Journaliste, animateur de télévision depuis des années, Eric Zemmour est connu dans les médias comme l’homme de l’outrance, d’un certain ordre et dont les attaques ciblent principalement les réfugiés, les immigrés et les étrangers présent sur le territoire français.
Ses attaques se focalisent particulièrement sur les populations d’origine musulmane d’Afrique du Nord en entretenant volontairement la confusion musulmans – islamistes – terroristes. Il veut mobiliser la France chrétienne pour s’opposer à la nouvelle invasion responsable du « grand remplacement » (1) qui menacerait, selon lui, la France.
Eric Zemmour est passé maître dans l’art de la manipulation de l’histoire, les approximations, les interprétations tendancieuses des ouvrages savants, pour mobiliser l’opinion contre cette menace du « grand remplacement ».
Eric Zemmour est-il pour autant militant d’extrême droite ? On peut en douter.
Sa candidature à l’élection présidentielle, sur le terrain de l’extrême droite, en compétition avec Marine Le Pen, la candidate du Rassemblement National (ex-Front National de Jean Marie Le Pen), permet quelques observations :
Eric Zemmour sait qu’il n’a aucune chance d’être élu. Le barrage républicain est toujours mobilisable à tout moment pour éviter à la France une dérive extrême-droitière. Mais l’élection présidentielle n’est pas son objectif. Il cherche avant tout à casser cette extrême droite (RN et autres groupuscules) antisémite.
Pour rafraîchir les esprits, l’extrême droite française n’a jamais rompu avec l’antisémitisme depuis des siècles. Eric Zemmour est un ancien juif d’Algérie naturalisé français grâce au décret Crémieux de 1870 (2). Il sait aussi que l’extrême droite a toujours condamné ce décret. Elle a eu une chance de prendre le pouvoir avec Pétain en 1940, elle a commencé par abroger ce décret (3) et renvoyé les Juifs d’Algérie à leur condition ‘’d’indigènes israélites’’.
Le programme d’Eric Zemmour serait donc de casser cette extrême-droite pour en extirper cet antisémitisme viscéral. Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, Eric Zemmour s’est décidé à aller au charbon.
Mais Eric Zemmour, grand champion du diagnostic catastrophiste sur les dangers réels qui menacent la France (islamisme, violence, drogue, marginalisation de quartiers des grandes villes, etc.), se trompe totalement quant aux solutions à y apporter.
Son objectif, sur ce terrain de l’extrême droite, est de substituer l’antisémitisme par l’anti-musulman (en maintenant volontairement la confusion : ‘’on est musulman, donc on est islamiste, terroriste…’’).
Dans cette stratégie du non-dit, il y a une certaine adhésion de la bourgeoisie traditionnelle de la droite extrême capitaliste, qui a mauvaise conscience, pour construire un mouvement débarrassé de l’antisémitisme et du lepénisme.
La mobilisation à ses côtés de grands patrons de la finance et de l’industrie n’a pas d’autre signification.
Plutôt que de militer pour une société française égalitaire, respectueuse des différences de ses citoyens, Zemmour n’apporte aucune solution viable à la France ; il produit un nouveau bouc-émissaire (les réfugiés et les musulmans) pour y concentrer toutes les rancœurs et différer ainsi l’application de solutions qui permettrait d’apaiser la société.
La création récente d’un parti politique, ‘’Reconquête’’, dans lequel le slogan est « Français ! Je veux de l’enthousiasme, je veux des chants, je veux de la joie, je veux de la fierté, soyez forts, soyez joyaux, soyez heureux ! », est révélateur de la stratégie d’infantilisation et de manipulation programmée.
Zemmour dit tout, sauf le plus important : il n’oublie pas d’où il vient ; il se dit berbère pour amuser la galerie, mais il n’oublie pas l’abrogation du décret Crémieux.
Cependant, il ne rend pas service à la communauté juive de France respectueuse des valeurs républicaines, et ne fait pas avancer la lutte pour les droits humains en France.
Hélas, dans tout pays, la politique nationale est une chose trop sérieuse pour la confier à un polémiste d’émissions de TV ou de radios, aussi talentueux soit-il. La prise du Capitole aux USA n’était pas un film de fiction…
A. Oukaci
Notes :
1) La « théorie du grand remplacement » est popularisée à partir de 2011 par l’écrivain d’extrême droite Renaud Camus, condamné en 2014 pour « provocation à la haine et à la violence contre un groupe de personnes en raison de leur religion », ce concept pointe un processus, qui serait à l’œuvre, de substitution des Français d’ascendance par une population étrangère venue principalement d’Afrique subsaharienne et d’Afrique du Nord.
2) Le décret Crémieux du 24 octobre 1870 (du nom d’Adolphe Crémieux, alors ministre de la justice) est le décret qui attribue d’office la citoyenneté française aux « Israélites indigènes » d’Algérie, c’est-à-dire aux 35 000 « juifs ».
3) Ce décret Crémieux avait été abrogé en Algérie par le régime de Vichy, dès octobre 1940. Tous les fonctionnaires juifs avaient été licenciés, les élèves juifs renvoyés des écoles, les soldats juifs démobilisés et parqués dans un centre de détention à côté de Sidi Bel Abbes. Voir pour cela l’ouvrage de Jacques Attali, L’année des dupes – Alger 1943, édition Pluriel ; et aussi le film diffusé par la chaîne TV Arte, en janvier 2022.