C’est bientôt l’Aïd El Adha et le mouton est inaccessible. Une campagne de boycott prend de l’ampleur sur les réseaux sociaux. Un groupe se distingue et intrigue son monde, en lançant un slogan inhabituel : « Pour votre santé, mangez de la viande blanche ! ».
Quelle horreur ! La fratrie Belaredj est scandalisée. Les dirigeants du palais y voient un complot. Une commission d’enquête mixte est illico composée et des agents sont envoyés à l’étranger pour pister de possibles sources de financements occultes.
Les poulaillers sont passés au peigne fin. Le ministère de l’Agriculture est chargé de dresser une cartographie nationale des nids de Belaredj. Le parlement se réunit et un projet de loi portant classification des Belaredj comme une espèce protégée est à l’étude.
Les descentes de contrôle dans les restaurants n’ont jamais été aussi promptes et soutenues. Les rôtissoires sont démontés, des échantillons sont prélevés et envoyés aux laboratoires. Les arrières boutiques sont fouillées et les factures sont scrutées à la loupe.
Les médias acquis, qui maintenant savent comment donner du sens aux actions du Palais, sans qu’ils n’en reçoivent forcément la formule, parlent, dans un premier temps, d’une campagne nationale de protection du consommateur.
Mais l’histoire évolue vite et les chaînes TV offshore croient savoir, de sources plus crédibles tu meurs, que de grosses quantités de viandes blanches empoisonnées ont été introduites dans le marché, par des parties malintentionnées, pour attenter à la santé publique. En attendant l’aboutissement de l’enquête et le retour des commissions rogatoires, les citoyens sont sommés de consommer de la viande rouge. C’est un ordre.
Le prix du mouton grimpe encore une fois et le Palais est accusé sur les réseaux sociaux d’encourager la spéculation. un hashtag est lancé : #BandeDeMaquignons ! Les accusations sont jugées graves et des magistrats sont réveillés la nuit pour inventer une qualification juridique. Au matin, une ligne ajoutée au crayon sur le code pénal est approuvée : atteinte au moral de Si Belaredj.
Les adresses IP repérées, les arrestations s’enchaînent. La rafle touche même des passants dans la rue, comme ce jeune homme portant un t-shirt sur lequel est imprimé un dessin d’oiseau. « Takoul El Djadj ! », lui lance un agent, au moment de l’embarquer dans le fourgon policier.
Un communiqué du Palais annonce la tenue d’un conseil de sécurité et la télévision officielle promet de grandes révélations. Cette fois-ci, le public ne nourrit pas de grandes illusions. Indifférent et lassé, il apprend qu’un groupe écolo a été démonté et placé sous mandat de dépôt, après avoir tenté de nuire aux traditions ancestrales du pays. Les valeurs nationales veulent, en effet, que le citoyen consomme de la viande rouge, de préférence El Ghanmi (de l’agneau), rappelle la télévision publique. Un arrêté présidentiel désigne désormais la tendance volaille comme du « terrorisme vert ». Des mangeurs de volaille en fuite à l’étranger sont activement recherchés. A suivre…
Zohra Droul
Contact de l’autrice : droulzohra@gmail.com