’air. Les invités inaccoutumés au vacarme de la Cour sont intrigués. La rumeur dit que le nouveau locataire des lieux, fait rare, a rejoint son bureau aux premières heures de la matinée. Il y est resté enfermé avec trois de ses proches collaborateurs.
Quelques indiscrets serviteurs, traînant dans les couloirs et écoutant derrière les portes, assurent avoir entendu un vacarme pas ordinaire. L’affaire serait trop sérieuse. Tout le monde est en alerte et les chancelleries ne manquent pas d’actionner leurs khabardjis (1).
La nouvelle ne tarde pas à gagner la basse-ville. La population va, chaque illustre analyste de son côté, faire étalage de sa grande science sur ce qui se tramerait derrière les murs de la forteresse.
Dans les rédactions, les journalistes sont à l’affût. Les débats font rage. Voici un grand reporter des buffets sucrés-salés des salons d’Alger. Le pique-assiette jure par toutes ses sources que le pays sonne le glas de la guerre aux frontières. Un chasseur de scoops sur le bazar des réseaux sociaux assure que des coups de feu ont été entendus pas loin du Palais. Les Forces spéciales seraient dépêchées pour boucler le périmètre. Un autre rédacteur, un habitué de la vente aux enchères de réunions hautement secrètes, mais jamais tenues que dans son imaginaire, affirme que des décisions de la plus grande importance seront incessamment annoncées.
Les chaînes TV offshore finissent par se faire l’écho de la rumeur. Elles alertent le public sur une grande nouvelle à guetter dans le JT officiel de 20h.
Pour une fois, la rumeur dit vrai. Ouvriers et désœuvrés courent vers leurs demeures. Une circulation monstre paralyse les routes. Mais peu avant 20h, pas une mouche ne glande dans l’air.
A l’ouverture du JT, le pays entier retient son souffle : « Dans le cadre du travail de mémoire mené par les deux pays, et se voulant un geste d’apaisement, la France a restitué à l’Algérie petit Belaredj, petit-fils du condamné à mort Belaredj ».
Trois journées chômées payées sont décrétées.
A suivre…
Zohra Droul
(1) Rapporteurs, espions ou indicateurs à la solde de pays étrangers.
* Belaradj signifie une cigogne en algérien et le particule Si est aux dignitaires algériens ce qu’est le particule De à la noblesse française. Traduction littérale : De La Cigogne.
Contact de l’autrice : droulzohra@gmail.com
Un grand merci @ Zohra Droul pour la chute et le fou rire. Cela fait du bien en cette soirée d’automne.