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France-Algérie : un mariage bleu, blanc ou rouge ? 

colonisation

Les relations de la France avec l’Algérie, une histoire d’amour ou la passion d’une liaison d’un couple bien singulier.

L’Algérie est belle et naïve ; la France intelligente et fourbe. L’une est jeune et fougueuse, l’autre vieille et sournoise. L’une est européenne, une blonde aux yeux bleus, dévastée mais toujours pleine de charme ; l’autre est africaine, une brune aux yeux noirs, vierge et chaude.

L’Algérie est cloîtrée dans sa chambre, la France est libre dans ses mouvements. L’une est démocrate, elle choisit l’homme avec qui elle désire partager le lit, l’autre est soumise à l’autorité du père qui lui désigne son mari. Dans le premier cas, c’est un choix individuel qui s’impose à la société ; dans l’autre cas c’est le résultat d’une alliance entre deux familles. Apparemment, deux pays que tout sépare : la race, la religion, la culture. Dans les faits, tout les rapproche : le pétrole, la voiture, le blé. La France est ménopausée, elle a plus d’orgasmes, l’Algérie est féconde, elle fait plus d’enfants. Entre l’Algérie et la France, il y a une mer (e) qui les sépare. Une mer qui au fil des ans s’est transformée en un cimetière à ciel ouvert.

 

Un cimetière qui n’a nul besoin d’être désherbé, les mauvaises herbes ne poussent pas. Ce n’est pas beau à voir. La nature fait bien les choses. L’histoire se répète, les mêmes causes produisant toujours les mêmes effets. « L’histoire est terrible avec les hommes et d’abord elle leur bande les yeux en leur faisant croire que le pire n’est pas pour eux ». La colonisation française a débuté avec le pillage du Trésor d’Alger (La Régence), l’indépendance a commencé avec la disparition des fonds et des bijoux collectés au titre de la Caisse de solidarité nationale sous prétexte de renflouer le trésor public pour finir par la dilapidation et le détournement de mille milliards de revenus pétroliers et gaziers par les gouvernants condamnant leur propre peuple à une pauvreté certaine.

L’ordre colonial français fût une occupation du territoire par « l’épée et la charrue » ; l’ordre étatique algérien serait une appropriation privative du sol et du sous-sol algériens par les «textes et le fusil».

Si la violence exercée par la colonisation était légitimée par la mission « civilisatrice » de la France, la violence légale de l’Etat algérien s’effectue au nom du « développement ». L’enjeu des pouvoirs colonial et postcolonial n’est en vérité que la soumission de l’homme à l’ordre établi c’est-à-dire l’acceptation de son statut de sujet par le « bâton » (la répression) et/ou la « carotte » (la corruption). Les dirigeants, dans leurs délires, se déclarant être « l’incarnation du peuple » ; considèrent l’Algérie décolonisée comme un « butin de guerre » à se partager et la population comme un troupeau de moutons à qui on a confié la garde.

Tantôt, le berger les amène à l’abattoir, tantôt aux pâturages selon les circonstances du moment et les vœux du propriétaire. Déçu par tant de forfaitures et de trahisons, le peuple a tourné le dos aux élites et a décidé de prendre en charge lui-même son destin en mains. Il se méfie de tout, de tous. il a placé sa confiance en Allah sans passer par des intermédiaires, Allah  suffit comme protecteur. Hier « un seul héros le peuple », aujourd’hui « un seul sauveur le peuple ». N’en déplaise à certains nostalgiques d’un passé révolu immédiat et lointain. 

Que la France de Mitterrand sache que le peuple algérien relève le défi pacifiquement en combattant la dictature les mains nues et le sourire aux lèvres. Hommes, femmes et enfants battent le pavé réclamant l’indépendance qui leur a été confisquée en 1962. Il a mis fin à vingt ans d’humiliation et de despotisme sans verser une goutte de sang et sans casser une seule lampe. 

Les années 90 sont présentes dans nos mémoires respectives des deux côtés de la méditerranée. Le peuple algérien n’est pas un peuple guerrier, il n’a envahi aucun territoire, la violence n’est pas inscrite dans ses gênes, c’est un virus que la France coloniale a injecté sur son corps innocent. La syphilis de triste mémoire. La société autochtone était saine, instruite et pieuse avant l’arrivée des troupes françaises porteuse des gènes de la violence. Qui ignore la guerre de «Cent ans ». Certainement pas la France et encore moins l’Angleterre. 

Le peuple algérien est un peuple rebelle mais fier. Ce qui le caractérise à présent, c’est sa patience, son pacifisme, sa résilience. La France n’est pas venue en Algérie pour la civiliser mais bien pour la militariser et en faire une armée de supplétifs prête à combattre à ses côtés le nazisme, le communisme, le terrorisme. Pour y parvenir, la France a pénétré l’intimité de la société algérienne afin d’en faire un levier puissant de domination et de dépendance. 

La France a perdu la guerre par l’épée, elle l’a gagnée par l’esprit. Coloniser un pays c’est conquérir son territoire par la force, posséder son corps par la prostitution, occuper son esprit par l’école. 

La domination des terres s’accompagne de la domination des corps. Il s’agit de s’approprier les corps et les âmes. La colonisation est une histoire de fantasmes : le harem des sultans arabes, la poitrine nue de la sénégalaise, le pénis surdimensionné de l’homme noir. Posséder le corps de l’autre c’est nourrir son propre narcissisme.

Ressembler à l’homme blanc c’est accepter de se mettre sous sa domination. Le colonialisme a atteint ses objectifs. Il a fait de nous des êtres égarés. On rêve de l’ailleurs. 

1830, les Français débarquèrent en Algérie pour l’occuper. 2030, les Algériens embarquèrent pour la retrouver. L’histoire est pleine de surprises. Hier envahisseurs, aujourd’hui envahis, les pays dits « d’accueil » ont essayé toutes les politiques que ce soit de cohabitation, d’assimilation ou d’intégration, aucune n’a réussi. Alors, ils se retournent vers les Etats post coloniaux pour leur ordonner de constituer une « ceinture de sécurité » de l’Europe menacée par un flux migratoire incontrôlé. Une émigration encouragée par une répression aveugle des autorités et l’absence de perspectives pour une jeunesse désœuvrée.

Le mouvement migratoire des peuples  est un phénomène marquant de ce XXIème siècle. C’est une revanche de l’histoire des africains dépouillés injustement de leurs richesses naturelles par l’occident triomphant en perte de vitesse vivant de son passé « glorieux », d’un présent tumultueux et pour un avenir incertain. 

Des populations à la recherche d’une liberté illusoire et d’un bonheur hypothétique fuyant les interdits de la religion, de la politique et de la pauvreté. Mais, une fois en contact avec la dure réalité de la société d’accueil et des valeurs qui la sous-tendent, ils deviennent nostalgiques en se chuchotant à l’oreille (pour que les compatriotes restés au bled ne les entendent pas) : « loin de toi je languis, près de toi je meurs ». 

La France est incrustée dans notre cerveau sclérosé, l’Algérie est vivante dans leur mémoire agitée. Au débarquement des troupes françaises, les premières à s’habiller à la française sont des prostituées algériennes. Elles seront les premières indigènes à être infectées de la maladie de la syphilis transmise par les soldats français. 

Ironie de l’histoire, des familles entières envoûtées par l’image se jettent à corps perdus dans la méditerranée en brûlant au passage leur « nationalité algérienne » pour rejoindre la France que leurs parents ont combattue. Les martyrs n’ont qu’à se retourner dans leurs tombes. Nous sommes en gare depuis 1962. Nous sommes dans l’attente du prochain train qui ne viendra pas. Il n’y a plus de voies ferrées ni de nouvelles gares.

Entre-temps, la locomotive rouille au soleil et les wagons-lits se transforment en bassecour. « Le poulailler reste un palais doré pour le coq malgré la puanteur des lieux ».

Dr A. Boumezrag

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