Ce que je m’en vais vous conter n’est ni une mauvaise blague à la Sellal ni une anecdote. C’est un fait avéré et vérifiable qui s’est passé dans un lieu dit, appelé El-Gaâda, quelque part entre El-Bayadh et Mechria, dans le Sud Ouest algérien.
Comment gagner à tous les coups
L’histoire m’a été racontée dans le détail par un ex wali, très concerné par la chose et qui n’est pas Si Ahmed; ce grand amateur de Mardoud et de belotte. De siestes peu crapuleuses aussi. Des petites siestes pauvres en émotions. Une autre histoire.
L’évènement renseigne avec précision sur les techniques de fraudes électorales des tontons Makroute du pouvoir algérien. Ce lieu dit, El-Gaâda, n’est rien d’autre qu’un arbre magique et immense qui a élu domicile depuis des siècles en cet endroit désertique et hostile. Il offrait l’ombre, l’eau et les rencontres entre nomades, transhumants et divers voyageurs. C’est en cet endroit, El-Gaâda, que cet arbre solitaire et somptueux, un superbe arganier, dont les huiles sacrées rendent nos femmes plus belles et plus épanouies, notre couscous meilleur, retenait et, aussi, rassemblait des gens de tous commerces, de toutes les contrées, de tous métiers et de toutes aventures, traversant la région: Eleveurs, bergers, transporteurs, nomades, transhumants, commerçants, voyageurs, tous s’arrêtaient à El-Gaâda pour une petite quête de repos forcé, d’alliances, de ripailles, d’épousailles arrangées, de divorces, d’affaires et d’ententes entre tribus éloignées et souvent rivales. A El-Gaâda, entre El-Bayadh et Mechria peut-être, tout s’arrangeait autour d’un thé expédié, d’une zetla collective, d’une prière rattrapée, d’un méchoui improvisé, d’une alliance négociée, d’une résolution forcée d’un dignitaire FLN peu reconnu en quête de mandat, de sollicitations de courtiers avérés véreux- c’est un pléonasme- pour leurs entrées en contact avec les autorités locales et buccales (banquiers locaux, APC, Daïra, Wilaya, Kasma, et tout le tutti-quanti corruptible et corrupteur du coin et de la capitale) qui règlent les problèmes des indigènes à l’aune de l’épaisseur du sachet en plastic noir.
A El-Gaâda, comme dans tous les autres lieux dits où les Algériens du Bled se rencontrent, pour acheter un troupeau, un camion, une vierge d’une tribu riche et influente, négocier les largesses d’un juge ripou, d’un wali bouffeur et bouffon, ou même tomber sur une chèvre rare et généreuse en lait, il fallait prouver sa crédibilité en montrant l’épaisseur de sa bourse de plastic noir. C’est le seul rite reconnu de la sainte Algérie corrompue par le haut et maintenant par le bas. C’est cela l’assise et la notoriété d’El-Gaâda et de toute les contrées d’Algérie en Souk, en Zouk et en conclaves de maquignons pressés, de nomades rusés et divers négociants en tout, où tout s’achète, où tout se vend, sauf l’honneur des tribus vendant ou achetant souvent, c’est selon, des vierges confinées dans la blancheur de l’ombre, des chèvres en liberté, des ânes faméliques, des chameaux de boucherie, des camions trafiqués et des walis jetables, parfois des ministres vendant par courtiers délégués licences et divers agréments de la république des quatre saisons. C’est la réputation établie d’El-Gaâda, en ce lieu dit, perdu du triangle Aïn Sefra, Mechria, El-Bayadh, comme il en existe bien d’autres sur nos vastes millions de Km2 de notre belle et si peu sérieuse république dévoyée. Devenue par l’usure, l’outrage du temps et l’inculture, le système le plus dépravé de la planète. Les Borgia d’Alger moins les arts, les sciences et la culture.
Normal, les ânes n’apprécient pas la cannelle. Les chardons leur suffisent. Mais là n’est pas mon histoire ; elle ne finit pas ici, au contraire, elle commence en ce terrible bled ; un concentré de toutes les Algérie réelles et profondes. Un résumé à ciel ouvert des hontes et des traits hideux du pouvoir régnant.
En ce jour là, à El-Gaâda,un vendredi, grand jour de marché et de grosses affluences, un événement habituel et cyclique s’y produisit : un gros et violent vent de sable qui dura presque une éternité ; dix minutes de désastres et de désolations. Seuls l’arganier, les chameaux, les ânes, les moutons et les humains en sortiront indemnes et intacts de cette violente tornade des sables. La résilience botanique a sauvé l’arbre. L’instinct, l’endurance et l’expérience ont sauvé les animaux. Et devinez par quoi fut sauvé l’homme, l’humain ? Par le burnous pardi ! Cet habit millénaire des berbères du Sud et de toutes les Algérie, si utile en ce genre de terrible circonstance. Et à la fin du cataclysme désastreux, quand les voyageurs sortirent leurs têtes des capes et du burnous de survie, ils ne virent que ruines et désastres autour d’eux ; un vrai champ de bataille: Echoppes, tentes et mobiliers de fortune disparus, aspirés par la tornade, camions et voitures couchés, bêtes affolés, bergers hurlants encore des noms, des colères et des ordres inconnus, enfin tous les ingrédients de l’apocalypse de la minute d’après. Mais pas seulement. Ils ne virent pas que cela. Ils virent pire ; ils virent le sublime et le fantastique comme l’incroyable. Dans le ciel enfin calmé, ils virent l’impossible, la Mouaâdjiza de tous les temps. Du jamais vu.
En ouvrant leurs burnous, leurs oreilles et leurs yeux, ils entendirent de partout des suppliques et des appels pathétiques de Allahou Akbar ! Allahou Akbar ! Et, en effet, en levant bien haut leurs yeux vers le ciel, bien au dessus de l’arganier, un spectacle féérique et inimaginable s’offrait à eux. Un immense nuage bleu, des milliers de papillons bleus flottaient là haut, très haut au dessus de leurs têtes. Personne ne savait de quoi était faite cette nuée, cet immense nuage mystérieux fait de petites choses volantes bleues qui tremblaient et dansaient dans le ciel. Le miracle dura tout de même quelques longues minutes. Chacun des voyageurs alla de son explication. Des sauterelles bleues venues du Sahel, cria quelqu’un. Non, des extra-terrestres venus voler nos moutons, corrigea un autre ! Mais non, mais non criait un transporteur du nord, plus malin que les autres, c’est tout simplement un mirage qui nous transpose ici le bleu du Chott Ech-Chergui.
Le gros nuage bleu flottait et dansait toujours au dessus de leurs têtes sans que personne ne trouvât d’explication plausible à ce mystère qui avait tout l’air d’être divin. Par peur et par foi, presque tous criaient Allahou Akbar ! Allahou Akbar ! Les bras étirés vers le gros nuage de ces petites choses flottantes. Mais au fur et à mesure que le vent baissait, le nuage se rapprochait de la terre, se rapprochant des hommes délivrant enfin les tout premiers indices, les premiers échantillons de ce mystère. C’était tout simplement de petits papiers bleus, des bulletins de vote, qui se répandaient par vagues successives se déposant aux pieds des voyageurs ébahis, rendant la place plus bleue que le ciel. Tous ces bulletins ou presque étaient au nom de feu Chikh Mahfoudh Nahnah, patron du MSP, lors des élections présidentielles de novembre 1995. Et l’on s’en doute un peu, il n’a pas manqué de plaisantins islamistes sur place pour haranguer les foules et les prendre à témoins sur ces dons du ciel, cette grâce divine qui inonde la terre de bulletins gagnants islamistes.
– Dieu nous aime, dit-il ; nous sommes les meilleurs musulmans d’Algérie. La preuve, Dieu et la grâce divine nous restituent par le ciel ce que le pouvoir nous a volé par les urnes. Il allait poursuivre son exposé sur cette mystique offrande de Dieu aux ouailles du MSP quand une voix rauque d’un vieux routier lui coupa net le sifflet et la parole…
– Depuis quand camarade, Ya sahbi ! Dieu possède-t-il des imprimeries pour fabriquer des bulletins de vote et vous les envoyer en exclusivité par le ciel ? Silence glacial ; l’explication religieuse comme celle du laser divin du 5 juillet ne tenait pas.
Et comme toujours, la vérité et l’explication viendront d’un enfant sans âge. Il pouvait avoir 12 comme 18 ans. Il dit :
– Non tonton, ce n’est pas Dieu qui a envoyé ces papiers du ciel. Moi je suis berger mais tous les vendredis, je deviens cafetier, marchand de beignets et de cigarettes comme de nombreux cousins et amis ici. Je connais bien ce coin. Voyez-vous, cette caisse, c’est une urne comme vous dites vous, eh bien c’est mon outil de travail. C’est là où je stocke ma marchandise et mes beignets… Savez-vous où je l’ai-je trouvée cette caisse de vote ? A cent mètres d’ici, juste derrière ce monticule. C’est là que sont venus des gens costumés, armés, portant des caisses comme la mienne chargées de bulletins de toutes couleurs. Mais leur dernière livraison, c’était hier dans la nuit, ils n’ont vidé que des caisses avec des bulletins bleus. Juste après leur départ, moi et mes amis, on est passé juste après eux pour être les premiers à déterrer ce qu’ils avaient mal enfoui dans le sable. Ça nous sert d’emballage pour les cacahuètes et les beignets. Tenez, je vous offre ce cornet d’amandes. En défroissant l’emballage, vous remarquerez qu’il s’agit d’un bulletin de vote de Saïd Sadi, d’autres de Boukrouh mais le plus gros c’est celui de Nahnah… Explique-nous maintenant petit futé, comment ces bulletins enfouis dans le sable, se sont retrouvés dans le ciel ?
– C’est très simple, après la violente tornade de tout à l’heure, la force du vent a déterré les enfouissements et aspiré tous les bulletins dans le ciel. Ils auraient pu atterrir plus loin…
– Mon grand-père, racontera le gamin, a vécu le même événement lors des élections précédentes. Mais cette fois-ci, il n’y avait que du Chikh Nanah en l’air… Mon grand père raconte aussi, qu’à la même place et sous le même arbre d’El-Gaâda, dans les années quarante, le vent de sable était si puissant et la spirale si violente qu’elle aspira une chèvre entière qui s’est mise à voler toute seule dans les grands airs au grand émerveillement des nomades éblouis. Personne ne croira leur récit. D’où l’expression populaire qui affirme depuis «Maâza law Tarett» C’est une chèvre, même si elle vole.
A propos, savez-vous comment la halte d’El-Gaâda s’appelle aujourd’hui ? Je vous le donne en mille. Gaadett Nahnah. N’y voyez surtout aucun rapport avec les quotas pré-décidés des urnes, l’enfouissement des contenus des urnes et le mauvais travail de faussaires des Tontons Makroute de papy DOK ; le président gouvernant par télécommande et par chuchotements.
Ce ne sont que de simples reflexes ataviques de malgaches stagiaires. De simples coïncidences entre des tripoteurs professionnels d’urnes, des croyances populaires bien ancrées et les échéances électorales annoncées gagnantes à tous les coups. A part 1991, quand le pouvoir a-t-il perdu une seule élection ?
Excès de vitesse
Lors des dernières élections législatives, un scrutateur représentant d’un parti d’opposition, fort connu dans la région, a été désigné par ses collègues pour suivre le cortège des véhicules de gendarmes qui convoyaient les urnes vers le chef lieu de Daïra pour le décompte final des bulletins. Mais le chef de l’escouade des gendarmes ne voulait pas de cet intrus et ordonna à sa colonne de le semer à tout prix. C’est ainsi que le petit vieux colla au convoi jusqu’à atteindre la vitesse de 180 Km/h, lui qui de toute sa vie n’a jamais dépassé les cents. Devant la folle insistance du vieux à rester collé au convoi, le capitaine ordonna à son escouade de s’arrêter et de lui présenter ce fou du volant.
– Hé papy, on n’est pas au 24 heures du Mans ici ! Savez-vous que nous roulons sur une route départementale où la vitesse est limitée à 100 Km/h, alors pour cette fois je vais seulement vous verbalise et vous obliger à immobiliser votre véhicule pendant au moins deux heures ; Adjudant ! Exécution immédiate.
– Mais Hadharate, je suis avec vous et suis membre délégué pour suivre les urnes jusqu’à leur ouverture… Et puis il n’y a aucune plaque de limitation de vitesse sur cette route.
– Ferme-là et casse toi papy ! De désormais jusqu’à dorénavant, les urnes, ici, c’est moi et seulement moi. Quand à la plaque de limitation de vitesse, je te rappelle que mes ordres sont toujours supérieurs à n’importe quelle plaque.
Mais le petit vieux scrutateur ne voulait absolument pas en découdre et se laisser faire. Il recolla au convoi avec la même hargne et la même résolution. Furieux, le capitaine ordonna à la dernière Toyota de l’escorte, l’application immédiate du plan B pour lequel le gendarme chauffeur était bien entraîné. Il consistait à freiner brusquement de façon à provoquer un choc foudroyant avec son poursuivant. Et c’est exactement ce qui arriva. Le petit vieux qui eut tout de même la vie sauve eut à constater la destruction de tout l’avant de son véhicule. Mais, quelques minutes après s’arrêta pour le secourir, un autre poursuivant ; c’était le maire d’une commune du coin qui connaissait bien Si Tayeb dit l’avion (parce qu’il prétend avoir abattu tout seul un avion jaune avec son fusil de chasse) Rapidement ils se mettent en chasse de la colonne de gendarmes escorteurs d’urnes. De loin, ils virent le cortège des véhicules de gendarmes s’engouffrer dans la seule caserne du coin au lieu de se rendre directement à la Daïra. Arrivés devant la caserne fermée, le maire eut la géniale idée de klaxonner et, comme par miracle, la sentinelle les prenant sans doute pour de gros officiers en civil, leur ouvrit grand le portail avec le salut appuyé des gardes en tenue de parade. Et que virent-ils en direct sous leurs regards ébahis ? Ces mêmes gendarmes transporteurs et escorteurs d’urnes exécutant une opération très singulière : Décharger des urnes et en charger d’autres ; exactement les mêmes. Sauf peut-être ou plutôt et sûrement le contenu. Les deux pauvres et naïfs lurons découvraient à leur corps défendant les rudiments et l’abécédaire de la fraude électorale algérienne. Ils écopèrent l’un et l’autre d’une garde à vue de 24 heures, le temps de cuisiner leurs quotas gagnants. L’histoire ne m’a pas été racontée par une femme et qui n’est pas non plus officier de gendarmerie originaire de Djelfa.
La 3ème anecdote électorale concerne un citoyen algérien, qui a voté pour la même élection, dans son village natal, dans la commune de sa première résidence à Alger et dans sa dernière résidence de Dély-Ibrahim. Ce triple électeur a voté trois fois pour une seule et même élection alors qu’il n’a jamais voté depuis 1962 ! Ce mystérieux électeur, c’est moi. Et des comme moi, ils sont des millions.
C’est pourquoi le pouvoir régnant garde secret le fichier électoral et n’autorise aucun parti d’opposition à y accéder. Normal ; c’est la première arme du crime de la fraude massive. Cette censure unique au monde, leur permet de faire voter des bébés et des morts, faire voter plusieurs fois pour eux –mêmes ceux qui ne votent pas, transvider et travestir des urnes perdantes en urnes gagnantes. Il y a sûrement d’autres qu’on découvrira qu’une fois le pouvoir dégagé. Pour mémoire, on rappellera que le dictateur tunisien, Benali, pour être sûr de gagner à tous les coups ses élections, faisait appel à des experts du FLN et du RND.
C’est pourquoi, la fraude électorale autant que la haute corruption sont les seuls traits caractéristiques et identitaires de ce régime mafieux. Le faire dégager par les urnes qu’il encadre, dirige et contrôle ne semble pas relever de l’évidence ni du possible immédiat. Surtout que les gros enjeux se déclinent en milliards de $ pillés, de prison à vie et, parfois, en pelletons d’exécution. Parce qu’il s’agit du devenir même de l’Algérie qui a failli être vendue dans sa totalité, dans ses racines. Bouteflika et ses complices répondront-ils un jour de leurs multiples hautes trahisons ? Je pense que oui ; parce que le peuple de la rue commence à demander ouvertement et publiquement des comptes. La peur a changé de camp. Merci les jeunes ! Caillassés, conspués et chassés de partout, ils commencent à faire dans leurs frocs ! Leur fin commence à ressembler à celle Ceausescu. Aussi piteuse que celle de Bokassa. Ils oublient tous les leçons immuables de l’histoire : les dictateurs finissent tous de la même manière ; dans le caniveau. Leurs servants dans les poubelles et mezbala de l’Histoire. Finalement à quoi leur auront bien servi leurs milliards volés ?
A rien ; pas même un enterrement de première classe, sans le moindre hommage. Parce qu’on peut rendre hommage à un chien mort dignement en servant son maître mais jamais à un traître ! Bien sûr qu’à cette règle il y a eu des exceptions. On a bien vu des traitres, voleurs, assassins de Boudiaf, entre autres, enterrés en héros épistolaires alors qu’il s’agissait de canailles faisandées, de pourritures toxiques et malsaines, aux mains ensanglantées auxquelles la république des bandits et des voyous rendait les derniers hommage, les derniers mensongers des gueux pour des gueux. Mais non, pour eux-mêmes et pour leurs servants, ils n’auront jamais ni la magnanimité ni la mansuétude des humbles. Trop traîtres et trop lâches pour ne pas finir dans le seul espace qui leur ressemble ; le caniveau. Au mieux, l’oubli et le mépris du «dégage, Pov con» Rentre chez toi ! Au fait, c’est où chez lui ?
Mohamed Abassa