La comparution du policier soupçonné de violence grave envers le jeune Hedi est imminente. L’émoi de la population, en même temps que celui des policiers envers leur collègue mis en détention provisoire, n’a pas faibli.
L’interview d’Hedi sur BFM a remis les sentiments de chaque partie en grande tension. Cet article a pour objectif de revenir sur l’affaire, non pas sur les faits déjà abondamment relatés dans la presse mais pour exposer le débat juridique sur la demande des policiers d’un état d’exception.
La demande de la famille autant que celle des manifestants qui expriment leur solidarité avec le jeune Hedi sont clairs dans leur objectif. Ils souhaitent une lourde peine pour les quatre policiers incriminés et surtout pour le policier mis en détention provisoire pour être soupçonné d’avoir été l’auteur des coups violents.
Les policiers sont dans une manifestation de grogne qui a atteint de très nombreux commissariats en France. Leur colère a pour raison que leur collègue a été mis en détention provisoire alors que la justice ne l’a pas encore auditionné et que la présomption d’innocence doit être accordée. Comme ils n’ont pas le droit de grève, ils utilisent des moyens détournés pour n’assumer que les opérations d’urgence.
Quel est le fond de la question juridique posée par les policiers ? Revenons tout d’abord sur l’acte de mise en détention provisoire, élément déclencheur de la revendication.
La mise en détention provisoire comme déclencheur
Comme il normal dans une telle affaire, une information judiciaire a été demandée par le parquet à la suite de laquelle huit fonctionnaires de police ont été placés en garde à vue. Au final, quatre ont fait l’objet d’une mise en examen pour « violences en réunion par personne dépositaire de l’autorité publique avec usage ou menace d’une arme ayant entraîné une ITT supérieure à 8 jours » et l’un d’eux en détention provisoire.
Le parquet avait demandé la mise en détention provisoire pour les quatre policiers mais le juge des libertés n’a confirmé qu’une seule, le policier soupçonné d’avoir été l’auteur du tir de LBD et a décidé la mise en contrôle judiciaire pour les trois autres.
C’est cette mise en détention provisoire qui cause le départ de la colère des policiers comme nous l’avions précisé dans le préambule.
Le sentiment d’injustice vécu par les policiers
La manifestation nationale de la grogne des policiers a fait réagir le secrétaire général du syndicat des commissaires « Que ce policier doive répondre devant la justice pour des faits pour lesquels il est soupçonné, c’est une évidence, personne n’est au-dessus des lois. Mais qu’il doive être traité comme un simple voyou alors que les faits qu’on lui reproche ont été commis dans l’exercice de ses fonctions, c’est inacceptable ».
Mais la réaction qui a mis le feu aux poudres est celle de Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale (DGPN) « Le savoir en prison m’empêche de dormir ». Il n’en fallait pas plus pour déclencher la colère généralisée dans tous les commissariats de France.
Si le Président de la république ni le ministre de l’Intérieur n’ont sanctionné le directeur général de la police, le premier s’est néanmoins exprimé par une phrase convenue et générale « Nul n’est au-dessus des lois ». Une déclaration qui a fait empirer le sentiment d’injustice envers les policiers.
Parmi les arguments qui choquent les policiers, tout d’abord la présomption d’innocence qui est un droit fondamental avant la déclaration de culpabilité prononcée par un tribunal.
Surtout par le fait que de nombreux délinquants ne sont pas mis en détention provisoire pour motif que les prisons sont surchargées et qu’il faut attendre leur jugement. La plupart des petites condamnations ne sont d’ailleurs jamais exécutées car inférieures à deux ans. Ce que prévoit la loi pour elles est l’aménagement de la peine par différents moyens comme le bracelet électronique (lorsque les conditions le permettent).
Les policiers ont ainsi le sentiment d’être moins bien traités que les délinquants. Mais le sentiment d’injustice n’est pas le droit. Que dit-il ?
Le débat juridique
Tout part juridiquement du principe affirmé par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, «Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable…». Ce principe est repris par le préambule de la constitution actuelle, celle de la Vème république, norme la plus haute dans la hiérarchie des souces juridiques.
Face à ce socle du droit, le juge peut néanmoins déroger au principe par autorisation de la loi qui, pour ne pas être censurée par le Conseil constitutionnel, a dû encadrer très rigoureusement les cas qui permettent la décision d’incarcération provisoire.
L’article 144 du code de procédure pénale liste sept cas qui permettent la détention provisoire. Dans cette affaire le juge a considéré pour le policier que deux d’entre eux justifiait la détention. Nous les citerons avec le numéro d’ordre tels qu’ils sont énumérés sans l’article 144.
2° Empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ;
3° Empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices ;
Mais les policiers, au vu des arguments qui ont été précisés dans le paragraphe précédent, veulent ouvrir un champ beaucoup plus délicat, soit l’exception juridique. Cette exception consisterait à inscrire dans la loi la non mise en détention provisoire des policiers avant le jugement final.
Et là, nous sommes dans une revendication qui heurte un autre principe fondamental du droit, soit l’égalité des citoyens devant la justice.
Nous le retrouvons encore une fois dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui énonce dans son article 6 que « la loi doit être la même pour tous ». Ainsi, le traitement judiciaire doit être identique pour tous les citoyen(e)s dans la même situation. C’est ce qui a été repris par la Constitution et par le Président de la république avec des mots similaires.
Le code pénal, reprenant les termes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ainsi que la Constitution à propos de l’égalité devant la justice, énonce l’article 225-1 :
« …/… Constitue également une discrimination toute distinction opérée entre les personnes morales sur le fondement de l’origine, du sexe, de la situation de famille, de la grossesse, de l’apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique, apparente ou connue de son auteur, du patronyme, du lieu de résidence, de l’état de santé, de la perte d’autonomie, du handicap, des caractéristiques génétiques, des mœurs, de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre …/… »
Les policiers ne peuvent donc être placés dans une situation juridique qui discriminerait les autres citoyens. L’argument juridique opposé à la revendication des policiers a donc des bases très solides.
Mais à y voir de plus près, le principe d’égalité ne s’applique pas de façon stricte dans tous les domaines. « Des différences de traitements sont admises pour rétablir une égalité insuffisante. Ainsi des dispositifs éducatifs, économiques ou sociaux existent pour « compenser un handicap individuel, social ou géographique » : bourses d’études, exonérations d’impôt, par exemple ». (Le principe d’égalité, Vie publique, 15 octobre 2020).
On peut même citer, d’une manière un peu provocante car extrême, que certains mineurs et les majeurs incapables (au sens juridique) bénéficient d’une exemption de responsabilité. Ce que d’ailleurs dénoncent les policiers avec la disposition de « l’excuse de minorité » que la loi autorise cependant à être levée à partir de 16 ans. Ils constatent que les violences sont de plus en plus le fait de très jeunes mineurs.
Et cela n’est pas tout car le malentendu aigu entre la police et les magistrats est très ancien. Ces derniers ne supportent pas l’ingérence dans le domaine judiciaire garantie par le principe fondamental de la séparation des pouvoirs, déjà théorisée par Montesquieu et reprise dans le droit français, jusqu’au niveau constitutionnel.
C’est ainsi qu’ils ont dénoncé les propos du Directeur général de la police nationale sur le justificatif qu’il enfreignait le principe de séparation des pouvoirs.
En l’état du droit, surtout dans ses fondements les plus établis, je ne vois pas comment cette revendication de l’état d’exception pour les les policiers pourrait avoir satisfaction. Reste les moyens indirects pour que les policiers soient mieux protégés et encadrés afin que de telles affaires n’arrivent plus ou beaucoup moins fréquemment.
Les moyens indirects
Attention, avec ce qui suit le lecteur ne doit absolument pas penser que l’auteur prend la défense du policier incriminé. D’une part je ne suis pas juge et j’attends sa décision. Mon passage à l’université de droit m’interdit qu’il en soit autrement.
D’autre part l’objectif de mon article est orienté vers la question de la demande du statut d’exception, il est hors du champ d’une opinion envers le policier.
Si l’approche par le droit est quasiment impossible, il reste toutes les dispositions qui peuvent supprimer le mal à la racine ou amoindrissent ses effets d’une manière significative. Celles que leur autorité hiérarchique peut activer sans déroger aux lois. Pour cela il faut au préalable énumérer tous les points du problème qui sont à cette racine du mal, du moins pour les principaux.
Ce sont toujours les mêmes, aucune innovation ou originalité de ma part. Tout d’abord les policiers font un travail de plus en plus difficile, jusqu’à risquer leur vie. Les violences urbaines ou individuelles ont atteint un point invraisemblable.
L’autorité des policiers qu’on appelait d’une façon usuelle « la peur du gendarme » ne semble plus exister pour beaucoup de citoyens, jusque pour les très jeunes mineurs.
D’une manière générale, l’autorité légitime est bafouée dans tous les secteurs d’intervention publique ou privée. Tout cela commençant par une perte d’autorité et de responsabilité éducatives des parents. Quant à l’institution scolaire, elle connaît une explosion d’incivilités depuis longtemps sans qu’aucune disposition forte, à la hauteur du problème, n’ait été prise.
Les policiers sont tous les jours confrontés à la violence jusqu’à risquer leur vie. Ils sont souvent insultés, molestés et menacés jusque dans leur entourage familial.
Ils sont épuisés par les horaires monstrueux et la tension permanente après la série d’émeutes et de violences de ces dernières années. Les heures supplémentaires ne sont pas payées pour un grand nombre d’entre elles ainsi que le rappel au service à tout moment, même pendant les jours de repos ou sur le point du départ pour les vacances.
Et aussi, ce qui fonde l’animosité avec les magistrats, ils ont le sentiment d’avoir affaire aux mêmes délinquants qui ne seraient pas suffisamment sanctionnés ou pas du tout. C’est statistiquement faux lorsque l’on examine les peines prononcées. Mais il faut se mettre à leur place lorsqu’ils constatent que ceux pour qui ils ont eu tant de mal à poursuivre, se retrouvent en face d’eux avec un sentiment d’impunité de plus en plus arrogant et violent à leur égard.
Et pourtant, selon un principe tout à fait légitime, ils n’ont pas le droit de grève et sont obligés de trouver des détournements. Quant au niveau de rémunération, même si le problème est identique pour tous les fonctionnaires, il reste scandaleusement bas, même insultant au regard de l’effort, de la tension soutenue et du risque que prennent les policiers.
C’est la raison pour laquelle il faut absolument renforcer les dispositifs qui amoindrissent le malaise général de la police et qu’ils se sentent écoutés, protégés et respectés.
Tout le reste, le rétablissement de l’ordre par la mise en accusation et sanctions sévères envers les parents, le renforcement des lois et des peines pénales, est de l’ordre du politique. Ce que mon article n’a pas abordé car il s’agit d’un autre sujet, tout aussi épineux.
Boumédiene Sid Lakhdar, enseignant retraité