Cet article fait suite aux trois précédents portant sur la question foncière agricole et son impact sur la paysannerie en Algérie.
Elle décrit par quel processus légal le paysan algérien est encore une fois spolié de ses terres. La première fois, ce fût par la colonisation et la seconde fois par l’indépendance. Doublement spolié, ce paysan broyé et dénudé de son statut d’être social et économique a fini par devenir un être informe juste bon à trimbaler une citerne d’eau rouillée, non pour abreuver les animaux mais pour étancher la soif de ses enfants qui grandissent ou qui croupissent (c’est pareil) à l’ombre des zones d’ombre. Et quand ce n’est pas une citerne d’eau c’est, une bouteille de butane pour se chauffer l’hiver. .
Quelles sont les décisions, textes et lois successives qui ont été conçus et progressivement mis en exécution à partir des années 80 pour exclure les paysans de l’acte agricole et les empêcher de vivre de la seule chose qu’ils savent faire : l’agriculture. Ce qui suit, évoque des évènements et une série de textes administratifs ou législatifs dont la lecture, il est vrai n’est pas toujours plaisante pour le lecteur non averti.
Pour contourner cette difficulté, il ne sera présenté ci-après que l’intitulé de l’évènement ou des textes en question, avec un bref résumé du contenu de chacun pour en faciliter la compréhension. Ce qui est surtout important de saisir, est leur caractère évolutif vers la création de conditions légales du transfert de la terre, jusqu’alors entre les mains des paysans (terres des domaines autogérés, des coopératives et des petites exploitations familiales) vers celles de propriétaires, en général citadins et non impliqués directement dans l’acte agricole tel que nous l’avions définis dans un article précédent. Voici la liste non exhaustive des textes successifs en question.
L’instruction présidentielle n°14 du 17 mars 1981. Elle dissout le mouvement coopératif institué dans le cadre de la Révolution Agraire et reconfigure le nombre et les superficies des 2000 domaines autogérés existants en leur annexant les terres et les coopérateurs des 6000 coopératives de la Révolution Agraire ou ce qui en restait. Le nombre des domaines autogérés est porté à 3 400 unités.
La troisième session du comité central du FLN de décembre 1981. Elle exprime le consensus de maintenir la propriété publique des terres (ils sont trop malins pour lâcher le morceau), tout en abandonnant la Révolution agraire.
Loi 83-18 du 13 août 1983 relative à l’accession à la propriété foncière agricole. Les dispositions de cette loi libèrent les transactions foncières sur les terres de statut privé, suspendues depuis la mise en œuvre de la révolution agraire et autorise la cession des terres publiques sur la base du droit musulman qui énonce que celui qui met une terre en valeur par ses propres fonds se l’approprie. Sur la base de cette loi est amorcée l’agriculture saharienne, avec au bout du bâton : la carotte de l’appropriation de la terre. Mais cette loi avait un objectif stratégique qui allait au-delà de l’agriculture saharienne. C’était celui de faire sauter le verrou psychologique de l’appropriation privé de la terre sur des grandes surfaces. Faire renaître en quelque sorte le rêve de la grande ferme privé coloniale qui a fait le prestige des Borgeaud, des Dollfus et celle des Bachaghas.
Loi 87-19 du 8 décembre 1987 déterminant le mode d’exploitation des terres agricoles du domaine national et fixant les droits et obligation des producteurs. En résonnance à la loi 83-18 relative au verrou psychologique de l’appropriation privé de la terre sur des grandes surfaces, celle-là conduit au démantèlement des 3400 domaines autogérés produit par l’application de l’instruction présidentielle n°14 du 17 mars 1981, sur une surface agricole de 2 300 000 ha environ. Celle-ci fut distribuée de manière chaotique à 22 206 bénéficiaires individuelles sous la désignation d’exploitations agricoles individuelles (EAI) et 29 556 attributions collectives sous la désignation d’exploitations agricoles collectives (EAC) dont 165 fermes pilotes. Rappelons que les 3400 domaines contenaient les terres agricoles des coopératives qui « s’évaporèrent » ainsi avec ce démantèlement des domaines autogérés. (Source des chiffres : Omar Bessaoud)
Loi 90-25 du 18 novembre 1990 portant orientation foncière. Cette loi restitue les terres nationalisées dans le cadre de la Révolution Agraire à leurs anciens propriétaires. L’acte agricole se définit maintenant en terme technique seulement par l’article 33 qui énonce : « Nonobstant la catégorie juridique d’appartenance du fonds foncier, toute activité, toute technique et toute réalisation doivent concourir à l’élévation du potentiel productif des exploitations agricoles ». Par cet artifice sémantique, celui-ci est déconnecté de son contexte social et historique.
Cette « technicisation » évite de remuer le couteau dans la plaie pour ne pas réveiller la conscience paysanne. Le Président Tebboune l’a rappelé lors du conseil des ministres tenus le 18 février 2024. Il a « … ordonné de s’éloigner, complètement, de toute politisation du secteur de l’agriculture et de l’intégrer davantage dans le technique … ».
Outre les terres nationalisées dans le cadre de la révolution agraire, cette loi va également restituer les terres saisies aux « collabos » avec l’ennemie lors de la guerre de libération. « Le champ de la loi organisant le processus de restitution des terres sera étendu en 1995 aux terres ayant fait l’objet de mesures de protection de l’État, autrement dit, aux terres appartenant à des propriétaires dont le comportement avait été jugé « indigne » pendant la lutte de libération nationale » (Omar Bessaoud, 2023)
Décret 96-63 du 27 janvier 1996 définissant les activités agricoles et fixant les conditions et les modalités de reconnaissance de la qualité d’agriculteur. Ce décret définit à l’article 7, le statut de l’agriculteur « post révolution agraire », si on peut dire. Il énonce : « au sens du présent décret, est considéré comme agriculteur toute personne physique qui exerce à titre continue et habituelle des activités agricoles telles que définies ci-dessus et qui remplit les conditions suivantes :
- Être propriétaire de terre ou d’un élevage assurant lui-même et sous sa responsabilité la direction, le contrôle et la surveillance des tâches de gestion
- Être titulaire d’un contrat de location ou de jouissance passé avec un propriétaire, que la location ou la jouissance soit stipulée en espèces ou en nature.
- Toutefois le propriétaire peut déléguer la gestion à une tierce personne en qualité de gérant placé sous son autorité et sous sa responsabilité.
Analysons cet article
D’emblée, Il faut reconnaitre à ce législateur, une habileté incroyable. Il a réussi à mettre dans un seul article l’ensemble des opérateurs agricoles que nous avons définis dans nos articles précédents.
A savoir :
- les agriculteurs propriétaires de la terre (1er alinéa)
- les propriétaires de la terre non agriculteur (3ème alinéa)
- les agriculteurs sans terre, locataire (2ème alinéa)
- Les éleveurs propriétaires du troupeau (1er alinéa)
- Les propriétaires de troupeau non éleveurs (1er alinéa)
Autrement dit, il inclut dans la même catégorie et met sur le même niveau :
- La petite et moyenne exploitation agricole gérée familialement,
- le gros propriétaire foncier absentéiste et rentier,
- L’hyper grande exploitation de type saharienne qui se mesure en milliers d’hectares,
- le « khammès new-look » qui est en réalité un paysan sans terre qui survit par la « location ou jouissance stipulée en nature » (2ème alinéa)
- le petit éleveur organisé en exploitation familiales nomade ou semi-nomade
- le gros propriétaire de troupeaux qui réside en villes et qui confient leur conduite à un ou plusieurs bergers.
Mais en plus de mélanger dans une même définition, des catégories sociales et économiques aux intérêts divergents, cet article 7 exclut une grande partie des opérateurs également créateurs de la richesse agricole par leur travail mais démunis du moyen de production principal : la terre ou le troupeau. Il s’agit :
- des paysans pauvres ou sans terre, des ouvriers agricoles et des bergers.
- des locataires des terres des EAI ou EAC,
- des maraichers itinérants du genre de ceux d’Aflou et de Rechaïguia,
- des petits oléiculteurs familiaux non professionnels de Kabylie qui assurent une part importante de la production oléicole nationale,
- des nomades des grands parcours sahariens, éleveur de dromadaires …
A titre d’illustration, il donne le titre d’agriculteur à un médecin citadin par le fait que celui-ci est un propriétaire foncier et transforme un commerçant également citadin en agriculteur par le fait d’être propriétaire d’un troupeau conduit par un berger (alinéa 3)
Cet article 7 définit l’agriculteur par son rapport à la propriété de la terre et non par son rapport au travail. Le 3ème alinéa de cet article, réhabilite le propriétaire rentier absentéistes exclus par l’Ordonnance 71-73 du 8 novembre 1971 portant révolution agraire. Il ouvre maintenant la voie au fameux « investisseur », un mystérieux « investisseur agrairien », une nouvelle espèce d’homme qui peut-être dénommée Homo investissor agrairianus en remplacement de l’Homo sapiens paysanus. Une sorte d’espèce mi-homme, mi-bête, mi-urbain, mi-rural, blanchisseur d’un fric « stupéfiant » par son origine et son volume ou mule prête-nom, qui transporte une rente pétrolière détournée.
Mule ou pas, on fait avancer cette espèce par une carotte. Elle est dessinée en forme d’hacienda-mirage dans un Sahara au ciel éternellement bleu, qui s’étire sur un beau sable doré se couvrant d’une blancheur saline immaculée, au fur et à mesure qu’il est arrosé par 55° à l’ombre.
Nous sommes revenus exactement à la situation de l’Algérie coloniale avec l’intelligence et le savoir en moins. Autant l’Ordonnance 71-73 du 8 novembre 1971 portant révolution agraire a clarifié le champ économique et sociologique du monde rural et agricole, pour un progrès possible, autant ce décret 96-63 du 27 janvier 1996 a obscurci ce monde le rendant dorénavant hermétique à tout progrès et ouvert à tous les brigandages : économie souterraine et informelle sans aucune fiscalité sérieuse possible.
Bien que les implications politiques de cette question soit majeur sur notre régression sociale et qu’il reste encore beaucoup à écrire sur ce sujet, nous clôturerons toutefois cette série sur le foncier agricole en Algérie dans notre prochain article. Nous aborderons par la suite, d’autres aspects de notre agriculture à la dérive, et ceux du monde rural et paysan en détresse. (Fin de la troisième partie)
El-Hadi Bouabdallah
Ingénieur agronome à la retraite
L’article montre la grande compétence du pouvoir algérien à décréter, décider du gagne pain de 95% des gens du pays à la place des gens du pays, à saisir les terre, modeler leur exploitation, les fusionner puis les remorceler, pendre des textes en veux tu en voila, …
C’est à se demander juste si, au lieu de louvoyer en ce milieu passif rural algérien, il était possible de rendre les terres aux familles et eux communautés d’avant la période coloniale, voire même d’avant l’occupation turque là où les données et archives sont disponibles.
Sauf que le but n’est probablement pas de réparer l’injustice historique ni que le pays produit sa nourriture ni encore moins qu’une partie des habitants s’exonèrent de la dépendance aux hydrocarbures du Ténéré – donc du pouvoir militaro-islamiste. Avec une paysannerie enracinée dans la terre et l’histoire, l’islamisme est foutu et avec lui les usurpateurs du pouvoir.
D’accord avec vous
Je cite: « … Cet article 7 définit l’agriculteur par son rapport à la propriété de la terre et non par son rapport au travail. Le 3ème alinéa de cet article, réhabilite le propriétaire rentier absentéistes exclus par l’Ordonnance 71-73 du 8 novembre 1971 portant révolution agraire. Il ouvre maintenant la voie au fameux « investisseur », un mystérieux « investisseur agrairien », une nouvelle espèce d’homme qui peut-être dénommée Homo investissor agrairianus en remplacement de l’Homo sapiens paysanus. Une sorte d’espèce mi-homme, mi-bête, mi-urbain, mi-rural, blanchisseur d’un fric « stupéfiant » par son origine et son volume ou mule prête-nom, qui transporte une rente pétrolière détournée. »
Puis, rentre en jeu, l’apauvrissement des agriculteurs moyennant l’importation ou la subvention de produits etrangers avec l’argent de la rente hydrocarbures. Un apauvrissement dont le but est de forcer les proprietaires a la vente de leurs terres. A qui? A des bidules qui ont acces a l’Argent, c.a.d. au Credit. Un Credit produit par la PLANCHE A BILLET, ou la « dette Publique » – mais qui n’a rien de publique sinon son obligation. c.a.d. c’est 45 millions qui sont endette’s pour que certains zigomars deviennent des proprietaires terriens virtuels.
En 2012, les gens etaient etonne’s de decouvrir que Bill Gates n’etait pas un Mogul dans la tech aupres du Fisc Americain, mais UN AGRICULTEUR. Pas seulement pour eviter les taxes, mais beneficier d’Aides/subventions ! Cela dit, le Bill Gates au moins faisait rentrer des sommes astraunomiques de l’etranger. Que je sache le kelboune n’a toujours pas brevete’ sa technique de vidange de la mediteranne’e.