Les hôpitaux du nord de l’enclave palestinienne se retrouvent au cœur des zones de combat et 20 sur les 36 que compte Gaza sont hors service, selon l’ONU. Pour évoquer la situation humanitaire à Gaza mais aussi l’avenir de ce territoire et de la lutte nationale palestinienne, RFI a rencontré le docteur Mustapha Barghouti.
Membre du conseil d’administration de la société palestinienne de secours médical, une ONG qui travaille dans le secteur de la santé en Cisjordanie et à Gaza, il est aussi le fondateur du parti Initiative nationale palestinienne et ancien candidat à la présidentielle.
RFI: Le directeur de l’hôpital al-Shifa annonce ce samedi qu’ils n’ont plus d’eau, plus d’électricité et plus de nourriture. Vendredi soir, le Croissant-Rouge palestinien disait, lui, qu’il avait des réserves de fuel pour quelques heures seulement pour faire tourner l’un de ses hôpitaux à Gaza, al-Quds. Est-ce que le système de santé est en train de s’effondrer ?
Mustapha Barghouti : Le système de santé de Gaza s’est déjà effondré en raison de deux facteurs. Le premier, c’est le bombardement israélien des zones hospitalières. Mais en plus de cela, il y a la punition collective qui consiste à priver ces hôpitaux de toute nourriture, de tout médicament, d’oxygène ainsi que d’électricité et de carburant. À cause du manque de carburant, nous avons déjà perdu un enfant, un nourrisson en couveuse à l’hôpital Shifa. Trente-neuf autres sont sur le point de mourir. L’hôpital al-Quds a également été privé d’électricité. L’hôpital indonésien a dû opérer vendredi sans électricité, de sorte qu’ils ont dû utiliser des lampes pour voir le champ opératoire. Et ils continuent à recevoir des blessés. C’est une véritable catastrophe sanitaire à Gaza.
L’un des problèmes auxquels nous sommes également confrontés, c’est que de nombreux blessés ont des plaies infectées et ne peuvent être soignés en raison du manque de médicaments. De plus, les médecins m’ont dit qu’ils avaient dû faire des choses horribles pour sauver des vies, comme amputer la jambe d’un homme sans anesthésie. C’est insupportable, et les Israéliens s’en moquent.
L’armée israélienne dit qu’elle a ordonné l’évacuation de l’hôpital al-Shifa. Comment peut-on évacuer un hôpital avec près de 5 000 patients à l’intérieur dans les conditions que connait Gaza ?
Il y a non seulement les blessés qui ne peuvent pas marcher, mais aussi les personnes qui sont sous respirateur. Et il n’y a pas d’ambulances pour les transporter puisqu’il n’y a pas de routes pour les ambulances. Les nourrissons en couveuse, dès que vous les retirez de la couveuse, ils meurent. Les patients des unités de soins intensifs et de soins coronariens qui sont sous respirateurs meurent immédiatement. Israël dit aux médecins qu’ils doivent partir et les médecins répondent : « Nous ne laisserons pas nos patients. Ce serait un crime. »
Khalil Al-Hayya, un responsable du Hamas, a déclaré au New York Times qu’il était nécessaire de changer « l’équation entière » et de ne pas juste avoir un affrontement. Est-ce que l’équation entière a été changée par les attaques du 7 octobre ?
Oui, l’équation a été modifiée en notre défaveur. Contre les Palestiniens. Et l’establishment israélien ose maintenant commettre un génocide et des attaques contre les Palestiniens, y compris ces terribles atrocités. Sous le regard du monde entier, alors que M. Biden et le Premier ministre britannique ont refusé le cessez-le-feu.
Vous dites « l’équation a changé en notre défaveur ». Est-ce que vous avez le sentiment que ce sont les attaques du Hamas, le 7 octobre, qui ont poussé le monde à se tourner contre vous ?
Non. Le monde est injuste envers nous de toutes les manières possibles, indépendamment de ce qui s’est passé le 7 octobre. Regardez : nous sommes soumis au nettoyage ethnique israélien depuis 1948. 75 ans de nettoyage ethnique. Les Nations unies ont adopté un millier de résolutions exigeant qu’Israël autorise le retour des réfugiés, mette fin à l’occupation, arrête la construction de colonies, etc. Rien de tout cela n’a été mis en œuvre.
Nous avons essayé la lutte militaire – pas moi, je suis partisan de la résistance non violente. Mais en général, les Palestiniens ont essayé la lutte militaire. Ils ont essayé les pourparlers de paix. Ils ont essayé de conclure des accords avec Israël. Ils ont essayé la résistance non violente. Nous avons tout essayé. Et le résultat, c’est que l’establishment israélien commet de plus en plus de crimes contre nous. Et de nombreux gouvernements occidentaux ne respectent pas le droit international en continuant à soutenir Israël. Et ensuite, ils accusent la victime. Toujours blâmer la victime. C’est inacceptable.
Ces derniers jours, on a entendu Hussein al-Cheikh, secrétaire général de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), et le président palestinien Mahmoud Abbas, ainsi que d’autres hauts responsables de l’OLP, évoquer un possible retour de l’Autorité palestinienne à Gaza, à condition, disent-ils, qu’il y ait une solution globale pour les Palestiniens. Est-ce que ce scénario d’un retour de l’Autorité palestinienne dans la bande de Gaza vous paraît aujourd’hui envisageable ?
Ils ne peuvent pas prendre le contrôle de Gaza. Netanyahu veut occuper Gaza. Comment pourraient-ils s’en emparer ? Il veut qu’ils travaillent pour lui en tant que serviteurs afin qu’il ne soit pas responsable des besoins humanitaires des personnes qu’il occupe. Il veut qu’ils répètent ce qu’ils font ici en Cisjordanie. Ici, en Cisjordanie, ils n’ont aucune autorité. L’armée israélienne envahit toute ville censée être sous contrôle palestinien selon les accords d’Oslo. Nous dépensons 40 % de notre budget pour un appareil de sécurité qui ne peut pas protéger un seul enfant de Palestine de l’agression israélienne. Alors non, Netanyahu ne veut pas d’une autorité à Gaza. Il veut une autorité soumise à Gaza.
#Gaza #AlShifa « Depuis ce matin, il n’y a pas d'électricité à l’hôpital, pas d’eau, pas de nourriture. 2 bébés en néonat sont morts car les couveuses ne fonctionnent plus, 1 patient est mort aux soins intensifs car son respirateur s’est arrêté faute d’électricité » Dr Obeid #MSF pic.twitter.com/ZlIIwufhP4
— MSF France (@MSF_france) November 11, 2023
Et la popularité de l’Autorité palestinienne est aujourd’hui au plus bas, en raison de sa passivité, en particulier lors de l’attaque de Gaza. L’Autorité palestinienne a besoin de légitimité et elle ne peut l’avoir sans élections démocratiques et libres. Si des élections avaient eu lieu en 2021, ce à quoi Israël s’est opposé, nous ne serions pas dans cette situation aujourd’hui. Parce que si des élections avaient eu lieu, ni le Hamas ni le Fatah n’auraient eu la majorité. Aucun parti n’aurait pu gouverner seul, ni à Gaza, ni en Cisjordanie. La situation serait différente aujourd’hui. Et les Israéliens ne pourraient pas dire qu’ils ne peuvent pas négocier avec les dirigeants palestiniens parce qu’ils ne représentent pas tout le monde. Ce dont nous avons besoin, ce sont des élections démocratiques et libres pour légitimer tout gouvernement palestinien. Avant d’accepter de se soumettre à l’occupation israélienne à Gaza.