Jeudi 11 juin 2020
Financement de la presse : balayer devant l’Anep et les marchés publics !
Crevons l’abcès de la rente ! Par-delà les graves dérives qui ont grevé la distribution de la publicité de l’Agence nationale d’édition et de publicité (Anep) aux journaux, je suis d’avis à ce qu’on ferme définitivement ce robinet, instrument de « guidance » des allégeances politiques.
Ce que je veux dire est, en premier lieu, inhérent à un autre secteur: la gestion des marchés publics, qui donnent naissance à la publicité étatique. Il est temps de moderniser et de numériser la gestion de ce segment de la communication légale. L’objectif est d’abord de rationaliser la dépense publique en ces moments de dèche budgétaire. Nous avons assisté à des procédures où l’inflation de la pub. relatives à certains marchés le dispute à la médiocrité, à la bureaucratie et aux manœuvres douteuses des maîtres d’ouvrage.
Résultats des courses : plusieurs avis d’infructuosité (parfois injustifiés dans le cadre même de la réglementation et parce que le cahier de charges est biaisé dans son élaboration et boiteux dans sa conception); des avis d’attribution parfois annulés ou corrigés; relance de la procédure d’appel d’offres, mises en demeure publiées dans la presse, parfois non suivies d’effet, donc appelées à être adressées encore une nouvelle fois à l’opérateur économique et republiées dans la presse.
Des projets de modeste dimension dans une bourgade rurale arrivent à consommer des centaines de milliers de dinars en publicité, dont une partie est injustifiée. Ne parlons pas des mégaprojets d’autoroute, d’aéroports, de tramway, de métro, de construction de barrages,….etc. Cela fait un budget propre à nourrir tout un pays, mais qui finit dans l’escarcelle de quelques nababs de la presse.
Aujourd’hui, il faudra innover dans la manière de canaliser la publicité légale relative à la commande publique. Mais, la première exigence est de réviser radicalement la pertinence de cette publicité, de revoir son expression et de l’adapter à la nouvelle réalité communicationnelle dans notre pays afin de rationaliser les dépenses y afférentes.
En d’autres termes, faire la publicité de la commande publique (travaux, études ou fournitures) peut prendre un autre chemin, plus pertinent et bénéficiant de plus d’audience que les actuels supports papiers. Ce chemin ne peut être que celui de la diffusion numérique en créant des portails, des plate-forme, des sites auxquels devraient s’abonner les entrepreneurs ou les fournisseurs intéressés par les soumissions. Une ébauche d’une telle alternative a été déjà initiée depuis plusieurs années, mais elle demeure méconnue du grand public. Il y a lieu de signaler que même en éditant sur support papier (journal) la pub relative à un projet quelconque, les candidats soumissionnaires l’apprennent généralement par un autre canal, celui du bouche-à-oreille dont sont devenues championnes nos administrations par l’intermédiaire de certains de leurs agents.
En tout état de cause, il est temps de mettre fin à la saignée, en revoyant aussi, par le truchement de la révision du Code des marchés publics, la nature, le nombre, le volume, la cadence et la pertinence des encarts publicitaires.
J’en arrive maintenant à ces « réceptacles » de la pub Anep que sont les journaux, dont certains sont bien lotis et d’autres moyennement dotés, au moment même où d’autres titres sont totalement boudés par cette manne issue de la rente pétrolière. Nous savons qu’un journal ne peut pas fonctionner sans publicité. Je propose que la publicité étatique, une fois révisé le Code des marchés publics censé revoir la communication y afférente, soit remplacée par des aides publiques à la presse (presse papier, électronique, radios et TV), votées par le Parlement. Reste à définir les critères permettant de fixer les seuils de l’aide en question : audience de l’organe (mesurée sur des bases objectives et vérifiables), effort de formation continue en direction des journalistes, respect d’un cahier de charges inhérent à l’assurance d’un certain niveau de service public par les organes candidats à l’aide,…etc. Les professionnels des médias et les pouvoirs publics doivent examiner dans le détail les étapes à franchir pour sortir de cette aliénante dépendance par rapport à la publicité étatique.
Bien entendu, on ne peut pas omettre la publicité privée, laquelle a subi aussi des coupes réglées suite à la crise financière que vit le pays depuis 2015, et suite aussi aux grosses difficultés ou carrément l’arrêt de certaines entreprises dont les patrons se retrouvent en prison pour des affaires de corruption. L’effort des pouvoirs publics dans ce chapitre consistera à établir la traçabilité des transactions (de la commande à la facturation) pour assurer une fiscalisation normalisée de l’activité. Mais, naturellement, la relance du flux des annonceurs privés dépendra intimement de la relance de l’investissement, lequel se trouve aujourd’hui au bivouac des incertitudes. Dans ce contexte, le climat des investissements doit subir un changement radical censé le soustraire à la bureaucratie et à la médiocrité de l’administration, et censé également faire cesser les chantages par la corruption.
Donc, comme on le voit, la problématique de la publicité étatique ne doit pas être confinée dans cette équation irrésolue que l’on nous présente toujours figée, où l’on se lamente de l’iniquité, voire de la discrimination qui caractérise sa distribution. Ces tares et ces dérives existent. Mais la solution ne consiste pas à se rattraper par la consécration d’une «générosité» égalitaire, qui maintiendrait la mentalité rentière, mais elle consiste à assainir et révolutionner deux secteurs en même temps, car rattachés par des liens historiques aujourd’hui parvenus à leurs limites objectives : le secteur des marchés publics et celui de la presse.